Les attaques récurrentes contre l’islam sont du pain bénit pour le parti islamiste Ennahdha, qui surfe sur la vague pour cacher l’incompétence de ses ministres et leur très maigre bilan.
Par Abderrazak Lejri*
Depuis le conflit israélo-arabe et surtout après le 11 septembre 2001, le monde arabo-musulman et l’Occident vivent en état de conflit ouvert nourri par les extrémistes des deux bords et les derniers évènements ont davantage eu des répercussions au sein des pays récemment libérés de la dictature qu’au sein des tenants de l’orthodoxie wahhabite: l’Arabie saoudite et le Qatar.
La provocation planétaire et son impact sur le printemps arabe
La diffusion d’extraits du film de basse facture ‘‘L’innocence des musulmans’’ réalisé par un pseudo-cinéaste copte californien marginal du nom de Makoula, suivie opportunément des caricatures blasphématoires envers le prophète Mohammed diffusées par l’hebdomadaire français ‘‘Charlie-Hebdo’’ ont représenté du pain bénit pour tous les islamistes fondamentalistes et leur ont donné l’occasion de galvaniser la ferveur de leurs troupes fanatiques, compte tenu notamment de l’agenda électoral, comme c’est le cas en Tunisie.
Cet homme veut faire passer une loi incriminant l'atteinte au sacré.
La provocation des musulmans – exacerbant l’extrémisme anti-occidental – qui a déjà eu lieu, au plan international, lors de la parution de l’ouvrage de Salman Rushdie ‘‘Les versets sataniques’’, a été suivie d’autres œuvres blasphématoires au Danemark et en Hollande. Cela a constitué une aubaine pour les islamophobes qui ont pu ainsi semer la discorde au sein même des pays musulmans, ainsi que pour les ultras islamistes qui en ont profité pour justifier le musellement des libertés au prétexte de protéger le «sacré» et en mettant l’islam, dont la vigueur du renouveau est évidente, en posture victimaire.
Les radicaux d’entre les islamistes n’ont pas hésité à interdire, souvent par la violence physique perpétrée par des hordes de salafistes munis d’armes blanches et de drapeaux noirs, des dizaines de manifestations culturelles, artistiques et politiques jugées impies, accusant de mécréance les participants à ces évènements et saccageant les lieux où ils se déroulent. En s’attaquant aux débits de boisson alcoolisées, qualifiés de lieux de «dépravation», ces salafistes exposent aux médias le caractère intolérant d’une religion associée étymologiquement à la «paix» (car islam signifie paix) et accréditent à tort l’idée, fort répandue chez les islamophobes, de l’antinomie entre islam et démocratie.
L'image du film d'animation "Persépolis" lui a été jugée sacrilège par les extrémistes religieux.
L’atteinte au sacré: un fonds de commerce d’Ennahdha
Bien avant les élections de l’Assemblée nationale constituante (Anc), le 23 octobre 2011, le mouvement islamiste Ennahdha a instrumentalisé le fait religieux pour mobiliser et galvaniser ses troupes et son électorat dans le cadre d’une large action de ratissage qui a vu l’invasion des mosquées par leurs ultras, la mobilisation de «prêcheurs en eau trouble» en provenance du Moyen-Orient. Cela a créé un climat délétère et dérapant qui a débouché sur des atteintes aux libertés d’expression et des médias. On peut citer, à titre d’exemples, l’attaque salafiste contre le siège de Nessma TV et de la maison de son patron, Nabil Karoui, à la suite à la diffusion du film ‘‘Persopolis’’, et celle de la salle CinémAfricArt lors de la diffusion du film ‘‘Ni Dieu ni maître’’ de la cinéaste Nadia El-Fani.
Les prêches et la propagande des cyber-milices islamistes ont été jusqu’à propager l’idée que les islamistes, qui ont subi les pires exactions de la part du régime honni de Ben Ali, représentant aujourd’hui le mal absolu, ne peuvent que représenter le bien absolu. Il y a eu même des messages simplistes et populistes adressés aux humbles citoyens les incitant à voter pour le parti de «ceux qui craignent Dieu pour espérer, dans l’au-delà, aller au paradis».
Cette instrumentalisation de la religion a continué après que ce parti s’est accaparé les rênes du pouvoir et neuf mois après une gouvernance hégémonique, chaotique et calamiteuse, Ennahdha a montré son incompétence (ce qui est pardonnable de la part de personnes qui ont passé de longues années en exil ou,surtout, en prison – qui n’est pas, que ce que l’on sache, le meilleur endroit pour apprendre le management ), sa méconnaissance de son propre pays et de son peuple et surtout, comme toute organisation humaine, a versé dans le travers naturel de l’excès de pouvoir, en raison de l’absence d’institutions démocratiques constituant des contre pouvoirs.
Les nouveaux inquisiteurs qui décident de ce que les Tunisiens doivent voir et ne pas voir.
Le «takfir» pour cacher le déficit managérial
Dans sa gestion empirique des affaires publiques, le gouvernement de la «troïka» (avec 80 membres, record mondial battu) a connu un échec patent et un fiasco total sur tous les plans et, particulièrement, sur ceux sécuritaire et socio-économique. Cet échec est devenu si flagrant, malgré les tentatives de museler les médias pour les empêcher d’en rendre compte, que le dépit a atteint l’électorat nahdhaoui, puisque de récents sondages estiment à 30% le recul des intentions de vote pour le parti islamiste tunisien, qui paye ainsi son aveuglement obstiné et son arrogance sans pareils à vouloir se justifier par sa seule légitimité électorale.
Cependant, les stratèges du parti islamiste – experts en «takfir» – ont veillé au grain pour utiliser leurs affidés salafistes et leurs ultras mobilisés dans le cadre de véritables campagnes de désinformation à travers les réseaux sociaux et les prêches du vendredi. Leur objectif: maintenir l’opinion publique sous tension, en exerçant la terreur, ici et là, pour étouffer toute velléité d’émancipation (comme dans le cas de l’exposition d’art contemporain à El-Abdellia) ou contrecarrer l’émergence de forces alternatives pouvant représenter des potentiels concurrents lors des prochaines élections législatives, présidentielle et municipales.
Sachant que nous ne pouvons pas, en toute bonne foi, juger l’action gouvernementale à l’aune de mesures socio-économiques concrètes, qui ne sont envisageables qu’à long terme, et à fortiori dans un contexte postrévolutionnaire – l’Etat de grâce étant d’ailleurs passé –, nous pouvons prévoir, sans grand risque de nous tromper, que, d’ici les prochaines élections, de nouveaux actes d’atteinte au sacré seront très opportunément découverts et instrumentalisés dans un but mobilisateur, de manière à occuper les gens et à pallier l’érosion de la popularité du parti islamiste, suite aux énormes bourdes commises lors de l’exercice concret du pouvoir en si peu de temps.