Le parti islamiste au pouvoir s’emploie, méthodiquement, à garantir le maximum de facteurs favorisant sa victoire aux prochaines élections, dont son arrogance ne lui permet pas de douter. 

Par Abderrazak Lejri*

 Le parti Ennahdha fourbit ses armes en vue des prochaines élections, et contrairement à ceux qui pensent que l’échec de sa gouvernance va l’amener à davantage de consensus, plus sa légitimité est érodée et plus il ira en se radicalisant.

Ce parti, a décliné à plusieurs reprises – dans un discours qui a le mérite de la clarté – le projet de société qu’il réserve aux Tunisiens et surtout aux Tunisiennes et il s’apprête à se maintenir mordicus au pouvoir quel qu’en sera le prix, y compris un bain de sang.

Les élections d’octobre 2011 pas si transparentes que ça

Le peuple Tunisien n’a pas boudé son plaisir et sa joie à l’occasion des premières élections libres du 23 octobre 2011 pour la symbolique des files d’attente disciplinées et de la présence non contrôlée d’observateurs locaux et étrangers. Mieux encore: il n’y a pas eu de bourrage flagrant des urnes comme cela se faisait du temps du régime honni de Ben Ali.

Sans remettre en cause le résultat de ces élections favorable au parti islamiste Ennahdha, il ne faut pas occulter les dépassements inqualifiables de la campagne électorale dans les régions, y compris le recours aux anciennes méthodes de ramassage des électeurs, d’embrigadement des groupes de personnes démunies et leur motivation financière en contrepartie d’un vote ciblé.

A cela s’est ajouté la non transparence dans les sources de financement de la campagne du parti Ennahdha, qui s’est découvert en démissionnant de la fameuse instance Ben Achour dès que le sujet a été mis sur le tapis.

Les élections du 23 octobre 2011 n’ont pas été si transparentes que ça, car si l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) a mis les garde-fous au niveau de l’organisation du vote et du dépouillement, nul n’ignore que les deux organismes qui ont traité le fichier électoral ne sont pas obligatoirement neutres (Centre national de l’informatique, Cni, dont le nouveau Pdg a été nommé début avril de cette année par le gouvernement transitoire actuel, qui devient par la même un obligé d’Ennahdha pour les prochaines élections) et la direction informatique du ministère de l’Intérieur, qui est dépositaire du fichier nominatif des cartes d’identité nationales.

Préparation d’un contexte électoral favorable à Ennahdha

Le parti islamiste, grâce à sa mainmise sur le gouvernement de transition, a tout fait pour freiner l’avènement des trois instances indépendantes devant régir l’organisation des médias, de la justice et des élections (et la loi électorale qui lui est associée).

Il a eu la cohérence d’asservir tout l’appareil de l’Etat – malgré les dénonciations quotidiennes et récriminations notamment d’une opposition désunie et d’une opinion publique méprisée, ignorée ou objet de déni systématique – en différant à son profit la réforme attendue.

Sur le plan logistique, cela a consisté à nommer (en l’absence des textes régissant les instances précitées) ses affidés à la tête des principaux postes verrouillant les rouages de l’Etat (gouverneurs, délégués, juges, etc.), les haut responsables de l’administration et des médias publics et à négocier en sous-main avec les hommes d’affaires véreux de l’ancien régime un deal d’absolution de leurs crimes politiques et économiques dans le cadre d’une vaste opération de chantage en dehors d’une justice transitionnelle qu’on a pris soin de brider.

Pour préparer davantage le climat propice à une mobilisation de son électorat, Ennahdha a constamment mis la pression sur toutes les composantes de la société en instrumentalisant la religion et en diabolisant notamment l’atteinte au sacré et en favorisant la violence politique instaurant un climat de terreur dont l’énumération des faits et dépassements prendrait des dizaines de pages.

Dès que ce parti a senti avoir garanti le minimum de facteurs favorisant sa victoire électorale escomptée aux prochaines élections (dont son arrogance ne lui permet pas de douter), il a enfin concédé d’envisager les réformes relatives aux médias, à la justice et aux élections et à annoncer un agenda électoral pour l’été 2013.

La fiabilité du fichier électoral non assurée

Rached Ghannouchi au petit soin des urnes

Rached Ghannouchi aux petits soins des urnes.

Les dizaines d’appels à la démission des membres du gouvernement pour incompétence criarde et avérée, notamment celle du ministre de l’Intérieur suite à des fautes graves et impardonnables sont ignorées avec mépris et les ténors du parti islamiste sont montés au créneau pour affirmer avec morgue que jamais les postes des ministères de souveraineté ne seront concernés par un quelconque changement.

Il faut que l’on cesse d’avoir la naïveté de croire que le parti Ennahdha, qui a imposé à ses propres alliés dans la «troïka» gouvernementale la nomination de ses membres à ces postes clefs lors de la constitution du gouvernement transitoire va – malgré l’échec du rendu durant une période provisoire – en céder les prérogatives à des indépendants a fortiori à des membres de l’opposition.

Dans tous les cas, et l’avenir nous le dira, jamais le poste du ministère de l’Intérieur ne sera négociable. Et pour cause: quelle que soit l’indépendance de la prochaine commission électorale, le ministère de l’Intérieur restera partie-prenante du processus électoral.

Sur le plan technique, le Cni a hébergé les données et moyens de traitement pour le compte de l’Isie en recoupant le fichier électoral avec l’état civil (système Madania), les données du ministère de la Justice pour les exclus pour déchéance des droits électoraux et celles du ministère de la Défense pour les personnes mobilisées et les militaires.

Or, dans le nouveau contexte, on ne pourra parler de totale transparence et de neutralité que lorsque la prochaine Isie disposera de sa propre plateforme dédiée (équipements informatiques, réseaux et logiciels) et sécurisée y compris au niveau de l’accès aux données avec une maitrise d’œuvre confiée à une société tierce couplée avec un audit technique permanent des données et des codes source des logiciels à confier à une autre entité, toutes dispositions non prises lors des élections d’octobre 2011.

La fiabilité et la complétude du fichier électoral restent tributaires des processus sécurisés de migration, d’acquisition et d’assainissement des données signalétiques des quatre millions d’électeurs potentiels additionnels non pris en compte lors des élections de 2011 et dont le traitement et l’éventuelle manipulation pourront influer sur l’équilibre des forces politiques en lice, en faveur de ceux qui détiennent l’actuel pouvoir et ne comptent jamais le lâcher.

* Chef d’entreprise. Pdg du Groupement Informatique.

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