Sans vouloir tirer sur l'ambulance du Dr Mustapha Ben Jaâfar, on peut dire que le guérisseur a voulu trop faire en même temps. Sa tentative de récup a fait pschitt...
Par Moncef Dhambri*
A quarante-huit heures de la grève générale décidée par l'Union générale des travailleurs tunisiens (Ugtt), le président de l'Assemblée nationale constituante (Anc), M. Mustapha Ben Jâafar, a rompu son silence assourdissant, ainsi que celui de son parti Ettakatol. Il ne pouvait en être autrement: ainsi que M. Marzouki avant lui, il y a quelques jours, l'opportunisme électoraliste lui dictait ce sursaut, cette tentative de sauvetage des meubles de la maison Tunisie et, bien évidemment, un dernier essai pour préserver les quelques petites chances de survie politique de son parti usé par son association à la Troïka gouvernementale. Une dizaine de minutes qui se voulaient «décisives». Il a ainsi choisi le journal de 20 heures sur Watania 1 pour se démarquer, sur la pointe des pieds à petits mots, d'Ennahdha et pour nous dire son respect, son admiration pour l'Ugtt et la confiance qu'il place en elle.
Nous ne pouvons pas laisser passer la petite, très petite qualité, de la courte allocution qui s'articulait autour d'une seule et petite idée: faire entendre raison aux deux parties, le gouvernement Hamadi Jebali et la centrale syndicale. Pour une dizaine de minutes qui se voulaient «décisives», M. Jaâfar et ses conseillers en communication auraient dû fournir plus d'efforts.
Tout d'abord, les caméras de Watania1 l'ont surpris en train de répéter l'attaque de sa courte allocution et à étaler des fiches désordonnées sur son bureau, qu'il n'a d'ailleurs pas utilisées. Et tout le long de son laïus, il a peiné à chercher ses mots, à se répéter, à se tordre les doigts et à ânonner jusqu'à en oublier le nom d'Anis Jelassi, l'officier de la Garde nationale, tué lundi 10 décembre à Kasserine.
Une intervention qui se voulait importante aurait mérité meilleure préparation, meilleure prestation et, certainement, moins d'improvisations qui traduisaient cette simple envie de «marquer le coup», de faire acte de présence.
De la même manière qu'il avait «décroché» une médaille d'honneur du gouverneur de l'Etat américain du Kentucky, alors que ses alliés de la Troïka (Ghannouchi et Marzouki) celle de Chatham House, M. Ben Jâafar est donc venu dire, mardi soir, à ceux qui voulaient encore croire en lui et en son Ettakatol en lambeaux qu'il a toujours son mot à dire, un mot à dire.
Une intervention poussive et laborieuse
Triste spectacle et triste fin de parcours: pour une sortie d'un long silence, nous pensons qu'il aurait pu faire mieux, nettement mieux, que débiter des platitudes, des lieux communs et... des banalités qui l'ont tout simplement desservi. Sur la forme et le contenu, la copie de M. Ben Jâafar mérite d'être revue et corrigée de fond en comble. Son intervention de mardi était poussive et très laborieuse.
Il s'est tout d'abord empressé de nous rappeler son passé de syndicaliste, comme si, en Tunisie, il pouvait y avoir un citoyen tunisien digne de ce nom qui ne soit pas de près ou de loin attaché à l'Ugtt, avec ses victoires et ses échecs... Il glorifiera ensuite, pendant plus des trois-quarts de son speech, le combat de la centrale syndicale, son histoire et ses contributions. En deux ou trois petites occasions uniquement, il mentionnera «l'autre partie», le gouvernement de Hamadi Jébali.
Timide et incertain, il n'a pas osé appeler les choses par leurs noms: que, dans le conflit qui oppose l'Ugtt et Ennahdha, il y a victime et coupable, qu'il y a agressé et agresseur. Ce manque de franchise est calculateur: M. Ben Jaâfar, peut-on supposer légitimement, ne souhaiterait pas couper totalement et définitivement les ponts avec les Nahdhaouis. Que peuvent réserver les urnes à son parti, lors des élections législatives et présidentielles de 2013?
Sur l'issue de la crise, le président de l'Anc compte beaucoup sur le sérieux de deux protagonistes et «leur souci de placer l'intérêt de la Tunisie au-dessus de toutes les autres considérations» (une platitude supplémentaire!). Il fait même la promesse ferme d'ouvrir les portes du Bardo et d'inviter à tour-de-bras et pêle-mêle tous les partis, toutes les organisations et associations, pour étudier à fond l'initiative de l'Ugtt et la faire renaître.
Une «maladroite tentative de récupération»
L'on est en droit de croire que cette offre de dernière minute du locataire du Palais du Bardo de tout revoir et avec tous est un geste tardif et peut-être aussi «intéressé». Parrainer, aussi facilement et en entame du 20 heures de la Watania 1, l'initiative «ugttesiste» de dialogue et faire montre d'une aussi grande disposition à «débattre de tout» donnent la mesure de l'étendue du désespoir du président d'Ettakatol à vouloir sauver comme il peut la peau de son parti, puisque l'embarcation Troïka sombre.
Pour les experts politologues, cette démarche porte un nom: cela s'appelle une «maladroite tentative de récupération».
Ne remuons pas trop le couteau dans la plaie d'Ettakatol, qui n'a jamais cessé de saigner (cf. les démissions en tous genres), depuis le jour où il a accepté d'associer son sort avec celui d'Ennahdha.
Nous passerons très vite sur la présidence «somnolente» de l'Anc, sur la «présence absente» de M. Ben Jâafar lui-même et ses réponses toujours «à côté de la plaque» chaque fois qu'on lui tend le micro...
Je n'ai rien contre Ettakatol et je n'ai jamais souhaité tirer sur l'ambulance du Dr Mustapha Ben Jaâfar, sauf que, là, notre guérisseur a voulu trop faire en même temps. Et cela méritait, à mon sens, un dernier coup de griffe.
* Universitaire et journaliste.