La révolution de la dignité n'a pas atteint certains établissements universitaires qui sont gérés par des directeurs clientélistes, intéressés et aux élans dictatoriaux, instaurant un climat malsain parmi le corps enseignant et les étudiants.
Par Dorra Ghorbel*
Dans le pays qui a été à l'origine des révolutions arabes, qui a réalisé la révolution de la liberté et de la dignité, on trouve encore des enseignants universitaires et des étudiants maltraités, agressés, humiliés et parfois même accusés à tort ou menacés par les dirigeants de leurs institutions. Même si leur nombre n'est pas pléthorique, ces cas sont toujours inacceptables avant et, raison de plus, après la révolution.
Une «troïka» à l'université
Rappelons qu'avant juin 2011, seules les facultés étaient gérées par des doyens élus par les conseils scientifiques de leurs institutions. Les écoles et instituts supérieurs étaient dirigés par des directeurs nommés par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. En 2011, une circulaire reprenant les mêmes procédures électorales en vigueur depuis de nombreuses années dans les facultés est venue les transposer, sans étude préalable, aux écoles et instituts supérieurs.
Dans un établissement qui se veut le pôle d'excellence pour la formation technique dans notre pays, les élections se sont déroulées dans une ambiance où régnaient le flou et le manque de communication. Certains enseignants ont profité de ce climat, et de leur relative notoriété, pour créer un lobby soutenant des candidatures au conseil scientifique et à la direction. Faute de programme et d'engagements clairs de la part des candidats, l'élu a été choisi selon des critères où le clientélisme et le favoritisme n'étaient pas absents.
A son poste, le directeur s'est vite doté de tous les pouvoirs. Epaulé par deux de ses proches, rapidement nommés à la tête des deux plus importantes directions de l'établissement, ils ont créé une troïka. Ils gèrent les biens de l'établissement à leur guise, prennent des décisions de manière unilatérale (emploi du temps, affectation des modules d'enseignement, gestion des stages et clubs d'étudiants...), parfois même suspectes et en dépassant leurs prérogatives, inventent de nouveaux règlements (souvent contraignants, aussi bien pour les étudiants que pour les enseignants de l'établissement)... Tout se fait sans aucune concertation, ni même consultation auprès des collègues.
Le directeur ne tolère ni critique ni opinion libre
La pédagogie est le dernier de leur souci. Ils prétendent être les mieux placés pour juger formes et contenus de l'enseignement dans les diverses disciplines. Le directeur, transformé en démiurge de toute connaissance scientifique, ne tolère ni critique ni opinion libre.
Des agressions morales et verbales, des humiliations et des accusations non fondées sont réservées par cette troïka aux enseignants, mais aussi aux étudiants.
Cette situation insupportable n'a pas manqué de générer la démotivation dans cet établissement qui reçoit de brillants bacheliers. Certains enseignants, par crainte d'être agressés par un des membres de la troïka, soit renoncent à leur demande (pédagogie, organisation...), soit invitent les étudiants à la formuler à leur place. Ce qui a fait dire à l'un d'entre eux: «Les profs se cachent derrière les étudiants». Eh oui, voilà où en sont réduits certains enseignants-chercheurs du supérieur qui sont censés appartenir à l'élite de la nation.
Du côté des étudiants, les choses ne sont pas plus faciles à gérer: absence de communication avec les dirigeants, absence de représentativité dans le conseil scientifique, marginalisation de certaines disciplines pas vraiment au goût de cette troïka, dégradation de certaines formations...
Encore optimiste et convaincue qu'après le 14 janvier notre université mérite un sort meilleur que celui de cet établissement; je ne peux que m'interroger: Quelle serait la solution face à la détérioration des conditions de travail et du niveau d'enseignement dans de tels établissements en l'absence de contre-pouvoir à cette mauvaise gouvernance? Va-t-on mettre un terme aux atteintes à la dignité et aux droits des étudiants et enseignants? Va-t-on accorder l'importance qu'il faut au dialogue et à la communication? Va-t-on enfin admettre que l'étudiant est au centre de l'université et qu'il est du devoir des enseignants et du personnel administratif d'agir en conséquence?
Pour finir, je voudrais à une réelle réforme du système universitaire avec la participation de toutes les personnes concernées, pour une université citoyenne et démocratique où les droits et les devoirs sont respectés.
* Universitaire.