Le cocasse de la célébration du 17 décembre se trouve dans cette médiocre distribution des rôles: les plus impuissants d'entre les membres de la Troïka sont envoyés défendre l'indéfendable bilan de leur superpuissant allié Ennahdha!
Par Moncef Dhambri*
La Troïka s'embourbe, s'enlise et a l'art de nous surprendre chaque jour encore plus par l'étendue de sa maladresse.
Le président de la république provisoire Moncef Marzouki et le président de l'Assemblée nationale constituante (Anc) Mustapha Ben Jaafar sont allés, hier, à Sidi Bouzid célébrer avec la population du gouvernorat le deuxième anniversaire du déclenchement de la Révolution. Le chef du gouvernement provisoire Hamadi Jebali, «empêché par une grippe subite», a gardé le lit.
Une tragi-comédie mal conçue
Le déplacement des chefs du Congrès pour la République (CpR) et d'Ettakatol et l'absence du chef du gouvernement nahdhaoui offraient tous les ingrédients d'une tragi-comédie qui était de bout en bout mal conçue, mal mise en scène, mal interprétée et, bien évidemment, mal reçue par l'opinion.
Ce qu'il y avait de tragique dans cette célébration du geste de Mohamed Bouazizi qui a mis le feu aux poudres de la Révolution, c'est que, où que l'on aille dans le pays, la désillusion est totale et le désespoir est au plus haut point: la liberté est sous le contrôle le plus strict, la démocratie est chaque jour vidée de son sens et il ne reste plus à la dignité que les yeux pour pleurer.
Tout ce que nous disons n'est pas une simple figure de style ou de l'anti-Troïka primaire: l'on observe tout simplement que le sur-place est omniprésent, la régression se ramasse à la pelle, la confusion et l'insécurité ont élu domicile chez nous, et nos amis ont perdu leur enthousiasme et nous tournent le dos.
Ce qu'il y a de dramatique, également, c'est que les Nahdhaouis et leurs associés CpRistes et d'Ettakatol ne voient rien de toutes nos faillites et ne semblent pas avoir compris qu'ils ont trop joué les prolongations et se sont trop attachés au pouvoir. Toute cette obsession, tout cet entêtement et tout cet aveuglement de ces hommes et femmes auxquels le scrutin du 23 octobre 2011 a confié la direction des affaires de notre pays nous ont coûté les prix les plus forts. Toutes leurs incompétences, tous leurs faux-pas et toute leur mauvaise foi ont causé les retards les plus irrattrapables.
CpR et Ettakatol dans la galère d'Ennahdha
Ce qu'il y a de triste, aussi, c'est qu'Ennahdha, dans sa course folle et suicidaire, a traîné deux formations politiques qui auraient pu mériter meilleur sort dans la Tunisie révolutionnaire: CpR et Ettakatol ne comptent plus leurs regrets de s'être embarqués sur cette galère des échecs... Ils ne le montrent pas, mais ils estimeront les énormes dégâts de ce pari perdu, lors des prochaines élections.
Quant au comique de ce qui s'est passé lundi, il réside dans cette incrédulité et cette naïveté du duo Marzouki-Ben Jaâfar à continuer de croire qu'ils peuvent encore et toujours vendre leur «lourd héritage de cinquante années de corruption et de dictature».
Une fois de plus, aux habitants de Sidi Bouzid, et à tout le pays par la même occasion, nos deux guérisseurs ont prescrit le remède de la patience, leur ont débité des platitudes et des faussetés sur la bonne volonté et les efforts du gouvernement, et fait leur sempiternel aveu de ne pas posséder de baguette magique.
Le cocasse de cette célébration du 17 décembre se trouve aussi dans cette médiocrité de la distribution des rôles: les plus impuissants d'entre les membres de la Troïka sont envoyés défendre l'indéfendable bilan de leur allié nahdhaoui qui a tout mal fait et défait depuis un an, en Tunisie.
Hamadi Jebali en robe de chambre sirotant sa tisane
Si l'on simplifie encore plus l'image que ceux qui nous gouvernent nous ont donnée à voir, nous dirons que le chef du gouvernement provisoire – bien au chaud, en robe de chambre, chechia et pantoufles, et sirotant sa tisane – a dépêché ses boucliers humains faire face aux «Dégage!», autres insultes et jets de pierre d'une foule qui ne décolère pas.
Nous pouvons faire le pari facile que cette éclipse de M. Jebali ne durera qu'une courte journée ou deux... et qu'il pourra même s'en expliquer devant les caméras (d'Hannibal TV, par exemple!), courbe de température et ordonnance médicale à l'appui et sans jamais se départir de son sourire carnassier.
Quelle impudence, donc, de vouloir nous faire avaler la pilule qu'une grippe, même subite, peut empêcher un chef de gouvernement, fut-il provisoire, d'assumer ses responsabilités et d'accepter de recevoir sa part de «Dégage!»
Si telle est l'allergie de M. Jebali, nous lui déconseillons de venir nous rejoindre le 14 janvier prochain sur l'avenue Habib Bourguiba. Ce jour-là, il risque de pleuvoir plus que des «Dégage!» et des cartons rouges.
Je n'ai rien contre la Troïka, tout simplement, la simple évocation de ce mot me donne une très douloureuse migraine.
* Universitaire et journaliste.