La révolution est peut-être encore loin, mais elle finira par arriver puisque nous avons le même décor que sous Ben Ali, avec encore plus de mauvaise foi et de cruauté.La révolution est peut-être encore loin, mais elle finira par arriver puisque nous avons le même décor que sous Ben Ali, avec encore plus de mauvaise foi et de cruauté.

 

Par Mahmoud Bedoui*

A chacun sa compréhension du mot «révolution». La nôtre est celle du 14 janvier 2011 qui a vu pour la première fois dans l’histoire des pays arabes tout un peuple se soulever et arriver à chasser un président dictateur et mafieux qui a détruit l’espoir de ses concitoyens.

La contre-révolution se met en route

C’est une révolution qui a commencé par une révolte des pauvres et des laissés-pour-compte pour évoluer en jacquerie et devenir enfin une révolution populaire. Aucune trace des partis ou des politiques. Le peuple demandait la dignité, la liberté et la démocratie. Il exigeait la lutte contre l’injustice, la misère, le chômage et une juste répartition des richesses. Mais ce  rêve ne dura que deux semaines car, dès le 30 janvier, une contre-révolution se met en route. C’est la date catastrophique du retour en Tunisie de Rached Ghannouchi, condamné à perpétuité pour ses crimes reconnus et chargé par ses bienfaiteurs et maîtres américains, saoudiens et qataris de dénaturer le pays et le mettre au service du wahhabisme salafiste qui rend le citoyen un simple esclave aux ordres du protecteur choisi par Dieu lui-même. L’enfer offert à ces esclaves, femmes en tête, sera largement récompensé par le paradis après le Jugement Dernier.

Plus rien ne sera alors comme avant en Tunisie. Ce mouvement d’un islam dénaturé va faire tâche d’huile dans les pays arabes touchés par ce qu’on appelle stupidement «le printemps arabe» vite devenu glacial.

Le rêve américain est enfin réalisé, à savoir tuer dans l’œuf toute idée d’un monde arabe libre et démocratique qui ne pourra que demander ses droits et sa réelle libération. Un vrai cauchemar pour Israël!

Le rêve des Saoudiens et des Qataris aussi, à savoir faire triompher par le feu et le sang leur idéologie dictatoriale, passéiste et rétrograde de ce qu’ils appellent l’islam authentique, ce qui est une aberration et un crime contre le Coran et les hadiths.

Le grand rêve de Ghannouchi se réalise

Etrangement, ces décideurs nous rappellent le sultan fatimide, qui, chassé de Mahdia, va fonder le Caire et envoyer les Banou Hilal, ces tribus arabes sorties de la nuit des temps, pour ravager la Tunisie.

Enfin, le grand rêve de Ghannouchi se réalise de son côté. Doté de moyens financiers importants, dont la source reste indéterminée, il peut maintenant se venger de ce pays devenu trop moderniste à ses yeux, progressiste en diable et en phase avec le monde réel, ce qui explique sa rage, sa haine farouche surtout envers Bourguiba et l’Occident impie. Ses graves et multiples limites culturelles et intellectuelles seront ses seules armes pour, dit-il, «islamiser» un pays pas assez musulman à son goût.

Mon enfant, cette trahison de notre révolution et le lancement de la contre-révolution islamiste est pourtant à imputer avant tout triplement à Fouad Mebazaâ, le 1er président provisoire de la république, et à Béji Caïd Essebsi, son Premier ministre (même s’ils sont restés très dignes dans leur fonction) pour avoir accepté de céder le pouvoir à la «troïka», la coalition tripartite au pouvoir, qui l’exigeait, alors que les élections du 23 octobre 2011, qui ont consacré son succès n’ont l’Assemblée que pour la rédaction de la Constitution, ce que les Egyptiens salafistes et islamistes, avec leurs 70% des voix, n’ont pas osé faire.

En second lieu, il faut citer Marzouki et Ben Jaâfar, ces deux présidents provisoires dont on continue honteusement à dire qu’ils sont de centre (sic!) et de gauche (resic!). Sortes de Néron qui rient pendant que la Tunisie brûle, ils continuent à croire dur comme fer que l’islamisme figé et sclérosé est compatible avec l’islam modéré malékite tunisien. Autant placer un cobra dans une crèche d’enfants! Ils réalisent leur rêve dans la honte la plus totale et ne changeront point.

Ils refusent notre drapeau et notre hymne national

Le troisième larron est cette imbécile multitude de partis qui se dit modernistes ou encore de gauche. Sorte d’hyènes qui attendaient leur part de la Tunisie devenue un cadavre entre les crocs de la «troïka»! Et si plusieurs ont fini par comprendre leurs erreurs, en voyant le pays en ruine à cause de leurs mesquineries et amateurismes politiques, d’autres attendent encore quelques lambeaux du cadavre et n’en démordront point. Ils sont pires que Marzouki et Ben Jaâfar. Ce sont les bénis Ni-Ni.

Peut-être qu’on doit ajouter à cette mascarade cette idée acceptée par la majorité de désigner, contre toute logique historique, ce gouvernement de «légal», issu des élections. Il ne l’est point puisque le peuple n’a voté que pour la rédaction d’une nouvelle Constitution.

Quant à Ennahdha, elle continue à claironner qu’elle défend la révolution. C’est vrai en quelque sorte. C’est SA révolution. Une réelle contre-révolution à celle du 14 janvier 2011. Une chose des plus frappantes est rapidement constatée, est que si les islamistes sortis des prisons continuent de parler de la Tunisie, les autres, l’ayant fuie ou en exil ou terroristes d’un peu partout et rentrés chez nous et dont Ghannouchi représente le meilleur exemple, refusent tout ce qui symbolise la Tunisie. Ils refusent notre drapeau, notre hymne national, nos fêtes religieuses ou séculaires, notre passé millénaire, nos us, coutumes et traditions ancrés dans notre âme, notre religion malékite, nos imams et nos mosquées dont ils  ont chassé les fidèles. En cela, ils n’ont rien de Tunisiens, mais de médiocres apatrides souvent avec une double nationalité… au cas où… Fermement, ils croient qu’ils sont chargés de la mission divine d’islamiser un pays pourtant resté musulman sous ses divers colonisateurs.

Islamistes et salafistes se sont rapidement partagé ces temples de méditation et de prières en prêchant la haine et en appelant à tuer les mécréants. Pas seulement les juifs, leurs bêtes noires, mais les Tunisiens qui refusent de plier devant leurs fantasmes.

Adieu dignité, liberté, démocratie et justice!

Plus que tout. Dès son coup d’Etat constitutionnel, Ennahdha va tout faire pour étouffer les mots d’ordre de notre révolution, à savoir, point de dignité, point de liberté, point de démocratie et point de justice. Les signes avant-coureurs sont apparus lors de la composition du gouvernent nahdhaoui. Quelques os à ronger aux deux dindons de la face pour le décor et partage des postes-clés entre islamistes, islamistes déguisés et salafistes, tels le ministère des Affaires religieuses et celui de l’Enseignement supérieur, de parfaits extrémistes déguisés. Les ravages dans leurs secteurs respectifs ne font que commencer.

Aux deux hommes de fer, on offre l’Intérieur et la Justice. Véritable démarrage d’un Etat de non-droit qui refuse de donner son nom. Mais l’Adm ou arme de destruction massive est confiée aux hordes salafistes pour semer la terreur  bien protégées, pendant longtemps, par le ministre de l’Intérieur chez qui certains journalistes ont cru voir un «homme d’Etat», ce qui est burlesque et démenti chaque jour, protégées aussi par une police chargée de tabasser les manifestants pacifiques et enfin par une justice aux ordres qui passe devant les tribunaux opposants et innocents pour les condamner, mais libère les agresseurs salafistes arrêtés un peu partout ou ceux qui carrément appellent à tuer les mécréants, souvent même à partir des mosquées. Quelques amendes parfois de 9 à 4,8 dinars pour ces crimes crapuleux et le tour est joué. On appelle cela une démocratie hurlante.

Malgré toute cette chape de plomb, mon cher enfant, la gestion du pays par Ennahdha est un échec total dans tous les domaines. Absolue incapacité de faire face aux cataclysmes naturels qui se sont abattus sur le pays, comme si le ciel l’a maudit. Des régions entières ont été ou sont encore sans eau ni électricité, phénomène inconnu même dans les pires années de sécheresse, taux de chômage en explosion, misère accentuée un peu partout, mafia du commerce parallèle, pire que celle de Zaba, hausse vertigineuse des prix ruinant les bourses même des classes moyennes, économie détruite, finances ruinées, mainmise sur la justice, la police, l’administration centrale, régionale et locale, renvoi des meilleures compétences du pays et leurs remplacement par des militants islamistes fraichement sortis des prisons ou débarqués de divers pays, bornés, incultes et sans aucune connaissance des réalités du pays, sans oublier de faire revenir les éléments les plus corrompus sous Ben Ali pour lui porter main-forte tout en menaçant les autres qui gardent une certaine dignité.

La révolution toujours à venir

Total refus de compenser les victimes et les blessés de la révolution avec tentatives puantes d’offrir des milliards de dinars aux anciens prisonniers islamistes et salafistes condamnés pour leurs actions visant à dénaturer le pays et ce qu’ils ont déjà entamé de faire depuis.

Lancement de l’anathème contre tout opposant à Ennahdha comme étant ennemi de l’islam.

Enfin, raillé ou méprisé ou dénoncé partout dans le pays, ce parti étale ses vraies cartes; il renie toutes ses promesses, ce qui est déjà considéré par l’islam comme une trahison.

Voyant la date du 23 octobre 2012 pointer du nez et sonnant la fin des travaux de la Constituante, les fidèles du «cheikh» bloquent la rédaction de la nouvelle constitution en cherchant à imposer les lois scélérates de la chariâ d’une façon machiavélique et stoppent la justice transitionnelle en bloquant les poursuites judiciaires contre les corrompus.

Refus de l’indépendance de la justice, des médias, de la liberté de parole et de presse. Tentatives veines pour soumettre les médias et l’instance chargée des élections. Puis, cerise sur leurs barbes, ils veulent imposer le régime parlementaire pour tout dominer, arme qui peut pourtant se retourner contre eux en cas d’échec aux élections de plus en plus annoncé.

Enfin comme un troupeau d’éléphants déchainés, ils renient le Code du statut personnel, qui établit l’égalité des sexes, pour prôner l’idée de la femme «complémentaire de l’homme» et pourquoi pas le niqab en prime et le fouet au poing.

Pour clôturer cette triste tragédie, des menaces, des pressions et des agressions sont à prévoir pour retarder au maximum les prochaines élections législatives de deux ans ou plus.

Il n’y a pas de doute qu’Ennahdha sera soutenu par ses alliés cocufiés auxquels il faut adjoindre ceux qui ont quitté la barque CpR et d’Ettakatol et rêvent de les remplacer auprès du grand frère. Mais au cas où les élections seront fixées, outre les tentatives de fraude et d’achat de voix grâce à l’argent sale, il est certain que les hordes salafistes et les militants d’Ennahdha, fanatisés à l’extrême, feront tout pour empêcher la tenue des meetings de l’opposition partout dans le pays, quitte à tuer ou à menacer les opposants les plus en vue, sous prétexte qu’ils défendent leur évolution.

Ceci n’est point un alarmisme ou simple vue de l’esprit mais tout simplement la suite logique de tout parti islamiste parvenu au sommet de l’Etat grâce à un «cheikh» élu de Dieu et de son prophète. Je reste abasourdi devant l’angélisme de nos cartésiens qui veulent cacher leur nudité face à des gens qui sont véritablement drogués de faux préceptes de l’islam qui pourtant n’a rien voir avec eux. Sourates et hadiths ne cessent de les condamner et de les maudire.

Voilà pourquoi, mon enfant, la révolution est peut-être encore loin, mais elle finira par arriver puisque nous avons le même décor que sous Ben Ali, avec encore plus de mauvaise foi et de cruauté surtout contre les couches les plus vulnérables du pays et contre tous nos idéaux et principes humanitaires. Mais garde l’espoir. Tôt ou tard, elle finira par arriver.

* Professeur principal à la retraite, ancien responsable à la Bibliothèque Nationale de Tunisie.