Les opposants tunisiens manquent encore de courage, celui d'assumer leurs idées comme leur gueule! Le jour où ils ne tricheraient plus sur leurs idées, les sondages suivraient!
Par Jamel Heni
Une révolution est une révolution. Sauf pour les contre-révolutionnaires, naturellement. Ces derniers y trouvent invariablement un complot... Et comment? Comme si les cabales étaient propres aux révolutions et comme si bon complot, qui marche et nous fasse économie d'un potentat, n'était pas bon à prendre! On remet en cause une révolution quand on n'y appartient pas et c'est un vieux réflexe d'élites déchues.
Mauvais gagnants et mauvais perdants
La révolution tunisienne a bel et bien existé, ses martyrs ne pouvaient donner cher, pour un mot d'ordre américain... fallait-il que les mauvais gagnants (le gouvernement) et les mauvais perdants (l'opposition) nous en fassent douter...
La remise en cause tardive de la révolution n'offre aucune chronologie conspirationniste absolue, pure et dure, de bout en bout dirigée du bureau ovale, des champs ou depuis les tavernes qatariotes...
On a beau crier au loup, agiter le chiffon des filières étrangères... rien n'y fait. Tous ces catalyseurs extérieurs réunis n'auraient jamais obligé Ben Ali à partir sans la rue! Ces mêmes filières n'auraient trouvé aucun autre alibi-massue de nature à l'accompagner à la sortie... Le gars tenait bon face à Redeyef, Soliman, Sekhira, Ben Guerdane... Les fameuses officines obscures n'avaient toutefois rien foutu pour nous en sauver à l'époque!
La théorie du complot absolu réduite à sa plus simple expression de manœuvre culottée, il nous reste à dire ce qu'on a sur le cœur à ses auteurs. Recrutés essentiellement dans les rangs de l'opposition tunisienne! Libéraux gauchos, nationos et centristes confondus!
Même si peu l'assument, peu continuent à jouer l'antienne de l'opposition utile!
Un jeu de rôles inélégant
Les rares fois où de jeunes opposants honnêtes (trahis souvent par une candeur non encore rompue au double discours!) s'étaient lâchés appelant à battre le gouvernement à plate couture, ces rares fois où ils exprimaient clairement leurs intentions sans langue de bois ni euphémisme encore moins un double discours médiatique pacifiste sur le rejet de toute sécession, toute subversion, en somme sans... ces rares imprudences étaient les seuls moments de clarté politique, dans un jeu de rôles inélégant qui n'est pas prêt de finir!
Certaines surenchères politiques et sociales cousues de fil blanc, dues à d'anciens grands silencieux, une forme de raidissement jusqu'au-boutiste, à grand renfort de démago, de fastueuses partisaneries et autres amitiés médiatiques relèvent des pathologies de la communication où tous les faits ont systématiquement deux versions et où tous les messages sont intoxiqués et portent deux sens opposés l'un à l'autre quand ce ne sont pas plusieurs! De sorte à brouiller les pistes, et à maintenir l'interlocuteur dans une situation schizophrénique de non choix chronique! Je vous renvois à la théorie systémique de l'école Palo Alto et à son concept clé de communication paradoxale! Je pense ce que je ne te dis pas.
Ce que nous avions précipitamment désigné à tort sous le vocable gentillet de bipolarisation était loin de traduire le principe démocratique de choc d'idées! C'était déjà la guerre... et les armées civiles avançaient tranchée par tranchée... d'abord cachés derrière les artistes, puis sous la bannière sociale, ensuite régionale enfin syndicale... sans jamais passer par le domaine politique des programmes et des joutes publiques! Simplement parce qu'il ne s'agissait d'antagonisme politique mais bien de systèmes doctrinaux exclusifs où les applications les plus fidèles des fins théoriques impliquent une communauté d'esprit et aboutissent donc à l'obligation arithmétique de fratricide!!! Ces pratiques tyranniques de la démocratie
Le mal comme dirait l'autre est dans le texte et non dans les applications! Déjà dans le texte, le mal est en le bourgeois pour le gaucho, en le laïc pour le fondamentaliste, en le religieux pour l'éradicateur, en le salafiste pour l'artiste, en l'artiste pour l'opportuniste!
Ces systèmes précédaient et succédaient à Ben Ali... Seulement, ils n'avaient jamais pu s'exprimer librement sur la voie publique.
Le multipartisme légal et l'ouverture médiatique leur permirent une véritable mise à exécution, un examen de passage aux faits! Et c'est là où les applications les plus caricaturales propres aux balbutiements, aux premiers apprentissages se firent jour!
L'expatrié qui appelle à la guerre sainte contre les rats, la voilée emplie de jurons contre les mécréants, l'ancien garde du corps qui casse de la vaisselle au beau milieu du discours... sont autant d'exemples de ces pratiques tyranniques de la démocratie!
L'ennui, tout l'ennui, est que grâce aux réseaux sociaux et aux multiples usages qu'on en fait, ces marginalités avaient toutes leurs chances à se superposer à un discours officiel ou l'autre! Combien d'universitaires n'avait-il pas publié une kyrielle de sermons de nos vidéastes marginaux précités?!! Pas par conviction, certes, mais bien plutôt pour mettre à profit un bras! Même cassé...
Le tout idéologique anciennement théorique prit ses quartiers dans la société. Existait enfin. Les vieux rêves adolescents des uns et des autres se réalisèrent! C'est de bonne guerre... Et ça durera ce que ça durera, le temps qu'il faudra pour se réveiller, les pieds dans l'eau. Après celui des tyrans, c'était le temps des idéologues...
Non seulement il n'y a pas de mal à cela, mais en plus c'était l'unique moyen de tester ses hypothèses théoriques! Pourvu que nos idéologues l'assument, qu'ils aient le courage de leurs idées, jouent carte sur tables, ne fassent de la petite politique du double discours, en faisant le réformateur à la télé et Lénine à Siliana, le sage Bourguiba au journal de 20 heures et Zarg Lâyoun dans les gares, un compagnon du prophète au salon et un véritable milicien au débarras!!!
Le pathos de la transition
Les transitions ont besoin de chocs mais aussi et surtout de courage! De clarté et de lisibilité politique. Le flou artistique, «attaqia» politique, l'entrisme et le caméléonisme opportuniste, le double discours généralisé, voilà le pathos de la transition! C'est comme ça que les transitions font chou blanc, que le spectre des guerres civiles pointe le bout de son nez, par ces batailles inassumées, par procuration, lâches, à coups de résistance travestie, de jeu politique opaque où sous les micros les barricades et derrière les barricades on fourbit les armes!
Enfin, si un seul d'entre nous croit que les guerres civiles ne décapiteront que la tête de son ennemi, butin sacrificiel qu'il accrochera à l'entrée d'une ville à ses bottes, c'est qu'il ne sait pas encore ce que cela veut dire une guerre, encore moins une guerre civile! Qu'ils se rassure alors, nous y passerons tous... et peut-être qu'il n'y aurait plus d'entrée de ville pour arborer son butin sacrificiel, dégoulinant messieurs dames!!
Je continue à croire en l'esprit tunisien lucide au bord du précipice, face à l'inconnu, grâce à notre objectivité collective, une forme de convention psychosociale de survie face au chaos, au désordre et au suicide. Mais il y a péril en la demeure car c'est l'esprit tunisien lui-même qui est menacé dans sa chair! Cet esprit qui refuse la mauvaise greffe, d'un corps étranger: la duplicité!
L'esprit tunisien ne souffre aucun masque: il consiste précisément à avancer à visage découvert. C'était l'école de Tunis depuis toujours: dans le domaine de la pensée et de la vérité, il est interdit de tricher!
Chers opposants vous manquez encore de courage, celui d'assumer ses idées comme sa gueule! Le jour où vous ne tricheriez plus sur vos idées, les sondages suivraient!