Obama va-t-il mettre en péril son second mandat à cause d’une erreur d’appréciation des capacités des islamistes tunisiens à évoluer vers une posture démocratique.
Par Moez Ben Salem
Il n’est de secret pour personne que les Etats Unis ont largement contribué, à travers leur appui politique, à assurer la victoire des islamistes d’Ennahdha aux élections du 23 octobre 2011.
Des islamistes «light», dites-vous ?
On aurait pu croire qu’après avoir commis l’erreur monumentale de soutenir Al-Qaïda de Ben Laden et en avoir subi les terribles conséquences un certain 11 septembre 2001, les Américains en tireraient les leçons nécessaires et ne s’aventureraient plus jamais à soutenir un quelconque mouvement islamiste.
Mais les stratèges américains semblent frappés d’amnésie. Après avoir mené deux guerres aux conséquences désastreuses en Irak et en Afghanistan, ils pensent que le meilleur moyen de contrecarrer les terroristes d’Al-Qaïda serait de favoriser l’ascension d’islamistes modérés au pouvoir dans divers pays arabes.
Dans le cas de la Tunisie, et selon Wikileaks, des contacts ont été établis entre les Américains et le mouvement Ennahdha dès l’année 2006.
Lorsqu’en 2008, suite aux graves évènements du bassin minier, les Américains ont décidé de lâcher définitivement le Ben Ali, c’est vers le mouvement Ennahdha, présenté comme un mouvement islamiste modéré à l’instar de l’Akp turc, que les Américains se sont tournés afin d’assurer la relève du dictateur.
Leur attente n’allait pas être très longue, puisque deux ans et demi plus tard, suite à l’étincelle déclenchée par le défunt Mohamed Bouazizi, le peuple tunisien allait sortir de sa torpeur et chasser le despote.
Accolade Jebali - Mc Cain au Palais de la Kasbah.
Aussitôt, les Américains mettent en œuvre leur nouvelle stratégie d’aide aux islamistes «light» et arrivent en un temps record à faire d’Ennahdha le plus puissant parti politique en Tunisie, aidés en cela par leurs alliés stratégiques : l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie.
Des dirigeants islamistes soucieux des intérêts US
En mai 2011, Obama et ses troupes reçoivent en grandes pompes plusieurs dirigeants d’Ennahdha, notamment messieurs Jebali et Dilou, les assurant de leur soutien mais leur expliquant également leurs attentes.
Il va de soi que les Américains ne se faisaient pas trop d’illusions sur l’instauration d’une réelle démocratie en Tunisie, ni sur le respect des droits de l’homme. Mais qu’à cela ne tienne, quelques cas de lolitas en mini-jupe agressées, de journalistes tabassés ou de magistrats mutés n’allaient pas provoquer de bouleversements géostratégiques majeurs ni menacer les intérêts américains et ceux de leurs alliés israéliens. Après tout, les peuples arabes ne sont pas faits pour la démocratie et puis les niqabées saoudiennes et qataries n’ont pas l’air de trop se plaindre!
Le plus important pour les Américains, c’est que les nouveaux dirigeants tunisiens se montrent dociles et préservent leurs intérêts vitaux.
Dans un premier temps, le plan américain fonctionna à merveille: aux élections de l’Assemblée nationale constituante (Anc), qui eurent lieu le 23 octobre 2011, Ennahdha ne fit qu’une bouchée des ses adversaires, affaiblis et divisés, et réussit à s’octroyer 41% des sièges à l’Assemblée, à la grande satisfaction des Américains.
Des Nahdhaouis moins accommodant que prévu
Mais la joie de ces derniers fut de courte durée, car les Nahdhaouis ne se montrèrent pas aussi dociles que prévu, notamment du fait de leurs encombrants alliés salafistes qui allaient se distinguer par leurs actions violentes spectaculaires.
Bien entendu, ce ne sont pas les attaques des extrémistes contre la faculté des lettres de la Manouba ou encore l’émirat salafiste dans la petite ville de Sejnane qui provoquent de l’insomnie chez Obama mais plutôt les cris de haine et les appels au meurtre à l’encore des juifs prononcés à l’aéroport de Tunis Carthage lors de l’arrivée du Premier ministre palestinien Ismail Haniyeh, qui poussent les Américains à réagir et à rappeler à l’ordre Jebali and co.
Jebali déroule le tapis rouge à Ismaïl Haniyeh.
Mais ces derniers font la sourde oreille; les attaques des salafistes vont à un rythme crescendo jusqu’à ce fameux vendredi 14 septembre, lorsque suite à la diffusion d’un mauvais film portant atteinte à l’islam et à l’image du prophète, des groupes d’extrémistes violents s’attaquent à l’ambassade américaine à Tunis et à l’école américaine, profitant de l’étrange passivité des forces de l’ordre.
Le bilan de cette attaque, 4 morts parmi les assaillants et des dizaines de blessés aurait pu être encore plus lourd s’il n’y a pas eu intervention de la Garde présidentielle.
Pour les Américains, il semble que ce soit la goutte qui a fait déborder le vase: Ennahdha ne peut plus être considéré comme un allié sûr; le ministre des Affaires étrangères tunisien est convoqué à Washington et la mine sévère de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton en dit long sur le mauvais quart d’heure que venait de passer le ministre tunisien.
Cette affaire gravissime met le président Obama dans une situation délicate, d’autant qu’elle survient mois de 2 mois avant les élections présidentielles américaines.
Va-t-il mettre en péril son second mandat à cause d’une erreur d’appréciation des capacités des islamistes, spoliateur du «printemps arabe», à évoluer vers une posture démocratique?