Une coalition d’association a organisé, lundi, devant l’Assemblée constituante un sit-in pour exiger le maintien du projet d’article 27 relatif à la criminalisation de la normalisation avec Israël.
Par Meriam Hammami*
Est-ce vraiment le moment? Pourraient se demander beaucoup de nos concitoyens. Je dirais que c’est le moment ou jamais et ce pour six bonnes raisons:
1- Parce que la lutte contre la pauvreté passe par la lutte contre la normalisation: C’est parce que la Tunisie postrévolutionnaire passe par une phase critique et que des décisions importantes sur le plan économique, social et politique doivent être prises qu’il faudrait parler de la normalisation avec l’entité sioniste.
Pour se construire la Tunisie n’a pas besoin de solutions placebo et temporaires mais d’une ligne claire à suivre, d’un projet qui puisse à long terme résoudre les problèmes du chômage et de la pauvreté.
Il faut se rappeler que la normalisation avec l’entité sioniste n’est pas un choix idéologique pour la paix mais c’est une décision politique qui implique la souscription à un systeme économique dominé par les Etats-Unis, la première puissance mondiale, et son rejeton sioniste né en 1948.
Les Etats-Unis promettent aux pays des aides financières en échange de la reconnaissance de l’Etat d’Israël. Pour avoir de l’argent un pays, comme la Tunisie, doit entrer dans le club des pays amis d’Israël. Mais est-ce que la normalisation permettrait au pays de prospérer?
La réponse est NON, car le système d’aide financière crée un pays complètement dépendent du pays donateur. La normalisation donc ne permet pas aux pays de prospérer… bien au contraire !
Les accords de Camp David, signés en 1978 entre l’Egypte et Israël, en sont la preuve. Deux facteurs ont poussé Anouar Sadate vers le chemin des négociations avec Israël: d’une part l’enlisement de la situation issue de la guerre de 1973 ainsi qu’une crise économique profonde et les émeutes de la faim qui éclatèrent au Caire et dans d’autres villes d’Egypte en janvier 1977.
Plus de trente ans après les concessions faites à Israël par le président égyptien, l’Egypte reste un pays qui dépend des aides financières des Etats-Unis et qui compte plus de 30 millions de pauvres.
Pour que nous puissions avancer il faudrait arrêter donc de chercher la solution à la pauvreté et au chômage dans les caisses d’un Lobby israélo-américain, le pays doit pouvoir compter sur un potentiel humain libre et espérer un jour renverser la mondialisation inéquitable en créant une économie de résistance.
2- Parce que la dignité de l’homme ne devrait jamais passer en second plan: La normalisation est un crime car elle implique l’acceptation des boucheries commises envers le peuple palestinien, la légitimation du colonialisme sioniste et la reconnaissance de l’un des mythes fondateur de l’Etat sioniste, celui de la «terre sans peuple pour un peuple sans terre».
La révolution tunisienne n’a pas revendiqué seulement du pain, mais aussi la dignité qui passerait bien avant le pain empoisonné qui nous est tendu par les sionistes.
La normalisation avec Israël est une humiliation de plus au peuple arabo-musulman qui accepterait qu’un mouvement génocidaire et colonialiste puisse lui dicter ses lois sans jamais pouvoir être contesté ou critiqué, car dénoncer les crimes de l’armée israélienne est considéré aujourd’hui comme un acte de racisme et d’antisémitisme.
3- Par principe : pourquoi accepter de «normaliser l’anormal»? Il faut penser à la normalisation comme à une «colonisation de l’esprit», par laquelle le sujet opprimé en vient à croire que la réalité de l’oppresseur est la seule réalité «normale» à laquelle il peut souscrire, et que l’oppression est un fait accompli dont il doit s’accommoder.
Cela défie l’imagination que des sionistes ne puissent pas être sanctionnés pour le meurtre quotidien d’innocents, l’empoisonnement de leur eau, la démolition de leurs maisons, la destruction de leurs cultures, pour l’interdiction aux Palestiniens du droit au travail, pour l’utilisation des armes de destructions massives contre une population sans défense.
Militer contre la normalisation permet de rétablir la vérité car le massacre des Palestiniens est un crime contre l’humanité dénoncé par l’Onu et ce n’est pas parce qu’il est resté impuni qu’il doit être normalisé.
4- Parce que l’impossible n’est pas tunisien: Est-ce qu’une campagne de ce genre pourrait changer les choses?
Les Tunisiens ont démontré, le 14 janvier 2011, qu’une fois le mur de la peur abattu tout devient possible. L’initiative de la Ligue tunisienne pour la tolérance (Ltt) lancée depuis décembre dernier avec le slogan: «Je suis tolérant donc Je suis antisioniste» a été critiquée avec virulence par André Nahum http://www.terredisrael.com/infos/, ce qui prouve que la campagne ne passe pas inaperçue.
Mais pour qu’un mouvement de ce genre puisse porter ses fruits, les Tunisiens doivent s’unir et la lutte contre la normalisation est une opportunité en or pour retrouver une cohésion perdue.
La Tunisie est rongée par des problèmes économiques et par des conflits internes qui mettent en péril la stabilité du pays. S’unir pour résister face au véritable ennemi commun est l’unique solution pour pouvoir avancer… ensemble.
5- Parce que la campagne contre la normalisation est un message de paix et d’espoir: L’appel lancé par la Ligue n’est pas un appel à la violence ni à la haine contre les personnes de confession juive dont nous respectons la foi et qui comptent dans leur rang des personnes qui militent activement contre le sionisme.
Ceux qui contestent l’existence de l’entité sioniste sont stigmatisés et accusés d’être antisémites mais cette stigmatisation injuste et sans fondements ne nous empêchera pas de lutter contre la normalisation avec une entité brutale, intolérante et génocidaire, qui ne respecte aucune convention internationale et bafoue les droits de l’homme.
Notre campagne est une lutte contre l’injustice et l’oppression, la Tunisie a été le premier pays arabe à mener un combat courageux contre la tyrannie et devra continuer sur sa lancée et aller jusqu’au bout de sa lutte contre l’oppression.
6- Parce que la constitution s’écrit aujourd’hui:
Le gouvernement provisoire actuel a la lourde tâche d’écrire la constitution de notre pays, c’est le moment donc de revendiquer la criminalisation de la normalisation dans la constitution. L’élaboration d’un projet de loi qui condamnerait la normalisation permettrait de préserver la souveraineté du pays et la dignité des Tunisiens.
* Vice présidente de la Ligue tunisienne pour la tolérance (Ltt).
Articles de la même auteure dans Kapitalis :
Pour la criminalisation de la normalisation avec Israël dans la constitution tunisienne
Que veulent les «salafistes» tunisiens?
Tunisie. Peut-on se suffire de la condamnation des violences «salafistes»?