Une Tunisienne violée et accusée: après l’infamie, l’ignominie!Une jeune femme a été violée par trois policiers dans la banlieue nord de Tunis. Peu importe son prénom, elle est devenue le symbole d’un pays qui vacille, qui n’a plus ni logique ni repères.

Par Benoît Delmas*

Violentée à plusieurs reprises par des hommes supposés veiller au respect de la loi, cette victime est devenue par le jeu judiciaire une coupable potentielle. Après avoir été entendue par le juge, mardi matin au Tribunal de Tunis, elle est ressortie avec une accusation d’«atteinte à la pudeur».

Tunis n’est pas Téhéran, la Tunisie n'est pas l’Iran

Le monde à l’envers. Celle qui a été souillée par des voyous déguisés en pandore se voit désigner par ses agresseurs comme une pute, n’ayons pas peur des mots dans cette situation d’exception. Les violeurs – qui risquent vingt ans de prison voire la peine capitale, non appliquée en Tunisie depuis plus de vingt ans – ont en effet porté plainte, jugeant avoir contrôlé la jeune femme et son compagnon dans une «position immorale». Ce qui, dans leurs petits esprits de pervers sans surmoi, vaut approbation pour viol en bande.

Non seulement cette jeune femme doit endurer, physiquement et psychologiquement, un crime commis à l’égard de son intimité, de son corps, de son identité, mais en plus elle doit se défendre devant la justice – censée la protéger – d’immoralité et autres travers que le pouvoir islamiste (le parti Ennahdha que dirige Rached Ghannouchi depuis trente ans) pourfend à longueur de paroles et d’intentions législatives.

Sous Ben Ali, une certaine police violait en toute impunité car cette police avait tous les droits. La dictature s’étant effondrée sous les coups de la colère populaire, le retour aux règles démocratiques était une évidence. Erreur. Pour son malheur, la Tunisie est prise en otage par des radicaux religieux. Une jeune femme qui embrasse son copain dans la rue, un soir, la voilà tancer par un policier qui n’applique pourtant aucune loi existante.

Tunis n’est pas Téhéran, la Tunisie n’est pas l’Iran. Le parti Ennahdha ayant échoué sur le plan économique et social, chômage et inflation sont au zénith, ce parti ne cesse de parler d’atteinte au sacré, d’atteinte aux bonnes mœurs, bref de vouloir perquisitionner la chambre à coucher des Tunisiens, le cœur, leur vie intime, leur vie spirituelle.

L’heure est aux jacqueries ponctuelles

Ce viol marque les esprits, scandalise une partie du pays tout en mettant en lumière sa division. Lors de la révolution, sa dernière semaine, puis après, la Tunisie n’a fait qu’une. Ce n’est plus le cas. Ce viol a laissé sans voix une grande partie de la classe politique. Les femmes, comme souvent ici, sont montées au front face à l’engrenage judiciaire. Il a fallu attendre ce mardi pour que le Premier ministre condamne, dans les colonnes du quotidien belge ‘‘Le Soir’’, ce crime. Côté Rached Ghannouchi, rien. Sa fille s’est exprimée, dénonçant le viol et l’attitude des médias étrangers notamment français. Mardi soir le gouvernement français a fait part de son soutien à la jeune femme violée, broyée par la justice et la police.

Alors que la moitié de la Tunisie est en ébullition – violences, grèves, fermeture d’universités, manifestations de sans emplois durement réprimées... – de Kasserine à Jendouba, cette affaire de viol rappelle une autre injustice, celle faite à un vendeur de fruits et légumes de Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi. Face à l’injustice du système Ben Ali, il s’était immolé. Provoquant l’embrasement des consciences.

C’était le 17 décembre 2010. Un an et neuf mois après, la situation tunisienne est plus que préoccupante. Pauvreté, analphabétisme, paupérisation, inflation galopante, chômage au sommet (+60% de la population dans certaines régions), assemblée constituante incapable de remettre à l’heure un projet de Constitution après dix mois de travaux, violences salafistes, délinquance chronique, mise à sac de l’ambassade américaine, représentations diplomatiques mises sous haute protection depuis quinze jours... longue est la liste des fléaux qui s’abattent sur cette jeune démocratie qui a su courageusement et sans violence se débarrasser de son tyran. L’absence d’élections futures – aucune date fixée – empêche les gens de se dire on exprimera nôtre mécontentement ce jour-là. L’heure est aux jacqueries ponctuelles.

En l’absence de toute vision politique – quelle Tunisie veut-on à moyen et long-terme –, toutes les folies sont envisageables. Et le cas de cette jeune femme mise à terre par trois soudards appointant au ministère de l’Intérieur en dit long sur le délitement actuel.

Ceux qui sont morts lors de la révolution méritent mieux comme salut éternel. Comme reconnaissance.

*Journaliste français basé en Tunisie.