Le système parlementaire est le plus démocratique et le mieux adapté à l'esprit républicain. Il n'en reste pas moins contre-indiqué dans les pays en transition démocratique, comme la Tunisie, où le corps électoral est volatile et éclaté.
Par Anis Somaï
D'après les conclusions du 9e congrès du parti Ennahdha, qui s'est déroulé du 12 au 15 juillet, le régime parlementaire serait le mieux adapté pour la gouvernance de la Tunisie. On peut se demander comment un parti fondé sur une obédience religieuse peut-il trouver le régime parlementaire, qui est, rappelons-le, un système très occidentalisé et démocratique par excellence, le mieux à même pour satisfaire les aspirations du peuple?
Les caractéristiques du système parlementaire
Par définition, le régime parlementaire est celui où le pouvoir législatif, représenté par le parlement, est dominant. Ce dernier, expression directe de la volonté populaire, peut, à juste titre, se composer d'une chambre unique sinon de deux chambres. S'il est constitué d'une chambre unique, celle-ci s'appelle chambre des députés. On est en présence d'un régime parlementaire monocaméral. Si le régime choisi est le régime parlementaire à deux chambres, la deuxième qui est instituée, théoriquement, pour faire contrepoids à la première, s'appelle chambre des conseillers. On est alors en présence d'un régime parlementaire bicaméral. La chambre des députés étant la chambre basse et celle des conseillers la chambre haute du parlement.
Le parlement, s'il est monocaméral, est élu au suffrage universel direct par les électeurs ayant plus de 18 ans. De la majorité parlementaire qui en ressort est issu, obligatoirement, un chef du gouvernement qui est Premier ministre et qui assoit donc son autorité en nommant les ministres à sa guise et de sa famille politique. Le président de la république, lui, est élu au suffrage universel indirect, par le parlement, mandatée qu'il est, par le peuple. C'est donc un vote par procuration où le peuple élit le parlement qui élit à son tour le président de la république.
Si le parlement est bicaméral, la chambre des conseillers est élue au suffrage universel indirect par les conseillers municipaux élus, en premier lieu, par la population.
Dans l'exercice du pouvoir, si le parlement n'est pas satisfait par le bilan gouvernemental et si cette insatisfaction est telle qu'elle atteint un point de non-retour, le parlement (chambre des députés) adresse une motion de censure à l'encontre du gouvernement ce qui prélude inévitablement et toujours à une crise politique. Cette crise pourra, cependant, être dépassée par le dialogue et l'arbitrage de plusieurs parties notamment le chef de l'État. Mais le Premier ministre pourrait choisir dans ce cas la démission de son gouvernement. Si une deuxième motion de censure est présentée par le parlement, le Premier ministre est dans l'obligation, cette fois, de présenter, sans équivoque, la démission de son gouvernement. Néanmoins, si le président de la république choisit de préserver le gouvernement, il doit, obligatoirement dissoudre la chambre des députés, ce qui prélude aussi à une crise politique et à la tenue d'élections législatives anticipées.
Dans la pratique, les présidents ayant eu affaire à ce genre de crise ont choisi majoritairement d'accepter la démission du gouvernement car il est beaucoup plus facile de substituer des ministres que d'organiser des élections législatives à travers le pays. La dissolution qui a eu lieu en France en 2005 par Jacques Chirac reste jusqu'à aujourd'hui un cas d'école qu'on étudie dans les facultés de sciences politiques.
Les vices du système parlementaire
Quels sont alors les vices du système, s'il est pratiqué en Tunisie, système qui est –rappelons-le – le nec plus ultra des systèmes républicains?
Pléthore partisane et effritement des voix : l'un des premiers vices de ce système c'est qu'il n'est pas compatible avec un grand nombre de partis à cause de l'effritement des voix. En général, le régime parlementaire réussit excellemment en présence de deux ou trois partis dominants ayant certains équilibres entre eux de part la base électorale et plus précisément le nombre et le drainage des électeurs.
Ce qui s'est passé au lendemain des élections du 23 octobre 2011 en Tunisie en est le meilleur exemple : après l'éclatement du Rcd, une centaine de partis ont vu le jour. Les partis progressistes se sont éparpillés sans voir l'intérêt à se regrouper ou à faire des alliances. L'effritement des voix a bénéficié directement à Ennahdha qui a remporté la relativité dans les rangs de la constituante. Pourtant, si ces partis progressistes s'étaient unis, ils auraient eu la majorité sans grande difficulté.
Affaiblissement du pouvoir présidentiel: comme la présidence du gouvernement (Premier ministre) ressort d'une élection au suffrage universel direct, le Premier ministre ainsi que les membres de son gouvernement jouissent d'une légitimité populaire issue directement des élections.
En outre, comme le Premier ministre aura été le choix de la majorité parlementaire, il est très difficile par la suite pour le parlement de voter une motion de censure à son encontre puisqu'il vient de la famille politique ayant raflé le plus de sièges au parlement. De plus, le parlement, et plus précisément la majorité parlementaire mesure avec gravité que, dans le cas où une motion de censure venait à être votée, cet acte constituerait, à juste titre, un franc désaveu de la majorité dans son ensemble.
La présidence de la république, elle, provient d'élection indirecte ou vote par procuration. D'emblée, le déséquilibre est flagrant entre une légitimité gouvernementale issue du vote populaire, et une présidence provenant d'un vote «procuratif». En Tunisie, nous avons été habitué à la situation contraire: la légitimité revient toujours au président de la république et elle lui est attribuée naturellement par les élections.
Dans le système parlementaire, cependant, le chef du gouvernement reste le principal acteur et donneur d'ordre dans le pays. Les prérogatives du président de la république se résument plutôt en un rôle de représentation et d'arbitrage. Le seul véritable pouvoir qu'il conserve est la dissolution du parlement.
Accaparement de deux pouvoirs par le biais d'une seule élection: en effet, dans le régime présidentiel, on attribue une élection pour choisir le président de la république et une élection pour choisir le parlement; les deux élections sont tout à fait indépendantes l'une de l'autre. Le président de la république et le parlement représentent chacun une institution à part et peuvent, de ce fait, ne pas appartenir à la même famille politique ce qui laisse libre cours au jeu démocratique et au débat.
Dans le régime parlementaire, on fait d'une pierre deux coups: les élections législatives aboutissent à une majorité parlementaire et celle-ci saisit l'opportunité de son élection, donc, en mettant la main sur de pouvoir exécutif par le biais de la nomination d'un Premier ministre et d'un gouvernement entier derrière. Comme le rôle du président de la république est très faible face au chef du gouvernement, il ne pourra point influer sur la marche des rouages de l'État, contrecarré qu'il est par le parlement d'une part et le gouvernement d'autre part. Le gouvernement et le parlement deviennent, de ce fait, complices avec une promiscuité dangereuse, leur pouvoir fusionne et devient quasi absolu ce qui nous fait retomber dans la tyrannie et la dictature.
Anéantissement de la bicéphalité : dans le régime parlementaire, le rôle du président de la république est très faible et sa faiblesse est la résultante naturelle du mode de scrutin à l'élection de ce dernier. Son pouvoir devient limité au profit du chef du gouvernement. C'est donc un pouvoir à une seule tête accaparé par le Premier ministre et son gouvernement. Or, en Tunisie il faudrait absolument avoir deux têtes au sommet de l'État pour laisser libre accès au jeu démocratique et pour éviter les dérapages qu'on a, d'ores et déjà, commencé à apercevoir depuis un bout de temps.
La cohabitation : c'est la conséquence directe de la relativité du nombre de sièges au parlement qui n'atteint jamais la majorité. Comment cela se passe en général? Une famille politique remporte un nombre assez important de sièges mais pas la majorité des sièges.
Comme la mosaïque politique tunisienne comporte un nombre pléthorique de partis, l'effritement des voix, sus exposé, fait que des familles politiques ayant, pourtant, les mêmes principes et orientations, obtiennent chacune un nombre limité de sièges au parlement. En additionnant tous ces sièges, ces partis qui militent pour les mêmes causes sont majoritaires au parlement mais malheureusement dispersés.
Corollaire de tout ce remue-ménage: le parti ayant la relativité parlementaire impose le Premier ministre de son choix et, par conséquent, un gouvernement entier. Comme les autres partis ont la majorité au parlement, mais que cette majorité reste dispersée, ils vont élire un président de la république issu de familles politiques différentes de celle du gouvernement. On aura donc un président de la république et un chef du gouvernement issus de familles antagonistes voire même ennemies ce qui est un handicap pour la bonne gouvernance du pays et qui engloutit le pouvoir exécutif (gouvernement) et le pouvoir législatif (parlement) ainsi que la présidence de la république dans des polémiques et des débats inutiles loin des vraies préoccupations du peuple et qui fait perdre beaucoup de temps et d'énergie à tous les protagonistes. L'affaire de l'extradition de l'ex-Premier ministre libyen Baghdadi, qui opposé il y a quelques mois le chef du gouvernement Hamadi Jebali et le président de la république Moncef Marzouki, en est le meilleur exemple.
Toutes ces réserves mises à part, le régime parlementaire reste un système tout en finesse et subtilité. Il repose essentiellement et fondamentalement sur des conventions et des usages de fait, que nul texte ne saurait préciser toute la richesse et la complexité. Cependant, en Tunisie, la subtilité des usages et l'absence de texte précis pourraient, en cette difficile phase transitoire où le corps politique reste encore largement volatile et indéfini, laisser libre cours aux dérapages.