Tunisie. Manifeste de solidarité avec le doyen Habib Kazdaghli et l’artiste Nadia JelassiNous reproduisons ci-dessous le «Manifeste de solidarité avec le doyen Habib Kazdaghli, l’artiste Nadia Jelassi et tous les défenseurs des libertés académiques, de la liberté de création et de la liberté de presse en Tunisie.»

Le procès intenté contre le doyen de la Faculté des lettres, des arts et des humanités de la Manouba (Flahm), Habib Kazdaghli, par une étudiante portant le niqab, qu’il aurait prétendument agressée, reprendra, le 25 octobre prochain, après la requalification lors de la première audience, à la surprise générale, par le ministère public des faits qui lui sont reprochés. Il risque désormais une peine de cinq ans de prison pour une affaire cousue de fil blanc tandis que les véritables agresseurs continuent à jouir de l’impunité la plus totale.

- Considérant que les accusations portées contre le doyen Habib Kazdaghli n’ont aucun fondement et que le procès intenté contre lui a un caractère éminemment politique, que la plaignante et ceux qui la soutiennent essaient d’instrumentaliser la justice pour la pousser à condamner l’un des défenseurs emblématiques des valeurs académiques qui s’est engagé à préserver l’autonomie de l’institution universitaire et à imposer le respect des normes académiques et pédagogiques séculaires, rigoureuses et efficaces établies par la profession et malmenées par les extrémistes religieux;

- considérant que le procès en cours fait partie d’une campagne destinée à museler les libertés universitaires violées à plusieurs reprises et, d’une manière ostensible, à l’occasion de l’interdiction imposée en avril dernier, au professeur Nouri Boukhchim, soumis à des formes diverses de violences, de donner une leçon sur l’architecture islamique dans l’enceinte de la mosquée Zitouna;

- considérant que ce procès confirme le climat inquisitorial qui sévit dans le pays et qui vise la liberté d’expression, et de création, climat dont témoignent notamment les campagnes de dénigrement systématique et les intimidations contre les défenseurs des libertés;

- considérant que ces campagnes ont encouragé les agressions contre les journalistes déterminés à faire respecter le code de déontologie journalistique, à l’image de l’agression sauvage perpétrée contre  Khalil Hanachi et qu’elles ont été à l’origine du calvaire subi par les artistes ayant exposé en juin dernier au Palais d’El-Abdellia, et particulièrement Nadia Jelassi, l’artiste plasticienne et enseignante à l’Ecole des Beaux-arts de Tunis et le peintre Mohamed Ben Slama, d’abord persécutés par des extrémistes religieux au nom de «l’atteinte au sacré» et faisant maintenant l’objet de poursuites judiciaires…

Les universitaires, les créateurs, les artistes, les journalistes, les acteurs de la société civile, les défenseurs des droits humains, les Tunisiens concernés par le devenir des libertés dans leur pays:

1- expriment par le présent manifeste leur profonde inquiétude et leur vive indignation face à la tournure éminemment  politique prise par le procès contre le doyen de la Flahm et par l’instruction judiciaire contre les deux artistes  et appellent les autorités à mettre fin aux pratiques éculées d’instrumentalisation de la justice par des parties dont les desseins liberticides sont évidents et avoués en entamant un processus de réformes qui aboutira à l’indépendance de la justice;

2- demandent aux juges de prononcer l’acquittement qui est le seul jugement équitable dans le procès Kazdaghli et exigent l’arrêt des poursuites judiciaires engagées contre les artistes Nadia Jelassi et Mohamed Ben Slama dont le seul tort est d’avoir voulu exercer leur droit à la liberté artistique;

3- appellent, pour parer à ses dérives les Constituants tunisiens, à prendre la responsabilité historique de la constitutionnalisation des libertés académiques, de la liberté d’expression, de la liberté de création et de la liberté de presse;

4- réclament une intervention immédiate du gouvernement tunisien pour protéger les enseignants, les journalistes, les artistes et les créateurs tunisiens soumis à des menaces et à des provocations dans l’exercice de leurs fonctions;

5- appellent, tout en étant catégoriquement opposés au retour de la police dans l’enceinte universitaire et à la répression de l’exercice du droit à la liberté d’expression, le gouvernement tunisien à protéger les établissements d’enseignement supérieur contre la violation de leur enceinte par des miliciens et des éléments étrangers à ces institutions et le personnel y exerçant contre les violences perpétrées à son encontre conformément aux lois en vigueur qui obligent l’Etat tunisien à protéger ses citoyens contre les violences et à traduire leurs auteurs devant les tribunaux;

6 - rappellent au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique que les codes vestimentaires universitaires, scolaires et professionnels ne sont pas régis, dans les républiques civiles et démocratiques, par des lois votées par les parlements ou les assemblées constituantes mais fixés par la profession à partir de motivations qui font prévaloir l’efficience pédagogique ou l’efficacité professionnelle sur les considérations politiques, religieuses ou sectaires;

7 - exhortent le ministre de l’Enseignement supérieur à la publication d’une position claire au sujet du procès intenté à un doyen élu et le prient de rappeler à tous ceux qui fréquentent l’université la nécessité de la stricte observance des codes vestimentaires en vigueur dans l’institution universitaire et d’appuyer, sans ambiguïté aucune, le droit des établissements d’enseignement supérieur, confirmé par le Tribunal administratif, d’interdire le port de tout vêtement voilant le visage pendant les séances de cours, les examens, les séances d’encadrement et à l’occasion des services  rendus par l’administration.

Pour signer le manifeste.