Les événements récents réclament une initiative d’urgence pour se prémunir contre les multiples risques politiques et économiques qui menacent l’avenir de notre pays.
Par A. Kacem et S. EL Gouddi*
Les derniers évènements survenus en Tunisie témoignent de la complexité de la période dans laquelle nous vivons. Dorénavant, la responsabilité est collective, elle incombe au gouvernement et aux partis d’opposition.
A travers cet appel, nous voulons soutenir toutes les forces vives qui plaident en faveur d’une consolidation du pacte républicain et de la construction d’une Tunisie démocratique et libre.
Depuis les élections d’octobre dernier, nous assistons, démunis, à l’émergence de plusieurs phénomènes préjudiciables qui laissent présager un devenir sombre vers lequel les Tunisiens s’acheminent petit-à-petit.
Nous analyserons rapidement la situation globale du pays en soulignant la responsabilité du gouvernement et des partis d’opposition. Nous clôturerons ce papier par un appel à la constitution d’un pacte national destiné à assurer la transition démocratique et à préparer les prochaines élections dans le pays.
I- Zoomons un peu le pays...
La révolution a débouché sur le désenchantement.
Etudier la question du relâchement politique et économique, nous paraît indispensable, non pour jeter l’opprobre sur les décideurs politiques mais pour qu’ensemble nous nous donnions les moyens d’inventer une nouvelle société capable de satisfaire les besoins légitimes d’une population avide de progrès et de prospérité.
1- Fragilité politique :
En dépit de nos espérances, la Tunisie traverse depuis la révolution une instabilité politique sans précédent dans son histoire contemporaine. Les indices ne manquent pas et s’accordent à dire que nous assistons à un mépris des lois. Constat paradoxal de la part d’un peuple qui s’est dignement insurgé pour rétablir la suprématie des lois.
Or, le respect inconditionnel des lois, garant de la justice et la paix sociale, constitue la pierre angulaire de toute stratégie de développement durable.
Incontestablement, la succession de plusieurs actions politiques maladroites, contribuent à la généralisation de cet état de dénigrement envers les institutions de l’Etat qui peuvent se manifester entre autres à traves :
- les barrages des routes;
- le non respect du code de la route;
- les grèves injustifiées;
- la montée des violences.
L’accroissement de ces incivilités pénalise la vie quotidienne des citoyens.
Les régions déshérités en révolte permanente.
2- Fragilité économique :
L’économie tunisienne s’essouffle. Elle n’arrive plus à donner une image claire pour rassurer les entreprises et les investisseurs. Les indicateurs macroéconomiques reflètent une situation plutôt sombre :
- les comptes nationaux restent en déséquilibre (déficit budgétaire, dette publique, déficit du commerce extérieur et chômage);
- les prix sont devenus instables ce qui inquiète les consommateurs à faibles revenus;
- les investissements directs étrangers sont au point mort;
- l’initiative privée est altérée par le manque de visibilité et le tâtonnement des décideurs publics.
II- Bilan gouvernemental...
Après une année d’exercice du pouvoir, nous sommes en droit de dresser un premier bilan du gouvernement afin d’évaluer, même approximativement, ses compétences et ses capacités à traiter les dossiers urgents.
1- Inexpérience :
Il est clair que le gouvernement actuel souffre d’un manque patent d’expérience politique qui se manifeste, entre autres, à travers les exemples suivants :
- la composition d’un gouvernement très élargi alors que les conditions de son intervention sont objectivement et, en grande partie, inopérantes en raison, entre autres, de l’absence d’une nouvelle constitution et d’un cadre juridique en adéquation avec la revendication démocratique;
- le manque de solidarité et de cohérence entre les membres du gouvernement déboussole les acteurs économiques, politiques et sociaux de notre pays qui privilégieraient l’attentisme en guise de stratégie ultime. Par ailleurs, cette défaillance du gouvernement porte à croire que les actions qu’il mène sont davantage dictées par une logique de rivalité partisane que par une volonté de construire un Etat délabré par tant d’années de dictature;
- le conflit de plus en plus flagrant qui oppose l’équipe gouvernementale à l’équipe présidentielle fragilise la cohésion des institutions de notre pays et sème le doute sur l’efficience actionnelle de l’Etat;
Manifestation de diplômés chômeurs.
- l’instrumentalisation des organes de l’Etat dans les spéculations politiques, prenant souvent une forme de course aux nominations, mènera incontestablement à l’effritement de la légitimité de l’Etat déjà mise à mal par des promesses électorales non tenues.
2- La pratique du pouvoir :
Le flottement de l’équipe dirigeante se manifeste également au travers de quelques décisions fortement contestées :
- l’équipe dirigeante manque indéniablement d’expérience. Plutôt que d’entamer un dialogue constructif avec les acteurs de la société civile, elle a constamment privilégié l’usage des attributs du pouvoir, parfois même de façon excessive. Pourtant, le succès d’une transition démocratique, aussi indispensable qu’incertaine, suggère des concessions mutuelles afin de dissiper les méfiances et favoriser la concorde civile;
- à plusieurs reprises, des membres du gouvernement brandissent outrancièrement la légitimité électorale pour neutraliser les critiques et les contestations qu’ils rencontrent lors de l’exercice du pouvoir. Or, l’enracinement de la démocratie est substantiellement indissociable des critiques les plus acerbes, peu impore la légitimité dont bénéficie le pouvoir en place;
- lorsque des membres d’un parti au pouvoir affirment sans cesse, et avec une suffisance déconcertante de surcroît, qu’ils domineront la scène politique pendant les vingt prochaines années, ils suscitent, légitimement, l’inquiétude de l’opposition et de la société civile qui y voient les prémisses d’une nouvelle dictature. Dans cette perspective, le recours à la violence risque de prendre une forme de libération. Malencontreusement, la nomination de personnes influentes de l’ancien régime à des postes de grande responsabilité, donnerait du crédit à cette hypothèse.
3- Bilan de l’opposition
Durant cette année post-électorale, l’opposition, à travers des actions parfois maladroites, a montré son incapacité à adopter un comportement politique compatible avec les impératifs de la transition démocratique :
- dès le début, la plupart des opposants ont systématiquement décliné toute proposition de constitution d’un gouvernement de cohésion nationale. Il s’agit là d’une erreur stratégique car, en période transitoire, une telle initiative n’est pas synonyme d’un rapprochement idéologique ou politique entre les protagonistes mais d’une volonté de contribuer collectivement à la détermination des nouvelles règles du jeu démocratique qui assureront la séparation des pouvoirs et l’alternance politique;
- le manque de maturité et l’usage de la manipulation à des fins de récupération politique sont des manœuvres, affectionnées hélas par une certaine frange de l’opposition, aggravent l’instabilité du pays et dégradent l’image des hommes politiques dans leur ensemble;
- en se contentant de démontrer l’incapacité du gouvernement, certains opposants se sont donnés une image de mauvais perdants. Même si la politique exige la mise en exergue des défaillances des rivaux, elle nécessite d’être complétée par un volet de propositions pour qu’elle soit réellement génératrice de progrès et de stabilité;
- depuis l’annonce des résultats des dernières élections, une partie de l’opposition s’est mise en campagne permanente pour les prochaines élections. De ce fait, elle n’a pas convenablement joué son rôle dans la construction d’un Etat démocratique et stable.
Un gouvernement inexpérimenté ou incompétent?
4- De la nécessité d’un nouveau Pacte national
Les événements récents réclament une initiative d’urgence pour se prémunir contre les multiples risques politiques et économiques qui menacent l’avenir de notre pays. Cette initiative peut se résumer dans les principaux axes suivants :
1. former un gouvernement de cohésion nationale;
2. promouvoir une logique de concession, plutôt qu’une logique de droit, dans la détermination des prérogatives du gouvernement;
3. rédiger une charte démocratique qui encadre les mécanismes de la concurrence politique en général et pendant la période transitoire en particulier;
4. nommer des personnalités indépendantes à la tête des ministères sujets à contestation;
5. créer un comité national dont l’objectif consiste à vérifier le respect des critères de
compétence chez les personnes destinées à occuper des postes de responsabilités dans les administrations de l’Etat et les entreprises publiques.
* Docteurs en sciences économiques et fondateurs de Prospective Research Center (Prc), analyses multidisciplinaires.