En réduisant le budget de la culture et en augmentant celui des affaires religieuse, le gouvernement islamiste essaie de marginaliser les arts et la culture et développer les initiatives mêlant religieux et politique.
Par Hédi Chenchabi*
Tout en punissant ainsi la culture, la «troïka» au pouvoir renforce la mainmise des religieux sur les lieux cultuels et de cultes et oublie que la Tunisie culturelle est la seule carte de visite de la Tunisie.
Dans le budget 2013 présenté pour délibération à l'Assemblée nationale constituante (Anc), la réduction catastrophique du budget du ministère de la Culture à 0,38%, soit 50% en moins et l'augmentation de celui du ministère des Affaires religieuses ( +13% ) traduit des orientations claires: affaiblir encore plus une politique culturelle, déjà à la dérive, pour rendre encore plus précaires la vie des artistes, mais cela signifie aussi que ce ministère a du mal à défendre des orientations en faveur des arts et de la culture et pour la promotion d'une culture ouverte, avec des artistes créatifs qui s'expriment, enfin, librement.
Des salafistes attaquent des artistes devant le théâtre municipal de Tunis, en mars 2012.
La mainmise du cultuel sur le culturel
Au lieu d'être le défenseur des artistes, le gouvernement a, à maintes reprises, montré sa défiance et sa méfiance vis-à-vis de cette vague culturelle post-révolutionnaire, en phase avec la société civile, créative, débrouillarde, peu soutenue mais active. Il a vilipendé les artistes et donné des arguments aux défenseurs du sacré, principaux bénéficiaires, aujourd'hui, d'un arbitrage budgétaire en faveur de ceux qui se sont accaparés du monopole du cultuel/culturel pour formater, à leur manière, la société, les jeunes et l'enfance.
Peut-on parler de révolution en Tunisie sans parler de culture et sans tenir compte de la volonté populaire de décentralisation culturelle? Ou en ignorant l'émergence des expressions culturelles multiples?
Face à l'occupation systématique des espaces cultuels et religieux par les groupes les plus hostiles au travail artistique et à la création, la volonté du gouvernement dominé par le parti islamiste Ennahdha est de mettre la culture au pas. Il s'agit d'une démarche idéologique et politique cohérente, qui veut promouvoir un discours faussement identitaire, combattre les espaces de création, les modes d'expression de la jeunesse, marginaliser les créateurs qui combattent la dérive obscurantiste et le repli identitaire.
Cette politique, subie par le ministre de la Culture, sans réaction, vise de fait, la marginalisation des arts et de la culture et appuie le développement d'initiatives qui mêlent religieux et politique.
Tout ceci donne une autre image de notre pays et favorise la médiocrité, comme nous l'avons vu lors de la Foire du livre de Tunis 2012 (devenu un salon du livre islamique), transformé en espace de vente de la littérature de bas étage et de produits divers de la nébuleuse islamiste («bkhour», «qamis», foulards et charlatanisme en tout genre). C'est donc une autre Tunisie que l'on essaie de promouvoir, certainement pas celle que nous défendons.
Le régime de Ben Ali s'est accaparé de tous les symboles de notre culture millénaire. Il a favorisé la culture du «taqfif» (propagande) et mis au ban les acteurs culturels qui résistaient à cette vague.
Etouffement par l'argent des acteurs culturels
Face à cette attaque en rège du secteur de la culture, l'objectif politique est de toucher ce secteur turbulent dans ses moyens et financements, déjà limités. Il s'agit pour ce gouvernement d'affirmer un type de rapports à la culture, et ce par son arbitrage budgétaire, qui met en œuvre une tentative d'étouffement par l'argent des acteurs culturels et des structures en crise qui offrent encore aux artistes le moyen de créer, de présenter leurs travaux et de produire.
Accepter cet état de fait, et c'est déjà la mort annoncée de la politique culturelle souhaitée après la révolution: décentralisation de la culture, reconnaissance de toutes les formes d'expression, fin du népotisme et de la corruption dans le domaine des arts et de la culture, restructuration du ministère de tutelle par l'arrêt du fonctionnement bureaucratique, défense des artistes et de leurs libertés, développement d'une politique de défense et de protection du patrimoine, éducation artistique dans les établissements scolaires, reconnaissance des droits d'auteur, aide à l'édition nationale et projets de développement de la lecture pour tous, appui aux cinéastes, aux peintres, aux photographes, reconnaissances des arts émergents post-révolutionnaires...
Plus que jamais, nous devons nous mobiliser et mobiliser tous nos ami(e)s et tous les artistes et intellectuels à travers le monde pour alerter sur la politique dégradante faite à la culture, aux acteurs culturels qui ont joué et jouent un rôle important de défense de la culture tunisienne ouverte au monde, à l'intelligence et aux droits fondamentaux de l'homme.
Après les accusations des artistes tunisiens «d'atteinte au sacré», après les multiples agressions qui ont visé des comédiens, des intellectuels et des défenseurs de la culture, les ennemis de la Tunisie culturelle ont fini par manipuler une partie de la population par des appels à la haine des artistes impi(e)s dont certains autorisant clairement l'assassinat des artistes.
Désormais, avec la réduction drastique et scandaleuse du budget du ministère de la Culture, il s'agit de réduire à la portion congrue la création et la production culturelle, de remettre en cause les fondements de l'Etat civil en s'attaquant à la politique culturelle comme un élément du développement humain et comme un vecteur important du rayonnement de la Tunisie dans sa diversité.
La situation est grave et nouvelle pour la Tunisie post-indépendance. Les orientations du gouvernement actuel traduisent aussi sa volonté de confondre cultuel et culturel et de façonner le Tunisien «nouveau», replié sur lui-même, refusant les autres peuples, les civilisations et les cultures humaines, drapé de plus en plus d'un discours identitaire qui honnit les artistes, la modernité, promeut l'uniformisation de nos goûts, de nos cultures culinaires et vestimentaires.
Tout en punissant ainsi la culture, la «troïka» au pouvoir renforce la mainmise des religieux sur les lieux cultuels et de cultes et oublie que la Tunisie culturelle est la seule carte de visite de la Tunisie.
Devant la gravité de la situation du ministère de la Culture, et face à des annonces de réductions budgétaires intolérables pour un pays qui rayonne à travers sa culture et ses créateurs, nous réclamons au moins 1% du budget pour la culture et l'arrêt de la confusion entretenue entre cultuel et culturel.
La Tunisie post révolutionnaire est culturelle avant tout. Le ministre de la Culture se doit de relever ce défi. Notre pays à travers son histoire, son patrimoine, ses cultures diverses et régionales, son appartenance au monde arabe et méditerranéen, a besoin d'une image de pays ouvert, accueillant et créatif.
Non au repli identitaire! Non aux menaces qui pèsent sur la culture!
La culture relève du ministère de la Culture et non de celui des Affaires religieuses, c'est le seul moyen pour défendre l'Etat civil et la culture pour tous et chacun.**
* Président de l'association culturelle Aidda (France).
** Les titre et intertitres sont de la rédaction.