Le rêve d’une Tunisie moderne, ouverte, tolérante, égalitaire et démocratique aujourd’hui métamorphosé en un cauchemar peuplé d’étranges hordes vociférantes…
Par Mohamed Ridha Bouguerra*
Le lâche lynchage commis par les milices de la prétendue Ligue de protection de la révolution de Tataouine et qui a coûté la vie à feu le militant Lotfi Naqdh, jeudi 18 octobre, est un acte de nature fasciste. Il ne présage, hélas, rien de bon quant à la poursuite de la deuxième phase de la transition démocratique et annonce, par contre, que le temps des assassins est arrivé. Il constitue aussi, sans doute, les prémices d’une fascisation de la vie politique dans notre pays.
L’Etat complice des milices fascistes
Quand des groupes de citoyens, sans considération du préjudice qu’ils causent tant aux institutions de l’État qu’à la paix civile, s’érigent en justiciers et s’attaquent, en toute impunité, aux personnes et aux biens d’autrui sous prétexte de procéder à une soi-disant «épuration» de l’administration locale d’éléments étiquetés antirévolutionnaires, ils se comportent manifestement comme une organisation fasciste.
Quand le porte-parole du ministère de l’Intérieur essaie de camoufler la vérité aux citoyens et présente un meurtre collectif suite aux violences subies par la victime comme une simple mort par «crise cardiaque», il y a là de la part d’une voix autorisée de l’État un soutien implicite et déguisé apporté aux agresseurs et une dérive incontestablement fasciste.
Quand un responsable politique comme M. Ghannouchi déclare que «Nida Tounès est plus dangereux que les salafistes», il donne, en quelque sorte, qu’il le veuille ou non, un permis de tuer à ses partisans et se comporte comme le chef d’un parti fasciste.
Le fils de Lotfi Naqdh, assassiné par des milices pro-Ennahdha.
Quand le ministre de l’Intérieur reproche aux partis de l’opposition de pratiquer la surenchère et d’enflammer les esprits par des propos non mesurés, minimise, dans une déclaration au quotidien ‘‘Le Maghreb’’ (19 octobre), ce meurtre et qu’il le considère accidentel comme il en arrive, selon lui, suite à des altercations sur la voie publique, il couvre, en réalité, les meurtriers d’un paisible père de six jeunes enfants et se rend, consciemment ou inconsciemment, complice des membres de milices fascistes.
La menace du désordre fasciste
Quand un personnage de la stature de Ajmi Lourimi, président du secteur culture, éducation et jeunesse du parti Ennahdha, déclare sur sa page Facebook, à l’adresse de «ceux qui veulent faire de la Tunisie un pays ingouvernable», selon ses propres termes (voir Mag 14 du lundi 15 octobre): «La Tunisie post révolutionnaire sans Ennahdha ressemblera à la Somalie», il commet une opération indigne d’un homme politique averti et responsable car il y a là clairement un chantage, une menace ouverte contre l’ordre public, une négation de la transition démocratique et les germes d’une pensée nettement fasciste.
Quand trois obscurs chefs salafistes organisent une conférence de presse après avoir eu les honneurs du Palais de Carthage et celui d’un entretien avec le président provisoire de la république, évoquent les quantités d’armes en circulation dans le pays et finissent par nous prédire un scénario à l’algérienne et tout cela sans qu’ils soient le moins du monde inquiétés par la justice, on est autorisé à dire qu’il y a là un partage des rôles et une fascisation rampante de la scène politique.
Bref, quand dans un pays des milices partisanes se substituent aux forces de l’ordre, passent publiquement à l’acte, terrorisent la population, se considèrent au-dessus des lois, jouissent de l’impunité, sont assurées du laxisme, voire de la complaisance pour ne pas dire de la complicité de la classe politique au pouvoir, c’est que le temps des assassins est arrivé!
Nour, la fille de feu Lotfi Nagadh s'interroge qui lui a pris son père.
C’est la preuve également que la menace du désordre fasciste est devenue plus palpable et prégnante. C’est, enfin, la manifestation du mirage dans lequel s’est malheureusement dissous le rêve conçu un certain 14 janvier après la chute de la dictature. Faudrait-il attendre donc d’autres meurtres pour mettre hors d’état de nuire ces dangereux groupuscules et les décréter hors-la-loi afin que le rêve d’une Tunisie moderne, ouverte, tolérante, égalitaire et démocratique ne se métamorphose pas définitivement en un cauchemar peuplé d’étranges hordes vociférantes à l’image des célèbres sections d’assaut des chemises brunes nazies? Afin aussi de libérer notre islam pris en otage par des fascistes (voir le saccage et l’incendie du mausolée de Sayda Manoubia) qui croient avoir le monopole de la religion comme d’autres pensent avoir le monopole du cœur!