A l’ère du village planétaire, nous n’avons que notre petite Tunisie, aux ressources limitées, faisons en sorte pour que les Tunisiens ne cherchent plus à fuir leur pays, souvent au risque de leur vie.
Par Abderrahman Jerraya
Les actes de saccage, de vandalisme et d’incendie dont l’ambassade des Etats-Unis fut le théâtre ce vendredi 14 septembre peuvent être considérés, au regard de la loi, comme un crime odieux et abjecte. Il fut perpétré envers un pays ami avec lequel la Tunisie n’a jamais eu un contentieux aussi loin que l’on regarde dans l’histoire. Bien au contraire. Depuis l’indépendance de notre pays et bien avant, les relations avec cette grande puissance mondiale étaient plutôt cordiales, empreintes d’estime et de considération réciproques. La révolution du 14 janvier ne fut-elle pas saluée par le peuple américain, à travers ses représentants au Congrès comme nulle part ailleurs, avec toutefois une exception : Israël?
L’irrépressible haine des Etats-Unis
Alors pourquoi ce déchaînement de colère, de violence, voire de haine à l’encontre de la représentation officielle des USA dans notre pays? Pour les manifestants aux motivations, semble-t-il, très diverses, il s’agissait d’exprimer une grande indignation à la suite de la circulation, sur les réseaux sociaux, d’un film injurieux et blasphématoire aux visées douteuses (à l’égard de l’islam?, de Barack Obama?), réalisé par un citoyen américain d’origine copte.
L’on se perdra donc en conjecture sur les mobiles réels de ce cinéaste, inconnu, en mal de notoriété. Mais ce qui est sûr c’est qu’il est mal intentionné, dans la mesure où son film ne va certainement pas dans le sens du rapprochement des peuples et de la compréhension entre les religions. Il vise au contraire à ternir, à écorner l’image d’une religion considérée comme sacrée par plus d’un milliard d’hommes et de femmes. L’on comprendra la consternation et l’indignation de cette communauté qui s’est sentie, à tort ou à raison, humiliée, outragée, offensée par cette atteinte au sacré. Elle était en droit de manifester son mécontentement et sa désapprobation. Mais aller jusqu’à agresser violemment, comme cela s’était produit en Tunisie, les forces de l’ordre en charge de la protection des personnes et des biens de l’ambassade, de brûler et/ou piller le matériel et l’équipement pédagogique qu’elle contenait, était aussi contre productif qu’inacceptable.
La facile hystérie des masses arabo musulmanes
C’était aussi faire le jeu des provocateurs de tout poil, de tomber dans le piège tendu par les ennemis de l’islam et de tous ceux qui cherchaient à maintenir les pays arabes en particulier dans un état de sous-développement et de dépendance perpétuels pour mieux exploiter leurs richesses naturelles. Ceux là ont bien compris qu’il suffisait de rien (film minable, caricature de caniveau, pamphlet de mauvais goût et que sais-je encore) pour provoquer l’hystérie des masses arabo musulmanes, les faire chauffer à blanc, les faire «perdre le nord», les faire détourner des vrais enjeux et défis auxquels elles sont confrontées. Ainsi embourbées dans les tourments de la vie quotidienne, elles n’auront guère ni le temps, ni l’énergie, et encore moins l’imagination pour rattraper le temps perdu et mettre les jalons pour un avenir meilleur. C’était ça leur objectif inavoué. Ils étaient les seuls gagnants dans ce marché de dupes et devaient se frotter les mains et jubiler de joie en pensant qu’à peu de frais, ils pouvaient déstabiliser un ensemble de pays cible, compromettre leur marche vers le progrès économique et social, polluer les relations d’amitié et de coopération que ces derniers ont établies avec les autres nations.
Le bilan est donc lourd tant en interne qu’en externe. C’est pourquoi, il ne faut pas s’étonner qu’ils n’hésiteront pas à poursuivre, sous couvert de la liberté d’expression, leur basse besogne aussi longtemps que les sociétés arabo musulmanes continueront à réagir et à se comporter de la sorte.
La spécificité tunisienne au-dessus de la diversité culturelle
Il est vrai que la meilleure façon de se prémunir de ces énergumènes sans foi ni loi, de ces pêcheurs en eau trouble est de les ignorer, de faire comme s’ils n’existaient pas, d’être indifférents à leurs productions soi-disant artistiques, littéraires ou autres. Aussi tomberont-elles d’elles-mêmes dans l’oubli, dans la poubelle de l’histoire. Mais cela suppose un certain niveau d’éducation, de culture, une grande faculté de discernement. Cela suppose aussi une foi inébranlable dans notre religion que rien ne puisse en altérer les fondements et que l’image qu'elle renvoie ne dépend que de nous, de nos comportements envers nous-mêmes et de nos relations avec les autres. Comme cela suppose également un attachement sans faille à la Tunisie et à sa spécificité, lequel doit transcender notre diversité culturelle, économique et sociale.
A l’ère du village planétaire où chaque pays essaie de verrouiller ses frontières, nous n’avons que notre petite Tunisie, aux ressources limitées, faisons en sorte pour que les Tunisiens ne cherchent plus à fuir leur pays, souvent au risque de leur vie, en quête d’un emploi pour certains et d’un environnement socioprofessionnel meilleur pour d’autres.
Certes, il existe une minorité de fanatiques religieux n’excédant guère 1% qui s’arrogent le droit d’être les défenseurs de l’islam et qu’en son nom, ils peuvent se permettre de transgresser la loi, de s’approprier l’espace public et certaines mosquées, de chercher à imposer un modèle de société venu d’ailleurs, si besoin par la violence. Profitant du souffle de liberté apporté par la révolution, leur dernier forfait était l’attaque de l’ambassade américaine. Fallait-il arriver jusque là pour que le gouvernement, semble-t-il, se ressaisisse, se rende compte de l’ampleur des dégâts commis et prennent à l’encontre des agresseurs les mesures qui s’imposent? Il faut espérer dans l’inespéré qu’«il vaut mieux tard que jamais».