Les imams, serviles et muets durant les années Ben Ali, profitent aujourd'hui de l'atmosphère propice à la liberté de parole pour mêler Dieu à des intérêts strictement partisans et terrestres.
Par Mohamed Ridha Bouguerra*
Grâce au Ministère des Affaires religieuses, le sacro-saint principe de la neutralité des mosquées vient d'avoir un enterrement de première classe! M. Noureddine Khadimi vient de déclarer, en effet, que l'imam doit jouir de la liberté d'expression au même titre que le journaliste, l'intellectuel ou l'homme politique. Il donne ainsi carte blanche à la tonnante parole des prédicateurs à qui il reconnaît le plein droit de traiter librement des affaires de la cité terrestre. Si, dans l'absolu, les propos du ministre du culte semblent assez logiques, ils le sont beaucoup moins, en réalité, une fois replacés dans le contexte des évènements de la semaine fort agitée que nous venons de vivre. Car ce qui nous est parvenu des prêches du vendredi 7 décembre ne peut que difficilement être mis sur le compte d'un sain usage de la liberté d'expression!
Les mosquées transformées en annexes d'un parti politique
Quel fut, précisément, le sujet de prédilection traité en chaire par nos imams après l'agression subie par les syndicalistes, le 4 décembre, et l'annonce de la grève générale initialement programmée pour le 13?
Diaboliser les syndicalistes et leurs structures syndicales, condamner d'avance les ouvriers qui songeraient à observer la grève, décréter celle-ci «haram» (illicite du point de vue religieux) et exiger son interdiction dans la future constitution relève-t-il de l'exercice de la liberté de parole et d'opinion?
Quand des hommes censés avoir pour mission de propager la sainte parole, l'expliquer aux communs des croyants et les fédérer autour d'intérêts généraux et supérieurs, sortent de leurs sanctuaires, comme cela fut le cas à Sfax, Gabès et Tataouine, à titre d'exemples, pour manifester dans la rue en apportant leur soutien à la prétendue et violente Ligue de protection de la révolution, ne font-ils, vraiment, qu'user d'un droit reconnu à tous les citoyens?
Ne pourrait-on pas considérer, au contraire, qu'en la circonstance, ils outrepassaient leur saint devoir, épousaient des causes politiques partisanes, transformaient les mosquées en annexes d'un parti politique déterminé et influençaient fortement de la sorte l'opinion de leurs ouailles, si l'on ose dire?
Est-on là dans le religieux encore? L'imam ne devrait-il pas se placer, plutôt, au-dessus de la mêlée et rester à égale distance de tous les partis politiques afin de ne pas creuser davantage le fossé qui menace l'unité nationale ainsi que les hommes et les femmes de la même religion? Ne devrait-il pas, par strict respect de ses auditeurs, celer sa propre opinion quand il s'adresse à la multitude des croyants pour ne délivrer qu'une parole consensuelle qui fédère au lieu de diviser?
Plutôt que de prendre parti sur une question épineuse qui ne relève que des affaires de la cité et sur laquelle l'accord était difficile, sinon impossible, nos hommes de religion n'auraient-ils pas été donc plus inspirés, et davantage en conformité avec leur pieuse mission, s'ils avaient prêché la concorde et la réconciliation à tous les enfants de la Tunisie que des différends politiques étaient et sont encore en train de dangereusement opposer? La maison de Dieu ne devrait-elle pas rester complètement neutre sur le plan politique et, ainsi, demeurer le refuge accueillant à tous les enfants du Très-Haut quelque soit le parti auquel ils appartiennent?
Mêler Dieu à des intérêts strictement partisans
Toute autre attitude partisane ne ferait que prendre en otage la sainte parole et l'asservir, faire des prédicateurs les hommes d'un parti et les mettre au service d'une cause temporelle, tout compte fait, éphémère.
Ce qui s'avère donc être en cause ici, c'est la crédibilité de ceux qui ont fait profession de servir la parole de Dieu. Serviles et muets durant les années de braise, ils profitent aujourd'hui de l'atmosphère propice à la liberté de parole et de l'ascendant que leur procure la chaire sur autrui pour mêler Dieu à des intérêts strictement partisans et terrestres, trompant ainsi la confiance que de pieux et simples croyants accordent spontanément à tout homme qui s'est déclaré au service de la parole divine.
Que n'ont-ils profité de leur droit nouvellement acquis à prendre publiquement la parole pour condamner, par exemple, l'usage de balles de chevrotines à Siliana contre de bons, honnêtes et loyaux musulmans! Que n'ont-ils dénoncé la misère noire et les conditions de vie lamentables et indignes d'êtres humains dans laquelle vivent certains de leurs concitoyens! Que n'ont-ils manifesté bruyamment leur colère pour le chômage dans lequel croupissent tant de leurs jeunes compatriotes! Que d'occasions manquées donc depuis le début de la révolution de se faire entendre pour ces preux chevaliers du droit à la liberté d'expression! N'est-il pas bizarre que seul l'appel à la grève les a fait sortir de leurs gonds et descendre manifester sur la voie publique pour soutenir une Ligue de prétendue «protection de la révolution» qui ne s'est fait connaître jusqu'ici que par ses violences contre des citoyens et, probablement, par un assassinat à Tataouine?
Finalement, ces hypocrites de peu de foi nous semblent avoir failli à leur noble mission pour avoir tenu des propos de haine au lieu de recommander l'amour du prochain que «l'on doit aimer comme soi-même» et, ainsi, aggravé les tensions dans le pays par leurs propos souvent enflammés et qui tombent sous le coup de la loi. Il faudrait souhaiter que s'ils ne sont pas rapidement jugés sur terre par les hommes, ils le seront, sans aucun doute, plus tard, dans l'Au-delà par Dieu...
* Universitaire.