Et si Ennahdha cherchait la confrontation avec l'Ugtt pour déclencher des troubles, faire durer le provisoire, renvoyer les élections aux calendes grecques et asservir davantage les rouages de l'État à ses intérêts partisans. C'est un classique...
Par Mohamed Ridha Bouguerra*
Dans les futurs manuels d'histoire qui traiteront de la transition démocratique que nous vivons depuis le 14 janvier 2011, la date du mardi 4 décembre 2012 occupera, sans doute, une place particulière. L'on dira, sans grand risque d'erreur, que ce jour-là les portes de l'enfer ont été brutalement forcées et qu'une folle sarabande d'esprits malsains et malfaisants s'est alors échappée des gouffres infernaux pour aller semer la terreur place Mohamed Ali!
Ainsi, l'attaque des militants syndicalistes devant le siège de l'Ugtt et l'agression dont ils ont été l'objet de la part des membres de la prétendue Ligue des comités de protection de la révolution marqueront-elles, fort probablement, un tournant dont nul aujourd'hui ne peut prévoir sur quoi il débouchera. Car venir, avec des gourdins et armes blanches, réclamer de débarrasser la centrale syndicale de ses éléments soi-disant corrompus, et choisir pour cela un jour aussi symbolique que celui de la commémoration du 60e anniversaire de l'assassinat de Farhat Hached, leader de la lutte nationale pour l'indépendance, est un geste, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il n'a pu être que planifié à l'avance avec des objectifs, certainement, clairement déterminés.
La fuite en avant pour toute politique
Il est, certes, bien malaisé, pour le moment, d'identifier avec certitude le but exact qu'Ennahdha cherchait à atteindre à travers la massive descente de ces milices qui s'apparentent de plus en plus aux sinistres sections d'assaut nazies. Il n'en demeure pas moins que les graves et tragiques évènements de cette journée, qui ne sont pas sans nous rappeler ceux du 9 avril dernier, ont parfaitement démasqué la nature peu démocratique et même violente des dirigeants du parti conservateur religieux.
Laisser, pendant de longs et cruciaux moments, le champ libre aux fauteurs de troubles, afin qu'ils accomplissent leur triste mission en l'absence totale des forces de l'ordre, ne peut être qu'un acte hautement délibéré.
Siliana: qui a allumé la mèche?
C'est là aussi un message adressé à l'ensemble de l'opposition fortement tentée en ce moment de harceler un gouvernement dont la faiblesse et l'incompétence se révèlent à l'œil le moins exercé politiquement parlant.
Ces évènements donnent raison aussi, rétrospectivement, à toutes les forces politiques dans l'opposition qui exigent des responsables non marqués politiquement à la tête de certains ministères sensibles dont celui de l'Intérieur afin qu'ils ne soient pas des outils au service d'intérêts partisans.
Ces évènements dénotent encore l'immense désarroi dans lequel se débat la troïka au pouvoir. Ils révèlent, enfin, que l'actuelle équipe gouvernementale menée par Ennahdha a choisi la fuite en avant pour toute politique.
Car, si les conservateurs religieux ont bel et bien perdu une grande bataille médiatique et politique à Siliana, pensaient-ils sérieusement pouvoir regagner du terrain auprès de l'opinion publique en s'attaquant à la seule force qui vaille dans le pays, à savoir l'Ugtt? Pouvaient-ils décemment s'attendre à ce qu'à la suite d'une rude escarmouche, qui a dégénéré en bataille rangée et où le sang a abondamment coulé, ils allaient arriver facilement à mettre au pas la centrale syndicale? Peut-on admettre que des politiciens réellement avertis, et tant soit peu connaisseurs de l'histoire du mouvement syndical tunisien, pussent ignorer un instant que la centrale syndicale ne ferait, comme de coutume, que se rebiffer à l'idée que l'on cherche à la domestiquer et qu'elle rejetterait avec détermination toute tentative de lui dicter sa ligne de conduite?
Le dessein secret d'Ennahdha
A moins..., à moins que le véritable dessein secret poursuivi par Ennahdha ne soit, précisément, la confrontation! Car, à la classique et inévitable question: «A qui profite le crime?» La réponse ne pourrait être que: «Mais c'est élémentaire, c'est à Ennahdha!»
En effet, qui dit aujourd'hui troubles, dit le provisoire qui dure, dit les élections renvoyées aux calendes grecques, dit l'impossibilité pour les partis de l'opposition de mener une réelle campagne électorale dans une atmosphère aussi délétère, dit l'asservissement des rouages de l'État à des intérêts partisans, dit donc le maintien d'Ennahdha en place, avec ou sans ses alliés actuels.
Au besoin, au cas où il y aurait défection de l'un de ses partenaires au sein de la troïka, on fera appel à la formation Wafa et à d'autres électrons libres au sein de l'Assemblée nationale constituante (Anc) afin que l'on s'assure une majorité aussi étriquée soit-elle.
Bref, c'est un complot contre la révolution qui s'est mis en marche. C'est à l'assassinat de l'énorme espoir né un 14 janvier que nous assistons. C'est à la transition démocratique que l'on met brutalement fin. Sous le fallacieux prétexte de protéger la révolution, c'est une nouvelle dictature qui est en train de prendre place.
Aussi, est-il bien clair aujourd'hui qu'il n'y a pas d'autre alternative à l'union de toutes les forces démocratiques derrière la centrale syndicale. Ici, le mot d'ordre «l'union fait la force» trouve toute sa valeur et sa pleine signification. Car, tout compte fait, dans les moments critiques que nous connaissons, l'équation s'avère bien simple: ou l'on se place du côté de la Liberté, de la Dignité, du Progrès et de la Justice sociale, ou bien l'on opte pour l'enfermement identitaire, la régression intellectuelle, le fanatisme religieux et l'intolérance vis-à-vis de toute voix jugée discordante.
Attaque contre le siège de l'Ugtt à Tunis: Ennahdha justifie et critique la centrale syndicale.
Aussi, les ennemis de la dictature, les amoureux de la vie, les assoiffés de justice, les partisans et les défenseurs des acquis sociaux et, plus encore, des choix sociétaux qui font la spécificité de la Tunisie dans le monde arabe, n'ont-ils d'autre choix que de s'engager dans cette bataille pour la Démocratie et se mobiliser pleinement pour sa réussite. Avec comme premier et principal objectif à atteindre: la mise hors-la-loi de la violence politique ainsi que la dissolution immédiate de la pseudo Ligue des comités de protection de la révolution.
Ici, le cri des Républicains espagnols en 1936 face aux fascistes devient notre mot d'ordre : «No pasaran!»
Que ceux qui n'ont que haine et mépris pour notre si convivial modèle de société et qui ne rêvent que de le détruire sachent, enfin, qu'il ne leur sera pas aisé de transformer la Tunisie en un Tunistan soumis à une dictature inspirée du wahhabisme rigoriste, sectaire et si étranger à nos mœurs!
Leurs milices formées d'anciens Rcdistes recyclés et rémunérés trouveront tous les hommes et femmes épris de liberté dans ce pays pour dire «Non au fascisme naissant qui nous guette!».
* Universitaire.