Peut-on parler de la Palestine aux Nations Unies sans aborder la question des coloniesTout porte à croire que la création de l'Etat palestinien devra attendre encore et que la question des colonies israéliennes, qui commande la réalisation de ce projet, est aujourd'hui prioritaire.

 

Par Michel Roche*

 Dans le courant du mois, le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, présentera à l'Assemblée générale des Nations Unies une demande de reconnaissance de l'Etat Palestinien. Cette demande a de fortes chances d'être acceptée et la question serait simplement de savoir quels sont les pays qui voteront en faveur de la résolution et quelle sera la majorité avec laquelle cette résolution pourra être adoptée. Cette décision ne signifierait pas l'admission de la Palestine à l'Onu, mais il s'agirait d'une décision importante car elle contribuera à souligner les contradictions de la situation actuelle.

Le langage officiel utilisé tant par Israël, que par les pays occidentaux mais aussi par les pays arabes avec le Plan arabe de paix d'origine saoudienne, a pour objectif principal la création d'un Etat palestinien aux côtés d'Israël.

Un très hypothétique Etat palestinien

Pourtant, les prises de position se multiplient pour estimer que cet objectif pourrait bientôt être pratiquement impossible à atteindre, soit que l'évolution sur le terrain risque rapidement de le condamner, c'est ce qu'a dit récemment Mme Ashton, soit que cet objectif soit déjà devenu hors d'atteinte, et c'est la position exprimée récemment par le président de la Knesset, M. Rivlin, pour lequel «entre le Jourdain et la mer il ne peut y avoir qu'un seul Etat, juif et démocratique, avec une forte majorité juive» (11 octobre 2012).

La colonisation en Cisjordanie comme à Jérusalem-est a effectivement pris une ampleur telle que la possibilité même de créer un Etat palestinien semble de moins en moins crédible. Cette colonisation se poursuit et Israël, qui a annoncé son intention de créer 800 nouveaux logements à Gilo, aux portes de Jérusalem, envisage aussi la construction d'une académie militaire sur le mont des oliviers à Jérusalem-est. Le gouvernement israélien n'ayant pas l'intention de s'arrêter le temps en effet n'est peut-être pas si éloigné où la conclusion de M. Rivlin ne semblerait plus absurde.

Pourtant, la solution d'un seul Etat, Israël, englobant la totalité des territoires situés entre la Méditerranée et le Jourdain semble tout à fait illusoire: pratiquement impossible à accepter par les Palestiniens sans se renier, elle mettrait en danger Israël lui-même pour une simple raison d'équilibre démographique.

Selon les Israéliens, dont les estimations concordent largement avec celles des Palestiniens, les Juifs seront aussi nombreux que les Arabes en 2015 dans le territoire de l'ancienne Palestine, ces derniers devenant majoritaires dès 2017.

La possibilité d'un système d'apartheid

On peut également ajouter sans se tromper que l'opinion israélienne n'est pas prête à faire une place aux Palestiniens dans la gestion d'un pays qui leur serait commun; un sondage récemment publié par ''Haaretz'' montre en effet un niveau très élevé de rejet vis-à-vis des Palestiniens dans l'opinion israélienne, évoquant la possibilité d'un système d'apartheid dans le cas d'une annexion des Territoires palestiniens.

Verra t-on alors ressurgir en Israël au-delà de l'extrême-droite l'idée que l'Etat palestinien existe déjà et qu'il se trouve à l'est du Jourdain? Ce n'est pas exclu; mais outre que ceci imposerait probablement des transferts de population que les intéressés ne sont certainement pas prêts à accepter, ce serait faire peu de cas de la stabilité de la Jordanie, à laquelle tiennent un certain nombre de pays dont les Etats Unis et leurs alliés, en Europe mais aussi dans la région.

Reste une dernière hypothèse selon laquelle Gaza pourrait être dissocié du reste de la Palestine et former une entité indépendante, traduisant ainsi de manière concrète la dynamique politique qui tend à séparer les Territoires entre eux. Pour Israël ceci aurait deux avantages: d'une part faire baisser la pression sur Jérusalem-est, que M. Abbas encore plus affaibli aurait alors toutes les difficultés à défendre, et d'autre part modifier la donne démographique en retirant de l'équation les près de 1,5 millions d'habitants arabes de Gaza. Cela reviendrait surtout à gagner du temps en rendant moins aiguë la question démographique, mais en aucun cas à la faire disparaitre.

L'émir du Qatar renforce le Hamas

La visite récente de l'émir du Qatar à Gaza amène à se demander si une telle option n'est pas d'actualité. Les investissements annoncés seront certainement bienvenus pour la population; mais en court-circuitant l'Autorité Palestinienne, l'émir a entrepris de renforcer politiquement le Hamas. L'absence de véritable réaction de la part de M. Netanyahou laisse à penser qu'Israël n'y serait pas hostile. Après tout le Hamas n'est-il pas le meilleur ennemi, celui sur lequel on peut frapper sans trop émouvoir la communauté internationale? Celui qu'on a laissé s'installer dans les années 80, contre une direction politique nationaliste et reconnue internationalement?

On aurait tort de penser que la sollicitude du Qatar serait désintéressée; la solidarité avec les Palestiniens n'est pas une spécialité de l'émirat du Qatar. La préoccupation immédiate de Doha est de fermer la porte à toute possibilité de contestation intérieure et de remise en cause du modèle wahhabite. Seul de tous les pays de la région, le Qatar a jusqu'à présent réussi à éviter l'expression de demandes d'ouverture démocratique de type «printemps arabe», mais il n'est pas assuré d'être totalement à l'abri. Il peut craindre la perspective d'une Palestine démocratique; en revanche, la constitution d'un «émirat» à Gaza le rassurerait; elle viendrait renforcer sa main sur l'échiquier plus large du monde arabo-musulman et constituer un atout de plus, s'ajoutant aux combattants fondamentalistes qu'il finance en Syrie et qui échappent à l'autorité de l'Armée de libération de la Syrie (Als).

La question démographique est certes angoissante pour Israël qu'elle menace dans son identité; et ceci explique en partie la politique de colonisation et le choix absurde consistant à jouer la division entre les Palestiniens. Mais la poursuite de la colonisation ne peut en aucun cas offrir une réponse au problème de la démographie; elle repousse une solution en la rendant encore plus compliquée. M. Netanyahou a-t-il autre chose en tête lorsqu'il exige une reprise des négociations «sans conditions préalables», ce qui revient à demander à Mahmoud Abbas d'accepter tacitement la poursuite de la colonisation?

Israël ne prend pas au sérieux les appels des Occidentaux

Ni les Etats-Unis, ni les Européens n'ont jusqu'à présent été particulièrement fermes sur les colonies se limitant à rappeler leurs positions de principe fondées sur le respect du droit international. La modération du ton généralement employé a pu être interprétée par Israël comme un signe de faiblesse de la part des Occidentaux, de telle sorte que leurs rappels n'ont jamais été pris au sérieux.

La création de l'Etat palestinien devra probablement attendre encore; en revanche la question des colonies qui commande la réalisation de ce projet est aujourd'hui prioritaire.

Face à la faiblesse des réactions des Etats, les Ong occidentales ont décidé de s'en saisir. Après la démarche engagée par un collectif d'une quinzaine d'églises chrétiennes américaines au cours de l'été, c'est un collectif de 22 grandes Ong européennes (dont la Fidh) qui ont déposé à Bruxelles un rapport demandant le boycott par l'UE des produits israéliens fabriqués dans les colonies. Auparavant, la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies avait dénoncé dans son rapport les sociétés européennes et américaines opérant dans les colonies.

Le gouvernement israélien aura beau jeu de qualifier ces actions d'anti-israéliennes; mais il aura tort. Nous savons tous que la paix au Proche-Orient passe par la création d'un Etat palestinien. Si cet objectif devenait hors d'atteinte ceci risquerait fort de nous concerner tous. Nos gouvernements sont à juste titre prioritairement préoccupés par l'incendie qui fait rage en Syrie, mais cette situation ne devrait pas amener à conclure que la colonisation peut indéfiniment se poursuivre.

* Consultant indépendant, Associé Groupe Vigilance JFC Conseil.