Les Tunisiens ont besoin d’un quatrième pouvoir performant

Tout journaliste et professionnel de l'espace médiatique a une responsabilité à assumer face à ses concitoyens et face à l'histoire pour que le quatrième pouvoir en soit véritablement un!

Par Leyla Ben Temessek Ben Amor*

Je ne voudrais point faire ici de développements théoriques sur le pouvoir de la presse, le quatrième comme on le classe communément, mais tirer la sonnette d'alarme et attirer l'attention sur les lacunes énormes, parfois, de certains de nos animateurs de l'espace audiovisuel, qui ne peuvent nous laisser indifférents, nous autres usagers exigeants.

Il est certain que, depuis janvier 2011, nos journalistes ont su profiter de cette liberté d'expression inespérée, si fragile et si menacée après des décennies de censure bête et méchante durant lesquelles la plume a été souvent victime des ciseaux castrateurs de la répression sans compter les frustrations, les poursuites et la précarité de ceux qui ont fait preuve d'audace et ont bravé les bâillons de la dictature même à mots couverts.

Ne point laisser place à l'ambiguïté

Cependant, les auditeurs et les téléspectateurs dont je fais partie ne peuvent s'empêcher de formuler quelques critiques qui se veulent constructives en premier lieu au vu de la considération que tout citoyen éprouve à l'égard de ce corps de métier.

En effet, que de fois la déception fut grande après un débat télévisé ou radiophonique tant les limites flagrantes de l'animateur ont frustré toute attente et nui aux objectifs espérés.

Le b.a.-ba de cette profession n'exige-t-il pas une préparation minutieuse, ce qui souvent fait défaut, de toute rencontre publique, en en définissant les axes précis et complémentaires, en se documentant de manière rigoureuse sans omettre de se munir de notes, de fiches et surtout des déclarations faites par les invités afin d'enrichir le débat et d'éclairer la lanterne de l'auditoire sans laisser place à aucune ambiguïté?

Ne faut-il pas recourir à des réparties fines en cas de réponses évasives afin d'acculer son interlocuteur et le pousser dans ses derniers retranchements par souci de respect de ses concitoyens?

Et quand un invité refuse de répondre par tous les moyens à la question qui lui est posée, ce qui arrive souvent de la part de certains politiques mal intentionnés, n'est-il pas du devoir de l'animateur de faire preuve de fermeté et de savoir intelligemment l'obliger à satisfaire la curiosité de ceux qui l'écoutent d'une oreille avide d'informations au lieu de laisser le champ libre à ses divagations et à ses antiennes tant de fois servies sur les plateaux nourries d'une mauvaise foi évidente?

Ni parti-pris ni complicité affichée

Tout professionnel qui se respecte doit d'abord, par égard, présenter son interlocuteur et préciser son statut et sa profession et le rappeler s'il le faut au cours de l'émission, et il doit, surtout, savoir répartir avec doigté le temps de parole de manière objective et impartiale sans léser les intervenants et en évitant de prendre partie par une générosité parfois affichée.

Il m'arrive souvent d'être sidérée de constater l'indigence de certains journalistes, heureusement qu'ils ne sont pas légion, qui se contentent souvent de répéter les réponses des uns et des autres au lieu de faire, comme il se doit, une synthèse claire et concise dans le souci de relancer un débat qui malheureusement piétine et se mord la queue faute de vigilance et de professionnalisme.

Pauvres auditeurs que nous sommes, car notre patience et notre attention sont mises à rude épreuve, et quand l'ennui nous gagne, le zapping reste notre seule échappatoire, en particulier lorsque l'animateur se contente d'une écoute polie, signe en fait de son incapacité à mener à bien sa mission, tout comme celui qui se répand en discours pompeux et interminables au lieu de ramasser ses questions et de les formuler sans ambages.

Sans nommer personne, car j'espère que chacun est capable de reconnaître ses défauts, d'autres journalistes se permettent, sur des ondes très écoutées et réputées sérieuses pourtant, de forcer notre étonnement quand ils sont pris de fou rire inexplicable, quand ils répètent sans cesse la même idée et se montrent parfois obséquieux et déférents face à certains de leurs invités nous ramenant ainsi à l'ère révolue du «carpette obligé» pour préserver leur place, au mépris de leur dignité professionnelle comme le dénonçait E. Rostand par la bouche de Cyrano de Bergerac (acte II, scène huit): «Et avoir un ventre usé par la marche? Une peau / Qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale?».

Ce venin distillé dans des oreilles innocentes

De ceux-là, nulle réaction ne se manifeste quand quelques «édiles» débitent des énormités inadmissibles, des contre-vérités évidentes, ou pire encore, des idées reçues fallacieuses. Est-ce faute de culture générale ou de formation sérieuse, ou simplement par mollesse inacceptable que des inepties sont servies sur nos antennes, que des erreurs historiques ou des analyses sans fondement hérissent les usagers parfois atterrés par de véritables appels au meurtre alors que le «professionnel» en exercice continue à écouter passivement ce venin distillé dans des oreilles innocentes, à un esprit peu critique habitué pendant si longtemps à la langue de bois qui était leur lot quotidien. Car comment juger un animateur de radio qui évite sciemment et maladroitement d'opposer un argumentaire solide face à un détracteur de mauvaise foi afin de démontrer la faiblesse de ses analyses bancales et veiller de la sorte à ce qu'un débat réel s'installe grâce au choix des intervenants pour que la polémique éclaire de manière efficace la lanterne d'un auditoire assoiffé d'informations et soucieux de se faire une juste opinion à propos de situations complexes et d'événements qui se bousculent ces derniers temps. Et c'est à l'animateur professionnel de savoir saisir l'opportunité pour que chaque débat soit l'occasion d'apporter la lumière sur ce qui se passe sans complaisance aucune et surtout avec une objectivité déontologique.

Un feed-back systématique et une autocritique non complaisante seraient certainement des pratiques capables d'élever le niveau de tout homme de métier désireux de donner à chaque occasion le meilleur de lui-même.

Quelques efforts suffisent et une exigence soumise à une éthique sans faille sont les clés nécessaires pour faire de toute émission une réussite et non un «bide» catastrophique qui ne fait que renforcer la frustration de ses concitoyens dépités par tant de maladresses.

Nos journalistes en sont capables, nous en sommes sûrs, à la lumière des progrès réalisés par nombre d'entre eux. Pour preuve: depuis que la liberté d'expression plane sur nos cieux, leurs «fans» ne cessent de se multiplier et fidélisent de jour en jour.

Pour finir, loin de moi l'idée de jeter la pierre à nos vaillants journalistes qui font honneur à cette profession si difficile; leur compétence, leur esprit critique, leur causticité et leur courage aussi témoignent de leur professionnalisme en particulier quand il s'agit de couvrir des événements cruciaux au risque de leur intégrité physique en s'exposant aux injures et aux attaques musclées d'énergumènes sans foi ni loi.

Si je me permets de formuler mon mécontentement au sujet des détenteurs du quatrième pouvoir, c'est parce que je souhaiterais qu'ils remplissent enfin réellement la mission délicate qui leur incombe: informer efficacement, conscientiser avec intelligence leur auditoire et savoir réagir face à ces prétendus politicards qui profitent de leur passage pour affiner leur image médiatique et étaler leur arrogance, miroir de leur inculture et de leur incompétence.

Des rapports de force sans cesse mis à l'épreuve

Quand verra-t-on un jour un journaliste rebondir énergiquement on live face à un agitateur irresponsable capable de soulever des «hordes incontrôlées et incontrôlables»? N'est-il pas directement concerné? Oublie-t-il que sa passivité est une forme de prise de position équivoque et que son impact est parfois insoupçonnable?

Dans ce climat de rapports de force sans cesse mis à l'épreuve, s'impose, selon moi, la création d'une haute instance de l'audio-visuel, une instance indépendante sans couleur politique aucune. Constituée de gens du métier intègres, elle sera le véritable garant de l'éthique journalistique, fondement des valeurs et des règles qui régissent ce noble métier. Elle sera le défenseur de cette chère liberté d'expression récemment acquise mais exposée à tant de périls par un système des plus pernicieux qui fait fi des revendications à l'origine du bouleversement ayant secoué notre pays.

Tout journaliste, ce professionnel de l'espace médiatique, a une responsabilité à assumer face à ses concitoyens et face à l'histoire pour que ce quatrième pouvoir en soit véritablement un!

* Citoyenne tunisienne.