Tunisie. La légitimité électorale, jusqu’à quand? Cet article est le condensé d’une «Proposition d’une feuille de route de sortie de crise en Tunisie» accompagnée d’une pétition de soutien à signer sur le web.

Par Mohamed Bouanane*

Le décret-loi 1086 du 3 août 2011 organisant l’élection de l’Assemblée nationale constituante (Anc) fixe, dans son article 6, la durée de sa mission pour la rédaction (et donc l’approbation) du Doustour à un an depuis la date de son élection.

Un mandat s’achève et après?

En démocratie, tout mandat électif a une durée déterminée d’avance et ne peut déroger à cette règle. Le 23 octobre 2012, la légalité juridique et par conséquent électorale de l’Anc et de son gouvernement prendra fin.

Comment faire? Certains parlent d’une nouvelle période de transition consensuelle. De quel consensus, parle t-on, et entre quelles parties? Que faire du décret-loi 1086 du 3 août 2011?

Déjà, la «troïka» (la coalition tripartite au pouvoir, Ndlr) a échoué à pratiquer le consensus en son sein et avec l’opposition représentée à l’Anc.

Ceux qui avancent l’argument du vide juridique ou constitutionnel, suite  à la dissolution de l’Anc et du gouvernement actuel, n’ignorent pas que la Tunisie vit et a déjà vécu sans constitution pendant la période transitoire précédente sous la présidence provisoire de Foued Mebazaa, non élu.

Inefficacité du gouvernement

Outre l’inefficacité et le faible rendement de l’Anc, ainsi que la très mauvaise performance du gouvernement provisoire sur les plans sécuritaire, économique et social (accroissement des déficits publics et de l’inflation, baisse des  réserves en devises, fuite des capitaux étrangers, baisse de l’investissement, multiplication des crédits et hausse de l’endettement, augmentation du chômage…), la perte de la confiance des partenaires étrangers suite au noircissement de la réputation et de l’image du pays, après l’attaque de l’ambassade et de l’école états-uniennes, et dont les conséquences désastreuses commencent à se faire sentir…, les fondements de la démocratie n’ont pas été établis: les pratiques et méthodes du régime déchu ont été adoptées et développées, tels que l’hégémonie du parti-Etat, les menaces contre les libertés,  les forces de sécurité sont domestiquées et des milices religieuses et criminelles ont été installées, le secteur des médias est muselé, la séparation des pouvoirs n’est pas respectée, et l’indépendance de la justice est bafouée.

Un projet de constitution «ni acceptable ni amendable»

Après 8 mois de travail, l’Anc nous a livré un brouillon de Doustour rédigé par plusieurs commissions manquant d’expérience et de connaissances, sans collaboration ni cohérence entre elles, dont la qualité du texte est d’un niveau élémentaire basique, flou et regorge de confusions, menace les libertés et les droits de l’Homme, fait (ou voulant faire) la part belle à la défense du sacré, et représente une régression par rapport au texte de 1959…

Ce projet de Doustour ne prend pas en compte les valeurs de la révolution (liberté, justice, dignité) et porte les germes d’une dictature théocratique «parlementaire». Il n’est ni acceptable ni amendable.

Toutes ces contreperformances l’échec cuisant dans la gestion des affaires de l’Etat font perdre à l’Anc et à son gouvernement toute légitimité de poursuivre le pilotage de la période de transition.

Toute tentative de se maintenir au pouvoir au-delà de la période légale sera considérée comme un coup d’Etat, mettra les constituants et le gouvernement hors-la-loi et mènera le pays vers plus de confrontations et de violences. Le pays ne peut se permettre une crise institutionnelle et politique ni d’accepter le pourrissement de la situation économique et sociale, encore moins la fuite en avant en ne respectant pas la légalité juridique et électorale ni l’éthique politique.

Feuille de route pour sortir de la crise

Pour toutes ces raisons exposées ci-dessus, nous proposons*, en cas de non approbation du nouveau Doustour avant le 23 octobre 2012  – comme prévu dans le décret-loi 1086 du 3 août 2011 – de dissoudre l’Anc et le gouvernement, et de mettre en œuvre la feuille de route, en trois volets, présentée ci-après.

A. Le Président de la République, en exercice, restera en fonction et nommera le 24 octobre 2012, un Premier ministre – personnalité consensuelle, intègre, indépendante et compétente – pour composer un gouvernement restreint (voir une proposition de composition dans la version détaillée) de salut national, qui gérera les affaires courantes.

La mission du gouvernement de salut national prendra fin suite à l’élection du nouveau président de la république ou celle du nouveau parlement. Ce gouvernement aura pour principales tâches (un programme plus précis est proposé dans la version détaillée) de :

1. rétablir la sécurité juste pour tous; garantir l’indépendance de la justice et traiter en urgence et en toute transparence le dossier des martyrs et blessés de la révolution (y compris ceux du bassin minier de 2008);

2. lutter efficacement contre le favoritisme, le clientélisme, la corruption et les malversations;

3. équilibrer les comptes publics; accroître l’investissement public et privé créateur d’emplois et en particulier dans les régions sinistrées.

B. Le président de la république et le Premier ministre, après consultation des différents acteurs de la société civile, les syndicats professionnels, les organisations politiques et divers experts indépendants, décideront ce qui suit:

1. constituer selon les meilleures pratiques et standards internationaux: a. un Conseil indépendant de régulation du secteur des medias (presse et audio-visuel), et, b. un Conseil supérieur de la magistrature;

2. constituer des commissions indépendantes afin de: a. établir les rôles et les responsabilités politiques et opérationnelles des différents acteurs dans la répression des manifestants pacifiques depuis le 17 décembre 2010; b. proposer et mettre en  œuvre un processus et un comité de «vérité, justice et réconciliation»; c. proposer une réforme du système judiciaire pour garantir une justice sereine, rapide, efficace, indépendante et au service du citoyen; d. proposer une réforme du ministère de l’Intérieur pour garantir un service républicain dans le respect des droits du citoyen.

Toutes les commissions doivent présenter leurs propositions dans les 4 mois suivants leur constitution, pour une consultation nationale (1 mois), et publier la version finale des résultats de leurs travaux un mois plus tard (durée totale maximale 6 mois). Le gouvernement de salut national et les gouvernements suivants s’engageront à respecter l’esprit des réformes et le processus qui seront proposés par ces commissions.

C. Le président de la république nommera une commission d’experts – une trentaine de personnes – (spécialistes du droit constitutionnel, juristes, économistes et financiers, représentants de syndicats…) pour :

1. Réformer l'ISIE afin de garantir son indépendance et la transparence du déroulement de l’ensemble du processus électoral ;

2. Proposer une constitution basée sur les principes de la démocratie, du consensus et du dialogue social. Elle doit répondre aux objectifs de la révolution et aux exigences de notre époque et des générations futures ;

3. Proposer des règles de nomination et d'organisation des conseils constitutionnel, de la magistrature, de la banque centrale, de régulation des medias, et de régulation des secteurs des communications électroniques (toutes les nominations doivent être approuvées par le parlement, au moins à la majorité des 2/3 voire plus);

4. Proposer les conditions de candidature et une loi électorale pour chaque élection;

5. Proposer une nouvelle loi d'organisation des partis politiques et des associations conforme aux standards internationaux ;

6. Proposer au référendum (au bout de 150 jours depuis la constitution de la commission d’experts) la constitution et toutes les propositions de loi mentionnées ci-dessus ;

7. Proposer un calendrier pour l'organisation des différentes élections après l'approbation de la constitution et des différentes lois soumises au référendum.

 

* Consultant, conseil en management stratégique.


Résumé en français (Pdf).

Résumé en arabe (Pdf).

Version détaillée (Fr) de la feuille de route de sortie de crise.

Pour signer la pétition.