La relation des Tunisiens au pouvoir répressif de Ben Ali est faite de tensions, de négociations, d'accommodements, d'adhésions partielles et de compréhensions partagées.
Par Dr Salem Sahli
Je viens d'achever ce week-end la lecture de l'excellent livre de Béatrice Hibou ''La force de l'obéissance''* publié en 2006. Ce livre de près de 400 pages devrait à mon sens être lu par le plus grand nombre d'intellectuels tunisiens tant il est instructif.
Béatrice Hibou nous livre une analyse novatrice des mécanismes de la domination exercée, 23 ans durant, par le régime de Ben Ali sur le peuple tunisien.
Vie quotidienne et exercice du pouvoir
D'après l'auteure, il est impossible de comprendre la longévité du régime répressif et dominateur de Ben Ali en se cantonnant uniquement à une analyse strictement politique. Il faut au contraire écrit-elle «rétablir le continuum qui relie la vie quotidienne des gens à l'exercice du pouvoir».
Le régime de Ben Ali n'aurait pas pu tenir aussi longtemps s'il n'existait une part importante d'adhésion et de reconnaissance de la part des Tunisiens. Les acteurs économiques, les journalistes, les intellectuels... et à fortiori les simples individus subissaient certes la domination du régime en place, mais en même temps en tiraient profit.
Et tout au long des 23 années de règne, la relation des Tunisiens au pouvoir fut ambivalente et ambiguë, comportant à la fois contrôle et marges de manœuvre, domination et résistance, contraintes et opportunités économiques, coûts et avantages financiers...
Car, pour Béatrice Hibou, la domination n'est pas «une machine uniforme et réglée d'avance», elle s'exerce avec sa part d'imprécision, d'incertitude, de tâtonnement et d'arbitraire.
Ce que j'ai retenu de cet excellent ouvrage qui dissèque magistralement, exemples à l'appui, la relation des tunisiens au pouvoir répressif et dominateur de Ben Ali, c'est que cette relation est faite de tensions, de négociations, d'accommodements, d'adhésions partielles et de compréhensions partagées. Et dans ce jeu, chaque partie trouvait pleinement son compte. C.Q.F.D.
* ''La Force de l'obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie'', éd. La Découverte, Paris, 2006, 363 p.