La Tunisie vit aujourd’hui dans une atmosphère de malaise généralisé où l’entreprise tunisienne semble complètement larguée et laissée à son sort, et d’abord par le gouvernement provisoire.
Par Kilani Bennasr*
Déjà quelques années avant la destitution du régime de Ben Ali, l’entreprise tunisienne souffrait de plusieurs maux. D’abord de la voyoucratie instaurée par des hordes de malfaiteurs de la famille de Ben Ali et de ses proches qui envahirent le marché et empêchèrent le respect des procédures. Ensuite c’est le comportement laxiste de Ben Ali lui-même à l’encontre de ces hors la loi, son indifférence quant à l’avenir du pays et au rôle que devrait jouer l’entreprise dans le pays.
Absence d’un plan de développement de l’entreprise
François Mitterrand disait: «Les Français commencent à comprendre que c’est l’entreprise qui crée la richesse, qui détermine notre niveau de vie et notre place dans la hiérarchie mondiale» (‘‘Jeune Afrique’’, N° 2632).
Ben Ali était à la fin de son règne, désintéressé et incapable de relancer l’économie de son pays vers l’avant comme l’avait fait l’ancien président français.
Après les élections du 23 octobre 2011, le gouvernement provisoire, avec sa bonne volonté du début, s’est retrouvé cloîtré entre les exigences d’un peuple en révolution et les directives de son parti politique gagnant aux élections. Sans programme, il n’avait qu’un seul choix, celui de continuer dans le sillage du plan de développement économique légué par le gouvernement de Ben Ali.
Conséquence: l’entreprise se trouve lâchement «larguée» et les Tunisiens et leurs partenaires internationaux ont découvert que le gouvernement provisoire n’a, en réalité, ni plan de développement de l’entreprise, ni outils, ni imagination et créativité humaine. Pour improviser et ne pas bloquer les rouages de l’économie nationale déjà rouillés, il serait même en train d’interdire tout esprit d’initiative à ses responsables nouvellement ou prochainement désignés à cet effet.
Horrifié par les réactions sociales démesurées et la grogne de l’opposition et de la société civile, découragé en sus par le faible rendement de ses hommes, le gouvernement provisoire aurait perdu le goût et la capacité de faire quoi que ce soit.
Hamadi Jebali reçoit Wided Bouchamaoui, président de l'Utica, syndicat patronal, le 31 décembre 2012.
Sans exagération, la contestation multi facette a atteint un seuil où le risque que la situation dégénère et devienne incontrôlable n’est pas exclu.
Les gouvernements tunisiens depuis l'indépendance avaient accompagné les entreprises sans un engagement à cent pour cent, faute de convictions des politiciens. Cependant, le bilan économique restait globalement positif.
Le gouvernement provisoire a débarqué avec une idée-force purement politique. Ce qui l’intéresse c’est le pouvoir et rien que le pouvoir. Il ignore la culture du résultat, la valorisation du mérite, le sens de l’entreprise, etc... Un langage pourtant simple que devrait connaitre tout candidat maghrébin aux élections municipales en France! Il ne concrétise presque aucune de ses promesses de la campagne électorale, ses activités économiques majeures se limiteraient à l’endettement et à l’alourdissement des dépenses publiques.
La fausse panacée de l’endettement extérieur
Entre l’endettement extérieur et la relance l’entreprise, principale source de production et seule capable de compenser les déficits, le gouvernement actuel opte pour la deuxième alternative, la plus facile à mettre en place mais la plus lourde de conséquences.
L’ex-président américain John Adams (1797-1801), disait: «Il y a deux manières d’asservir un peuple, soit par le glaive, soit par la dette». La devise du gouvernement provisoire et du parti au pouvoir serait celle-ci: «S’endetter maintenant, on verra plus tard».
Une bonne partie des Tunisiens leur aurait encore gardé leur soutien s’ils avaient compté seulement sur les possibilités intrinsèques de la Tunisie, s’ils s’étaient consacrés aux vraies préoccupations des citoyens et évité d’alourdir la dette extérieure de l’Etat.
Les citoyens et la société civile sont les derniers à être informés de l’endettement à tort et à travers de la Tunisie auprès des banques arabes et internationales et d’autres créanciers à des conditions assez contraignantes, et qui interdisent tout projet de développement durable et aliènent longuement la volonté de l’Etat.
Bouchamaoui reçue par le chef du gouvernement le 6 janvier 2012.
Il est inadmissible que l’entreprise devienne le dernier des soucis du gouvernement provisoire et du parti au pouvoir alors que l’économie stagne, que l’importation s’accroit, que les exportations baissent, que le déficit commercial se creuse et que le taux d’inflation atteint des niveaux exceptionnellement haut.
On dénombre aujourd’hui plusieurs avis de grève, de nombreux arrêts de production, des grèves sauvages, lors que les acteurs sociaux continuent à harceler les entreprises qui sont déjà très mal en point, sans que le gouvernement provisoire bouge. Ce qui crée une atmosphère de malaise où l’entreprise tunisienne semble lâchée par les siens.
* Colonel retraité.