Sihem Badi, ci-devant ministre des Affaires de la femme et de la famille, a totalement raté (encore ?) la campagne pour la lutte contre la violence faite aux femmes. Une campagne de trop de Mme Badi ?
Par Sonia Mabrouk*
La ministre de la Femme a donné, le 23 novembre, au siège de son ministère le coup d'envoi de la campagne de sensibilisation à la lutte contre la violence faite aux femmes. A mi-parcours, cette campagne semble se transformer en un véritable exutoire, un calvaire car tout semble se passer de travers.
Cette initiative annoncée à cor et à cris par Mme Badi et pilotée par son ministère devait réunir pas moins de 15 intervenants dont des ministères (Santé publique, Education, Affaires sociales...), des Ong et les agences des Nations-Unies. Elle s'étale du 25 novembre au 10 décembre et comporte notamment:
- l'ouverture le 25 novembre par le ministère de la Femme d'un Centre pilote pour l'accueil des femmes victimes de violence;
- l'inauguration le 26 novembre d'un Centre d'appui psychologique aux femmes victimes de violences relevant du ministère de la Santé publique;
- la diffusion de deux spots télévisés et de l'affiche de la campagne;
- le lancement de l'Observatoire de l'égalité des chances;
- l'organisation de journées de sensibilisations dans certains écoles et lycées...
Des défaillances en cascade
Le Centre d'hébergement des femmes battues, dont l'ouverture a été reportée plus d'une fois et qui a été enfin annoncée par la ministre pour le 25 novembre, n'était pas prêt à la date prévue, alors que le Centre d'appui psychologique aux femmes victimes de violences, relevant du ministère de la Santé publique, a été inauguré à l'échéance prévue par Abdellatif Mekki, en l'absence très remarquée de sa collègue sensée piloter la campagne. Pourtant les dates étaient sciemment choisies pour marquer l'engagement du ministère de la Femme pour la cause des femmes battues.
L'examen du site web du ministère de la Femme montre l'absence totale de couverture des activités liées à la campagne, hormis l'annonce faite par la ministre du programme déjà cité. D'ailleurs, ni l'affiche, ni les spots ne sont visibles ni sur ledit site ni nulle part ailleurs. Pourquoi ce désintéressement général? Comment expliquer que le ministère de la Femme n'arrive pas à respecter ses engagements et y est aussi peu visible et surtout peu actif?
Il semble que les rivalités entre les différents ministères en charge du dossier de la femme soit la raison du manque de coopération entre les différents intervenants. Ainsi l'Office national de la famille et de la population (Onfp), relevant du ministère de la Santé publique), a toujours contesté le leadership imposé par la ministre de la Femme, tant il est vrai qu'il dispose des capacités logistiques et techniques lui permettant de mieux cerner les problèmes des femmes et de mieux répondre à leurs attentes et à leurs souffrances.
L'organisation du séminaire international organisé par l'association Beity, la maison des femmes sans domicile, les 30 novembre et 1er décembre à la Cité des sciences, sur les expériences comparées des centres d'hébergement des femmes victimes d'exclusion et de vulnérabilité économique et sociale, a été l'occasion pour les auditeurs avisés de constater le faible niveau de coordination entre ladite association présidée par Sana Ben Achour et Mme Badi. Assez critique à l'égard du ministère de la Femme, l'association s'est montrée plutôt indulgence vis-à-vis de Khalil Zaouia, ministre des Affaires sociales.
En attendant la reprise en main des affaires par Mme Badi pour la 2ème partie de la campagne, je l'invite vivement (comme le fait Beity) à éviter la pratique habituelle consistant à célébrer la femme battue dans des hôtels luxueux et à trinquer à sa santé. Or, une pensée pour les mères des martyrs, des blessés de la révolution et des blessés de Siliana aurait été un geste fort apprécié par les Tunisiens.
Femmes au bords de la crise de nerfs
Enfin, je termine par une brève allusion à l'émission, diffusée le 29 novembre sur Tounesna TV et disponible sur Youtube. Emission qui tombe au mauvais moment pour la ministre désormais accusée de violence contre les femmes fonctionnaires de son propre département; ce qui ébranle de facto la crédibilité du ministère puisqu'on y apprend notamment que la ministre a qualifié une fonctionnaire en son absence de «chleka» et que son chef de cabinet, Sonia Ben Saida, a publié sur sa propre page Facebook un extrait du dossier personnel d'une fonctionnaire en se livrant à une campagne de lynchage médiatique!
Or, ironie du sort on apprend que la ministre de la Femme et de la Famille a révoqué deux fonctionnaires (dont une mère de famille). Motifs invoqués: complot contre le cabinet de la ministre (!) et non respect des obligations liées au secret professionnel et à l'obligation de réserve.
S'agissant du «complot», une telle accusation surréaliste ne relève pas des conseils de discipline et de la fonction publique mais d'une cour martiale! Quant au second grief, le lancement d'injures gratuits par la ministre en début de l'émission – provoquant, en différé, la foudre de sa rivale qui l'a qualifiée de «menteuse» – et l'attitude étrange de la chef de cabinet, qui s'est livrée à une campagne de dénigrement passible de sanctions administratives et pénales, il est indigne de hauts responsables du gouvernement.
La chef de cabinet, qui doit donner l'exemple, est incontestablement coupable et aurait due démissionner presto illico et, à défaut être, démise de ses fonctions, mais entre femmes membres d'un même parti, on préfère fermer les yeux.
Bref, ça bouillonne du côté rue d'Alger, l'image de la femme tunisienne se retrouve fortement écornée, la ministère perd sa crédibilité et la campagne pour lutter contre la violence faite aux femmes ne semble pas tomber au meilleur moment.
* Enseignante.