Tunisie; Des lois fondamentales pour transcender les divergences entre religieux et laïcs

Si les dissensions entre laïcs et religieux demeurent importantes, il faudra arrêter de perdre notre temps à vouloir à tout prix écrire une Constitution. Suffisons-nous de lois fondamentales comme l'ont fait d'autres pays dans des situations similaires.

Par Lotfi Benmosbah*

 En termes de Constitution, il est fort à regretter que les juristes et constitutionnalistes tunisiens n'aient pas été assez didactiques mais ils n'ont pas non plus aidé à dépassionner le débat.

D'abord, qu'est ce qu'une Constitution?

Il est unanimement reconnu que la Constitution est un texte qui fixe l'organisation et le fonctionnement d'un État.

Toute Constitution se doit donc de contenir deux choses essentielles:

- d'une part, l'ensemble des règles qui organisent les pouvoirs publics et leurs rapports les uns aux autres : gouvernement, parlement, président...;

- d'autre part, les libertés publiques ou libertés fondamentales, qui sont du droit de toute personne résidante sur le territoire ou ressortissante de l'État concerné.

Pour ce qui est des libertés fondamentales, deux cas de figure se présentent:

- soit cette notion de libertés fondamentales demeure vague;

- soit les différents droits sont précisés point par point comme dans les constitutions allemande et espagnole.

Par ailleurs, toute Constitution saine reconnaît la suprématie de la volonté populaire et vise à limiter le pouvoir des élus et autres représentants du peuple.

De la stérilité de certains débats

Manifestation pour la défense de la laïcité à Tunis (Photo Afp).

Manifestation pour la défense de la laïcité à Tunis (Photo Afp).

Concernant notre Assemblée nationale constituante (Anc), nous constatons que nos élus se sont embourbés dans des discussions byzantines dont il leur sera difficile de sortir. Le blocage actuel est le fait d'une double hypocrisie.

Nous avons d'un côté les «démocrates» qui, sous couvert des droits universels, veulent interdire l'application de la chariâ.

En face, nous retrouvons les «islamistes» qui, s'appuyant sur la notion vague de fondamentaux islamiques, veulent par un moyen biaisé réintroduire la chariâ.

Au final, chacun de son côté veut imposer de manière insideuse des lois au peuple sans passer par le débat, signe on ne peut plus fort que les deux camps sont encore très profondémment imprégnés d'un autoritarisme vieux de quinze siècles.

Comme le dit si bien le Pr Slim Laghmani: «La Constitution tunisienne sera ambiguë, ambivalente et cela indépendamment de la question de la compétence. Cela s'explique essentiellement par le caractère contradictoire et antagonique des volontés, des intérêts et des stratégies en présence. Chaque partie cherche à voir la norme porter le sens qui correspond à ses intérêts ou, à tout le moins, qu'elle puisse être interprétée dans le sens qui convient à ses intérêts. Le résultat en est (déjà) et en sera des normes qui ne surmontent pas les contradictions, mais qui les installent. Cette constitution ne vaudra que par ses interprètes futurs.»

Comment aurions-nous pu éviter ce piège?

Il aurait été plus simple de commencer par préciser quelles libertés inscrire dans la Constitution. Une fois ces libertés définies, nous aurions reportés le débat sur les autres libertés (celles non inscrites dans la Constitution) et sur l'application ou la non application des lois charaiques au sein de la future assemblée législative.

Notre Constitution aurait été écrite de manière à ne pas pouvoir interdire l'application des lois charaiques mais sans pour autant contraindre les Tunisiens à s'y référer systématiquement.

Ainsi la souveraineté resterait au peuple qui, au cours des différentes législatures, déciderait de voter ou de ne pas voter des lois inspirées de la chariâ ou des droits dits universels.

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Participants à la manifestation de la campagne Ekbes, pro-Ennahdha, à Tunis.

Ceci nous aurait menés à avoir, au cours des différentes législatures, des discussions passionnantes portant sur la modification du Code pénal en y introduisant ou pas de nouvelles lois telle que l'amputation des mains des voleurs, la lapidation des adultères, etc...

Cette règle se serait également appliquée au Code du statut personnel (Csp). Il est clair aujourd'hui que la sacralisation de ce Code est un non sens.

Peut-on d'une part sacraliser le Csp et refuser la sacralisation de la chariâ ou un tout autre texte?

C'est également et encore un non sens de demeurer prisonniers d'un texte vieux de plus de 50 ans qui de plus, est loin d'être satisfaisant (il suffit de regarder de près les inégalités hommes/femmes en matière d'héritage par exemple).

Quelle solution au blocage?

Maintenant, pour achever rapidement l'écriture de la Constitution, il faudrait tout d'abord commencer par dépassionner le débat et s'en tenir aux fondamentaux exposés plus hauts.

Sans cela, les débats risquent de s'embourber pendant encore très longtemps alors que le délai imparti à l'écriture de la Constitution est largement dépassé.

Si malgré tout, les dissensions entre laïcs et religieux demeurent importantes, il faudra trancher en arrêtant de perdre notre temps à vouloir à tout prix écrire une Constitution. Suffisons-nous de lois fondamentales comme l'a fait l'Etat d'Israël qui, après avoir réuni une Assemblée constituante en 1949, s'est retrouvé confronté à des problèmes identiques aux nôtres.

Pour ma part, en me réferant à la vivacité et la vigilance dont la société civile tunisienne fait preuve chaque jour, je suis intimement persuadé que si ce programme venait à être appliqué, non seulement aucune loi anachronique n'aurait la chance d'être votée mais bien au contraire nous réussirons grâce aux débats à l'intérieur et à l'extérieur de l'Assemblée législative, à moderniser encore plus nos lois.

* Médecin libéral.