Tunisie. Contre l’exclusion collective et le «délit d’affiliation politique»Dans cette tribune, l’auteure apporte des précisions sur les circonstances de sa participation à l’événement organisé, dimanche 21 octobre, à Bab Souika, par le comité de la protection de la révolution, aux côtés de dirigeants d’Ennahdha.

Par Sihem Bensedrine*

Ma participation à l’événement organisé le dimanche 21 octobre par le comité de la protection de la révolution de Bab Souika a suscité une cabale de la part de certaines parties mal intentionnées et une grande colère de la part de certains de mes amis. Je dois une explication à mes amis, la voici:

J’ai été invitée pour intervenir à une «conférence» pour débattre de «l’opportunité de promulguer une loi sur la lustration des anciens membres du Rcd» où la pluralité des opinions devait être respectée (engagement non tenu) et cela bien avant le tragique événement de Tataouine qui a coûté la vie à un citoyen et où sont impliqués des membres de cette ligue.

J’ai accepté de participer à un débat qui interpelle l’ensemble des citoyens en ce moment et je souhaitais communiquer la position des défenseurs de droits humains sur cette question à un public non averti.

Une conférence transformée en meeting politique

Je voudrais tout d’abord préciser une chose: j’ai toujours accepté d’intervenir dans les conférences de ces comités «révolutionnaires» depuis leur existence ; j’ai parfaitement conscience des interférences politiques et des tentatives de manipulation de ces cadres de la part de plusieurs partis politiques de toutes obédiences et notamment de Ennahdha et même des services de sécurité. Mais j’estimais que cela ne constituait pas un obstacle au débat, bien au contraire, mon devoir me dictait de parler à ces jeunes désorientés qui forment le corps de ces groupes et de ne pas les laisser otages de la propagande politique de tous bords.

Avant Bab Souika, il y a eu Lafayette, Mellassine, Monastir, El Jem, et bien d’autres encore. A chaque fois, je n’ai pas regretté d’avoir parlé avec ces jeunes qui ne savaient plus qui croire.

A Bab Souika, la même motivation m’animait et je n’ai pas regretté d’y avoir participé, mis à part le détournement de la conférence qui s’était transformée en meeting politique avec une forte coloration politique que je n’assume pas et rejette, mais cela fait partie des risques que je prends et que je paye parfois chèrement.

Ma position est très claire, je refuse et je refuserais toujours la bipolarisation de la scène publique. Nous l’avons subie durant deux décennies par la faute d’égoïsmes politiques et sous l’effet de la peur qui gouverne les esprits jusqu’à la myopie.

Aujourd’hui, je subis une pression terrible pour que je m’aligne sur les uns ou sur les autres ! Je m’y refuse comme auparavant quel qu’en soit le prix ; parce que cette voie de la discorde ne peut mener qu’à la division de la Tunisie, préjudiciable à une vraie construction démocratique.

Rompre avec les pratiques politiques exécrables

A Bab Souika, j’ai essayé de tenir un discours d’apaisement et de faire prévaloir le langage de la raison. J’ai dit en substance deux choses :

1- Nous devons tous dénoncer clairement le lâche assassinat politique qui a eu lieu à Tataouine, il n’honore ni les révolutionnaires, ni la Tunisie dont nous rêvons; nous devons également exiger que les coupables soient identifiés et traduits en justice. C’est là un acte de fidélité aux principes de la révolution. Nous ne devons en aucun cas encourager l’impunité, il y va des principes de base de l’Etat de droit que nous cherchons à édifier.

2- Le Rcd, ce n’est pas seulement une structure et des individus ; ce sont surtout des pratiques politiques exécrables que nous devons extirper de nos mœurs politiques et ceux qui gouvernent sont et seront toujours tentés par le recours à ces pratiques clientélistes et ses conséquences corruptrices; la plus grande victoire du Rcd, ce n’est pas que certains de ses ex-membres adhèrent à de nouveaux partis, mais qu’il ressuscite en nous et que ceux qui sont en charge de conduire la transition démocratique reproduisent l’hydre à plusieurs têtes qui a sucé le sang du pays et handicapé son développement durant des décennies. Ce sera notre plus grand échec.

Nous défenseurs, nous avons une position claire sur le fait d‘éliminer de la vie publique une frange importante de la population de façon collective ; nous sommes contre l’exclusion collective et le «délit d’affiliation politique»; ceux qui dirigent le pays actuellement ne doivent pas oublier qu’ils en ont longuement souffert. Nous sommes par contre en faveur de la responsabilité individuelle et pour accélérer le processus de justice transitionnelle qui est à la base d’un règlement du passé de façon équitable et conforme aux principes démocratiques et non dictatoriaux.

Je sais que j’ai été entendue, non pas par les «idéologisés» mais par les gens ordinaires qui attendent un discours qui les rassure. Je regrette seulement que ma participation ait pu être instrumentalisée, qu’en ma présence des slogans dangereux aient été scandés.

* Présidente du Conseil national des libertés en Tunisie (Nclt).

* Les titre et intertitres sont de la rédaction.