Ces institutions qui se multiplient de manière anarchique dans le pays présentent un risque d'embrigadement et d'endoctrinement des enfants et de leurs parents. Mais le gouvernement laisse faire...
Par Sami Hilali*
De prime abord, le dossier des jardins d'enfants coraniques semblait relever essentiellement du ministère de la Femme et de la Famille, dont le premier responsable, Sihem Badi, a indiqué, le 22 septembre dernier, sur les ondes de Mosaïque FM, que son ministère est en train de collaborer avec la présidence du gouvernement, les gouverneurs et le ministère des Affaires religieuses pour renforcer les opérations de contrôle et d'inspection de ces «jardins d'enfants» qui n'en ont que le nom. «On procédera à la fermeture des jardins d'enfants qui transgressent les lois en vigueur», a-t-elle menacé. Sauf que les promesses n'engagent que ceux qui y croient!
Mme Badi se dérobe à ses responsabilités
En effet, plus d'un mois après, on attendait les résultats concrets des diligences entreprises, mais surprise: on apprend que rien n'est encore fait. Pire encore, Mme Badi a annoncé, le 25 octobre, sur Shems FM, qu'un conseil ministériel se tiendra le 31 octobre pour étudier le dossier des jardins d'enfants «anarchiques» (sic!).
Siham Badi a, en outre, précisé que ce dossier qui inquiète les autorités – re-sic! – sera examiné en coordination avec le ministère de l'Intérieur, ainsi que ceux des Affaires religieuses et de l'Education.
Encore une fois, Mme Badi se montre décevante et peu responsable car, sous prétexte que des jardins d'enfants «anarchiques» sont ouverts par des associations, elle se considère non habilitée à inspecter des dizaines d'établissements qui accueillent des centaines d'enfants en bas âge. Or ces enfants sont précisément des ayants droit dont le premier responsable n'est autre que Mme Badi qui est dépositaire de la convention internationale des droits de l'enfant en Tunisie.
Imaginons qu'un médecin, qui obtient l'autorisation d'exercer du ministère de la Santé, décide, pour rentabiliser son cabinet, d'exercer une activité commerciale telle que la vente de parfum et de produit de beauté. Par analogie, une fois saisi, le ministère des Finances se déclarerait incompétent sous prétexte que le ministère de la Santé a autorisé le médecin d'exercer. Impensable.
Pour noyer le dossier, on créera une commission!
Par conséquent, le ministère en charge de la prime enfance est tenu de faire son boulot à l'encontre des établissements en infraction sans avoir à tenir compte des propriétaires et des promoteurs, manifestement des proches du parti islamiste Ennahdha au pouvoir, d'où la difficulté du dossier.
Le conseil ministériel annoncera vraisemblablement la constitution d'une «lajna» (commission); quoi de mieux pour noyer un dossier brûlant et gênant que de constituer une commission ad-hoc qui s'ajouterait aux commissions d'enquête sur les événements du 9 avril, la «vidéo fuitée» de Rached Ghannouchi, ou le militant de Nida Tounes assassiné à Tataouine...
Bref, les jardins d'enfants coraniques sont en passe de devenir une dure réalité car ils ont dorénavant la force du fait accompli.
L'enjeu politique et économique est capital et le risque d'embrigadement et d'endoctrinement aussi bien des enfants que de leurs parents doit être pris au sérieux par la société. D'ailleurs, ces «jardins» ne seraient qu'un premier maillon qui en appellera d'autres : crèches, garderies scolaires, écoles primaires... et qui viseraient à terme la restructuration de la société et le changement de notre mode de vie.
Les conseils ministériels et les commissions ad-hoc auront alors du pain sur la planche... pour nous aider à avaler non pas une pilule mais une grosse couleuvre!
* Doctorant ''Prospective, innovation, stratégie''.
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