Les retards de la Constituante menacent le pain des Tunisiens

La Constituante doit s'en tenir à l'approbation du budget 2013, l'achèvement de la Constitution pour la fin février, la réalisation d'élections pour mai 2013 et la formation d'un gouvernement aussitôt après.

Par Malek Ben Salah*

Mon père, Sadikien de la première heure des années 1900, m'avait appris, jeunot de Sadiki que j'étais dans les années 1950, ces deux vers de Nicolas Boileau: «Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,/Et les mots pour le dire arrivent aisément.»

Adage qui vaut son pesant d'or, mais en cette fin d'année 2012, disons plutôt, qu'il vaut son trop pesant en salaires de nos Constituants...

Les citoyens de ce pays, partant des cris justifiés de nos régions intérieures, ont donné confiance à cette Assemblée nationale constituante (Anc) en la chargeant de ce devoir sacré de rédiger une Constitution et de doter le pays en urgence de textes afférents aux trois instances indépendantes nécessaires à sa mise en application soit: une Instance pour la Justice, une pour l'organisation des élections et une pour protéger l'indépendance de la presse. A ces trois textes, s'est ajouté aujourd'hui, suite aux retards cumulés, le vote d'une loi des finances avant le 31 décembre pour disposer d'un budget pour 2013...

Mais, pour la finalisation de cette mission honorable, on ne peut que constater que la conception n'a pas semblé s'«énoncer clairement» aux constituants et «les mots pour les dire n'arrivent que très difficilement».

Le pain est l'arme de libération des Tunisiens et le symbole de sa dignité

Le pain est l'arme de libération des Tunisiens et le symbole de leur dignité.

Chaque patriote qui se respecte est aujourd'hui perplexe devant ce cuisant échec et ces déficiences au niveau de la conception comme de l'exécution. L'électeur ne cache plus sa déception devant le brouillard qui prédomine à l'Anc; aggravé par ces «textes» que le gouvernement – après une dormance prolongée – s'éveille de temps à autre pour les lui mettre sur la table et cumuler retard sur retard. Il semble qu'ils seraient au nombre de... 87!

Retouches méthodologiques nécessaires

Si mon condisciple de Sadiki Mustapha Ben Jaâfar veut bien d'une recommandation, il est temps qu'il prenne conscience avec tous les membres de l'Anc que, pour surmonter une situation pareille et épargner au pays une crise économique et sociale sans précédent, il doit reconnaître qu'il faut arrêter immédiatement les dégâts et changer en urgence de méthodologie d'approche.

Le gouvernement, de son côté, doit comprendre et décider – de façon volontariste – que le temps de présenter des textes, soi-disant à une approbation de l'Anc... est fini; il doit la laisser achever ces 5 textes essentiels pour boucler sa mission et éviter de prolonger indéfiniment la précarité de la situation du pays.

Les graves problèmes de subsistance, pour ne pas dire même des problèmes de «faim» vécus par le citoyen moyen et pauvre; ainsi que des problèmes de solvabilité du pays, risquent de jouer un rôle très négatif pour notre avenir.

Et si, des importations de denrées alimentaires semblent améliorer l'approvisionnement des villes, elles ne font qu'aggraver la situation de notre société, de nos finances, et de l'exode déjà tragique pour l'avenir du milieu rural.

Les importations de céréales, d'huile, de lait, de pomme de terre, de légumes, de fruits, d'animaux vivants pour l'Aïd... forment des dépenses très lourdes pour le pays. Les importations d'aliments pour le bétail (maïs, soja, orge...), de leur côté, ne feront que rallonger la liste des productions nationales... que les importations sont en train de détruire assidûment toute relance possible de l'agriculture, alors qu'elle a devant elle l'opportunité non seulement de nourrir, aux moindres frais, le citoyen mais de gagner aussi de grandes parts sur le marché libyen... au lieu de parler de contrebande vers la Libye. Ces méfaits ne peuvent être cachés par les discussions «savantes» et les tables-rondes dont les émissions télévisées – véritable tonneau des Danaïdes – usent et abusent... Tout cela ne pourra se traduire que par une décomposition encore plus avancée de l'agriculture et pour l'économie en général et dont la première victime sera encore le citoyen qui s'est révolté déjà parce que il n'en pouvait plus...

Coups d'accélérateurs indispensables

Le pain est synonyme de liberté

Le pain est synonyme de liberté.

Des coups d'accélérateurs sont devenus indispensables à l'Anc pour boucler ses textes ; et, pour le gouvernement pour se consacrer exclusivement au développement régional et au développement d'une production agricole qui devra nourrir la population et le cheptel, et, créer de l'emploi

Le «bon sens» paysan que j'ai contracté auprès de mes amis agriculteurs, durant plus de 50 ans, et qu'un grand nombre de nos constituants comprennent bien, nous incite à abandonner le travail en commissions mené par l'Anc qui lui fait perdre trop de temps et de confier les documents en cours à 5 comités d'experts avec la consigne ferme d'en tirer une mouture performante en une vingtaine d'articles au maximum par texte, y compris notre fameuse Constitution. Un maximum de 15 jours suffirait à ces comités de le faire. L'Anc n'aura plus qu'à se consacrer uniquement à 2 réunions plénières par jour pour discuter ces projets, revus et corrigés par les experts, et les offrir en cadeau au pays, avant la fin février. Chaque député devant, pour ce faire, se rappeler qu'un peuple attend impatiemment les résultats de ses cogitations... et qu'il aura à rendre des comptes à plus d'une bouche affamée... dont la religion et la patrie le rendent entièrement responsable!
Primauté à l'intérêt national

Avec ce, et en «praticien terre-à-terre», je pense que l'Anc doit prendre, aujourd'hui, ses rendez vous avec l'Histoire et s'en tenir à : i- une approbation à temps du budget 2013; ii- l'achèvement de la Constitution et des 3 autres textes urgents pour la fin février; iii- la réalisation d'élections pour le mois de mai 2013 avant moissons et examens; et iv- permettre la formation d'un gouvernement responsable aussitôt après, et qui pourra exécuter, en 2014, un budget qu'il aura préparé lui même, et qui répond aux vœux de la révolution.

Ainsi pourrait se concrétiser cette «primauté» que nous nous devons à «l'intérêt national» que nos anciens cheikhs Zitouniens, aussi clairvoyants que leurs collègues professeurs sorbonnards Tunisiens et Français, nous avaient inculqués à Sadiki!

Le pain reste le symbole le plus fort de la résistance des Tunisiens

Le pain reste le symbole le plus fort de la résistance des Tunisiens.

Mais, est-ce que ces modestes réflexions pourraient inspirer le Triumvirat qui gouverne le pays, ou l'Anc et ses 217 membres pour sortir le pays du pétrin? Rien n'est moins sûr... mais rappelons encore une fois que le pain quotidien du citoyen et son avenir en dépendent.

* Ingénieur général d'agronomie.