La Tunisie a besoin d'un dirigeant capable de dire à ses compatriotes, comme Winston Churchill, en 1940, la veille de la guerre: «Je n'ai rien d'autre à offrir que du sang, de la sueur et des larmes.» Et, surtout, être cru et suivi...

Par Mohamed Ridha Bouguerra*

 Le 17 décembre 2012 fut une bien triste journée pour l'image de l'État tunisien: les insultes, le désormais célèbre et humiliant «Dégage» et les jets de pierre et d'autres légumes pourris adressés au président de l'Assemblée nationale constituante (Anc) et à celui de la république ont touché, à travers ces deux hauts personnages officiels, les symboles de l'État qu'ils sont censés représenter.

Dans sa longue histoire, la Tunisie n'a jamais connu pareille mésaventure dont elle mettra du temps, hélas, à se remettre tant sur les plans politique, qu'économique ou encore diplomatique.

Des citoyens las de trop attendre

Que les choses soient bien claires, il ne s'agit pas ici de se lamenter sur le sort peu enviable de MM. Marzouki et Ben Jaâfar qui n'ont dû leur salut, ce jour-là, qu'en se réfugiant dans l'enceinte du Gouvernorat (préfecture) après avoir quitté précipitamment la tribune où se devait célébrer le deuxième anniversaire du sacrifice de feu Mohamed Bouazizi et le déclenchement de la révolution. Car, nos responsables ne paient-ils pas, en la circonstance, pour avoir commis une lourde faute, aussi bien politique que psychologique, en se présentant les mains vides devant une population que l'on n'a gavée que de promesses mirifiques depuis les dernières élections?

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Arrivée du président Marzouki à Sidi Bouzid.

Recommander de la patience et encore de la patience à des jeunes depuis si longtemps dans le désœuvrement forcé ne peut sérieusement servir de politique. Renouveler des engagements pris ici même, il y a à peine un an, et qui n'ont connu aucun début de réalisation, c'est proprement méconnaître le désespoir et les actes spontanés et irréfléchis auxquels peuvent mener les attentes déçues de gens décidés à ne plus se contenter de se faire payer seulement de mots.

Il s'avère ainsi dangereux d'oublier qu'aujourd'hui, pour des citoyens las de trop attendre et méfiants des politiciens, les changements opérés depuis la chute de la dictature doivent se traduire impérativement par et dans des actes concrets.

Or, cette méfiance n'est-elle pas légitime dès lors que le bon peuple se rend compte que les paroles des gouvernants ne correspondent pas aux actes de ceux-ci? Quand les masses que l'on n'ose plus qualifier de silencieuses constatent que les responsables politiques soignent leurs égoïstes intérêts matériels et s'octroient de fabuleux traitements, non seulement pour la période où ils exercent le pouvoir, mais, également, au-delà, pour l'après cessation de leurs fonctions... Et cela, alors qu'ils ne cessent d'évoquer la dureté des temps présents, d'agiter l'épouvantail de la crise économique et de préconiser une nécessaire austérité pour le commun des mortels !

La crise économique devrait toucher tout le monde également

S'il n'y a pas de baguette magique, comme on se plaît à le répéter si souvent en haut-lieu, pour régler la crise socio-économique et résoudre les difficultés liées à l'infrastructure défaillante des régions, il ne devrait y avoir non plus ni indemnités supplémentaires ni hausse des traitements du personnel officiel de l'État par rapport à ce que servait la dictature aux parlementaires, ministres et secrétaires d'État, aujourd'hui si pléthoriques. Et, parfois, en devises fortes, s'il vous plaît, comme c'est le cas pour la vice-présidente de l'Anc, malgré les dénégations de l'intéressée – dénégations qui n'ont pas tenu longtemps la route devant la criante vérité confirmée par le Journal officiel!

Et que dire de tel ministre qui a défrayé la chronique, récemment, et qui, première historique, s'est auto promu au grade de professeur de l'enseignement supérieur, sans avoir le moins du monde respecté en cela la réglementation administrative en vigueur. Promotion, précisons-le encore, qui aura un effet financier rétroactif à compter de 1987!

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La vice-présidente de l'Anc Maherzia Laâbidi: son salaire (près de 12.000 dinars) énerve beaucoup de Tunisiens. 

Et que dire encore quand les responsables en place donnent financièrement la priorité à des choix idéologiques qui méritent discussion, plutôt que de se soucier des intérêts bien compris et à long terme de la nation?

La question ne se pose-t-elle pas, en effet, au vu du budget qui sera alloué en 2013 au ministère des Affaires religieuses et qui équivaut aux 2/3 environ de celui prévu pour la recherche scientifique?

Alors, messieurs les politiques, y a-t-il vraiment crise économique ou non dans le pays? Si oui, celle-ci ne devrait-elle pas toucher tout le monde également? Les hauts responsables de l'État ne sont-ils pas appelés à commencer par donner eux-mêmes l'exemple et à faire preuve d'un esprit de sacrifice dans l'intérêt général, à l'instar de François Hollande lors de son arrivée à l'Élysée, en décidant eux aussi une diminution drastique, et non une augmentation, de leurs émoluments?

Assurer un avenir décent aux générations montantes

C'est seulement à ce prix, en payant donc de leur personne, qu'ils seront crus et que les conseils et recommandations de rigueur et d'austérité trouveront progressivement leur chemin auprès de la population.

Ce dont nous avons le plus besoin aujourd'hui, plutôt que d'un homme qui se croit providentiel, c'est d'un responsable courageux capable de mettre son avenir politique dans la balance en tenant le langage de la vérité au peuple. Il aura nécessairement à nous révéler les sérieux défis auxquels nous sommes actuellement confrontés, autant que ceux qui nous attendent dans un avenir proche, ainsi que les privations et renoncements matériels que nous devrions momentanément nous imposer afin d'assurer un avenir décent aux générations montantes. Et non hypothéquer le futur par des dépenses improductives et des emprunts qui limiteraient durablement notre indépendance par rapport à l'étranger.

Une sorte de Winston Churchill, si l'on veut, voilà ce qu'il nous faut donc immédiatement et qui dise comme celui-ci en 1940 à l'heure du péril imminent de guerre avec l'Allemagne nazie qui menaçait la Grande Bretagne: «Je n'ai rien d'autre à offrir que du sang, de la sueur et des larmes.»

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Mustapha Ben Jaâfar, président de l'Anc, est incapable de convaincre les militants de son parti qui démissionnent par groupes entiers.

Pour pénible qu'il soit à entendre, ce discours, loin des vains propos mensongers ou démagogiques, qui touche l'intelligence des citoyens, leur conscience et leur sens des responsabilités, saura imposer le respect dû aux institutions de l'État et à ses dignes représentants.

* Universitaire.