Le partenariat femmes-hommes dans l’environnement tunisien«Femme, de ta gorge montait un chant nouveau, mais nous ne t'avons pas laissé la parole bien que tu sois la voix de la moitié de la terre!», disait le poète Federico Mayor, témoignant de l'intolérance folle et obscure des hommes à l'égard des femmes.

Par Kamel Tmarzizet

Cette discrimination entre les deux sexes n'est pas une fatalité, mais elle est un fait des sociétés dont les idées, qui reposent sur des structures familiales et mentales, sont plutôt favorables à la domination du mâle. Guère remise en question ou du moins timidement, cette conception, qui s'enchainait avec des rites familiaux et des règles d'extrême sévérité, a, des siècles durant, exercé une influence considérable sur l'évolution socio-culturelle et morale de la femme.

La remise en cause de la situation de la femme

Il faut rappeler qu'au début du 20e siècle, époque du développement des mouvements nationaux de libération, un effort important a été amorcé en vu de faire disparaitre les moules étroits où se sont coulés les caractères des hommes fortement attachés à la supériorité masculine. Fait qui se traduit par des préjugés tenaces, selon lesquels «il existe entre les sexes une différence fondamentale irréductible!»

Associée à d'autres pensées absconses, cette même idée a rendu, jusqu'à un passé relativement récent, prétendument les femmes inaptes à participer à la vie sociale. Elle a fait d'elles, et notamment les femmes traditionnelles, des êtres vivant dans un univers clos, rigoureusement isolé de toute culture, empêchant le développement de son esprit et l'épanouissement de sa personnalité humaine, d'où l'aliénation, les mauvaises conditions de vie et la souffrance des femmes.

La question de l'émancipation a été évoquée par des militants, dont le combat contre l'obscurantisme, a entraîné une salutaire remise en cause de la situation de la femme, considérée dès lors, par tous les progressistes, comme une priorité nationale au même titre que la lutte menée contre l'impérialisme.

L'un des plus célèbres fut l'ami du prince des poètes Abou El-Qacem Chebbi, et en l'occurrence l'intellectuel Tahar Haddad. Cet intellectuel épris de liberté eut le courage et la volonté de mettre, en dépit de la farouche opposition de théologiens et de sexistes, en exergue, dans un ouvrage, la violente condition de la femme et toutes les entraves à son épanouissement, telles les lois et les croyances contraires à la cause des femmes, et les us et coutumes qui ne répondent plus «aux exigences d'une vie sans cesse renouvelée.»

Cette lutte engagée pour la mutation des mentalités par l'éducation n'a pas donné un résultat immédiat, en raison de la critique acerbe des théocrates. Dotés d'un pouvoir étendu, les religieux fanatiques d'antan étaient particulièrement animés par la hiérarchie d'un sexe sur l'autre...

Il fallait attendre l'indépendance pour que des réformes sociales et juridiques viennent, avec les institutions républicaines, renverser les vieilles lois rétrogrades.

Le président Habib Bourguiba et d'autres leaders eurent l'heureuse initiative d'inscrire en tête des priorités nationales la réhabilitation de la femme. Comme de juste, ils ont promulgué des règles et des lois en faveur de la protection de la femme, de ses droits et de l'égalité entre les sexes. Il s'agit du code du statut personnel de 1956, qui est en fait le pilier du nouveau modèle progressiste tunisien, inscrit dans un cadre de modernisation et d'intégration totale de la femme dans la cité.

Le code tunisien de la famille fut sur le plan juridique, une exception dans le monde arabo-musulman. A cette époque, ce code fut plus progressiste et plus moderne qu'en France où les conditions juridiques ne couvraient pas encore tous les droits et les libertés de la femme...

Désintéressement du pouvoir à la question cruciale de la femme

Il va sans dire qu'une telle œuvre est de longue haleine; d'autant plus que la vraie libération de la femme réside dans le contexte culturel et dans l'environnement religieux et socio-économique de chaque communauté et de chaque famille.

Si ce phénomène de progrès s'est produit sans des heurts réels, c'est grâce au bon sens des Tunisiens progressistes épris de la volonté de combler les fossés qui divisent et séparent les hommes des femmes.

A cette stratégie, adoptée pour éliminer la régression et toutes les formes de discrimination, vient se greffer le climat propice suscitant l'épanouissement intellectuel et social de la femme qui, dès lors qu'elle est égale en droit à l'homme, ne sera plus systématiquement vouée ni à l'ignorance ni à la soumission aux arcanes de la tradition et de ses règles rétrogrades, qui n'acheminent pas vers la libération du joug, entre autres, de la prétendue supériorité des hommes.

Constatations faites et à la lumière de l'observation de la vie des femmes dans sa phase actuelle, tout indique qu'il y a une mutité et un désintéressement du pouvoir à la question cruciale de la femme, qui n'est pas toujours traitée comme il se doit, avec l'ensemble des composantes de la société. Non seulement, les droits de la femme sont bafoués, mais elle est de surcroît battue et victime de l'exclusion et de la vulnérabilité économique et sociale !

La première raison de la violation et de la violence que subissent les femmes s'explique par le fait que les plusieurs victimes s'autocensurent et n'osent pas se plaindre, parce qu'elles sont souvent mal accueillies par les autorités pour ne pas dire humiliées. Ces femmes souvent jeunes, ne parlent pas par peur de rétorsion et de stigmatisation, ou par pudeur.

Comme on l'a déjà signifié, toutes ces causes sont inhérentes tout autant à la suspicion, qui règne à l'égard des femmes victimes des hommes misogynes, qu'au système socio-économique dans lequel les femmes subissent, et même celles qui ont fait preuve de leur compétence, le sexisme en politique et la misogynie.

Force est de constater que le peuple tunisien subit, malgré les libertés qu'a apportées au monde le vent de la révolution du pays de jasmin, l'influence d'une nouvelle conception idéologique étrange et étrangère. Il s'agit d'une pensée qui est l'émanation d'une philosophie dogmatique réactionnaire; elle s'appuie sur les principes d'un passé séculaire en contradiction avec les exigences d'une vie moderne en rapport avec le temps présent.

Une propagande prosélytique bien orchestrée

Cette conception islamiste délétère, qui est loin d'être la source du progrès et de la modernité, constitue une problématique sociologique liée à l'éducation traditionnelle dans le cercle familial où l'honneur et le chantage affectif sont l'arme principale des hommes rétrogrades et violents qui refusent les différences. Ceux qui veulent inculquer l'exultation de la domination de l'homme, le sexe fort sur la femme, le sexe faible, et l'individualisme hédoniste et consumériste sans borne. Appartenant à des sociétés primitives irrationnelles, d'une obséquiosité séculaire obsolète visant l'exploitation de la femme dans ce qui est le plus intime, étant son esprit, son corps et son sexe!

A cette forme d'éducation traditionnelle vient se greffer depuis quelque temps, une propagande prosélytique bien orchestrée, dont l'impact risque d'influencer les esprits faibles et non avertis. Cette propagande, qui vise à maintenir inéluctablement la femme dans des tâches parentales énormes, a pour socle des pensées d'un parfum rétro des siècles du paganisme, préislamiques où les filles étaient indésirables et conséquemment condamnées à disparaitre, parce qu'elles étaient, aux yeux de leurs parents, un déshonneur, un lourd fardeau...

Telle est entre autres, la pensée des intégristes salafistes qui, tournant le dos à l'islam véridique et véritable, rendant selon leur humeur, les choses licites ou illicites, s'attaquent aux médias de tendance progressiste, aux libertés, aux droits de la femme et j'en oublie...

Que veulent-ils en réalité ces fils spirituels d'Ennahdha? Apparemment, ces démagogues, inconscients de leurs actes tant préjudiciables aux structures mentales et sociales, veulent, vaille que vaille, imposer et même par la force, à leurs concitoyens d'obédience sunnites, la vision archaïque et rétrograde, celle d'un dogme chimérique, dont on n'a pas besoin de montrer les limites dans les débats religieux et sociaux.

Il est incompréhensible qu'une minorité infime de nos jeunes, dont l'agressivité est montante, se soit attachée aveuglément à la dangereuse secte wahhabite, créée à la fin du 18e siècle par un guerrier de l'Arabie !

La mélasse d'un conservatisme faisandé

En ma qualité de démocrate épris de liberté, de fraternité et conscient de mes devoirs, je ne peux rester silencieux face aux affres, aux calamités et aux paroles que vocifèrent les quelques fondamentalistes inspirés essentiellement de la littérature tout autant confuse qu'obscure de ce pseudo doctrinaire El-Hijazi Abdelwahhab. Il est insensé de laisser passer des arguments odieux qui incitent à l'analphabétisation de la femme, et en l'occurrence à l'anarchie et surtout à l'ignorance, que le Prophète Mohamed a qualifiée «de pire ennemi à l'être humain.»

Faut-il rappeler, à ce sujet, les discours prononcés sur des antennes internationales pour proférer des sottises. Les recommandations absconses de certains orateurs se résument en cela: «Pour garder ta dignité, garde ta concupiscence sous l'empire de ton cœur; garde-toi bien de manifester ton amour envers la femme! Et dis à la femme de laisser la plume et le papier à l'homme; car si la femme illettrée dit des vilenies, que fera-t-elle quand elle saura lire?»

Certains se flattent d'enseigner l'art de vivre en prodiguant des conseils au travers desquels on perçoit le danger de leur misogynie accompagnée d'une haine farouche de la mixité et, en un mot, à l'égard de la femme.

Ecoutons sans entendre leur incivilité: «Lorsque ta femme sort trop et aime se montrer, déchire ses habits ! Et si elle t'a désobéi, bats-la sans pitié ! Car on ne peut guider une femme par des arguments; ce n'est pas un serment qui la rendra honnête; une femme ne vaut rien fut-elle la meilleure, parce qu'elle est semblable au serpent tortueux, frappe bien sur sa tête, elle ne nuira plus...»

Il est aisé pour toutes les personnes soucieuses de l'égalité, des libertés et de la démocratie, de saisir qu'il n'y a aucune entente possible et encore moins une alliance viable avec ces extrémistes incapables d'assimiler la culture des contradictions. Il n'est plus un mystère pour personne que les islamistes intégristes veulent mêler la religion à la politique avec le seul objectif d'imposer leur mode de vie et de pensée à tous.

Face à ce fanatisme abêtissant et ces discours sexistes, qui creusent le fossé au lieu de favoriser la cohésion sociale, la solidarité et l'entente entre homme et femme, il est primordial de mobiliser tous nos moyens et de conjuguer les efforts nécessaires pour juguler cette propagande virulente et ses slogans haineux véhiculant des propos englués dans la mélasse d'un conservatisme faisandé!

De cette triste réalité se dégage un processus qui est passé, depuis la révolution du 14 janvier, à une nouvelle étape, celle d'une éthique expurgatoire, celle d'une politique assortie à une morale qui s'articule sur des idées rétrogrades propagées par des intégristes qui campent sur les inégalités des sexes.

Preuve de leur extrémisme, ces wahhabites ignominieux refusent tout autant le partenariat que le respect du consensus, dont les principes sont constitués par la volonté du peuple de faire des Tunisiens, des hommes et des femmes de paix, de censés et d'admirables vivant dans une société nullement machiste et belliqueuse, mais pacifique et égalitaire, où chacun, n'ayant d'autre maître que soi, ira respectueux, égal et libre.

Egale et libre, compagne d'un même rêve à jamais partagé

Cela noté, doublons de vigilance et suggérons que le respect d'autrui et le respect de la femme soient totalement intégrés dans une politique expurgée permettant aux femmes (mère, sœur, épouse et fille) de se développer, de s'exprimer et de vivre libres une existence sans excès, belle, digne et plus enrichissante.

A cet effet, interpellons le gouvernement et en particulier la ministre de la Femme sur ses récentes promesses de protéger les femmes victimes et d'améliorer leur sort. Jusqu'ici, rien de concret n'a été fait pour sauver la femme et pour dénouer l'agressivité montante... Des femmes sont encore agressées et violemment battues, et tous les responsables s'en moquent !

Et pourtant il y a ostensiblement un danger qui guette la femme et qui l'éloigne de la voie de la lumière, de l'émancipation et de l'avenir.

Que tous les hommes sages et épris de liberté se mobilisent pour défendre la noble cause de la femme.

Faites que désormais plus une femme ne pleure avec des larmes chaudes et abondantes tels les torrents émergeant sous les cils.

Apaisez vite les pleurs de ces femmes victimes, cet Etre que nous aimons voir porter des roses et des narcisses, dans les bras!

Et pour se faire, l'on doit tous former un front unique contre les forces obscurantistes qui prêchent le sexisme et la discrimination, l'ignorance et la vie des ténèbres.

Faites que demain plus une femme ne souffre dans son âme, dans son corps.

Faites que la femme ne soit plus ni subalterne ni marginale, mais qu'elle vive comme le disait le poète, «égale et libre, compagne d'un même rêve à jamais partagé.»

Jerba-Tézdaïne, décembre 2012