L'immigration, les Tunisien(ne)s à l'étranger et leur instance de représentation: plaidoyer pour une démarche transparente et consensuelle.
Par Mohsen Dridi*
Les choses, aujourd'hui, sont en train de changer. Et comme premier signe visible de ce frémissement, la désignation, avec la constitution du gouvernement, d'un secrétariat chargé de l'Emigration et des Tunisiens à l'étranger.
En fait, les premiers signes s'étaient déjà manifestés plus tôt, dans les semaines qui ont suivi le 14 janvier 2011, lorsque les Tunisien-nes à l'étranger ont été invités à siéger à la fameuse Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique (Hiror). Autre signe, également, quand les Tunisien-nes à l'étranger ont élu, en octobre 2011, des députés pour les représenter à l'Assemblée nationale constituante (Anc).
Se sont là des avancées importantes! Mais les Tunisien-nes à l'étranger réclament, depuis des décennies, à ce que soit remis à plat et rediscuté l'ensemble des questions relatives à la politique migratoire(6) (accords bilatéraux, neutralité de l'administration consulaire, instance de représentation des Tunisien-nes à l'étranger, la place des associations...).
Instance de représentation des Tunisien-nes à l'étranger
Voilà, pour le coup, une très ancienne revendication des Tunisien-nes à l'étranger et plus particulièrement de leurs associations. Du moins, et pour être plus précis, des associations autonomes et non-gouvernementales, par opposition aux structures, amicales et autres cellules Rcd, mises en place par le pouvoir tunisien avant la révolution, lesquelles étaient, il faut le dire, davantage courroies de transmission qu'associations.
Des dizaines d'associations indépendantes, de comités, collectifs existent depuis des années, qui n'ont eu de cesse de demander de rompre avec cette conception et ces pratiques et qui militent pour que s'instaure dorénavant, dans la transparence, une concertation et une représentation réelles des Tunisien-nes et des associations des Tunisien-nes à l'étranger. La révolution en Tunisie, que ces associations ont accompagné et appuyé de manière conséquente – et qui a été, d'ailleurs, l'occasion d'une impulsion extraordinaire pour de nouvelles associations – ne pouvait que relancer fortement cette revendication d'instance de représentation et quel que soit le nom qu'on lui donne.
Le gouvernement actuel et surtout le ministère des Affaires sociales et le secrétariat d'Etat à l'Emigration l'ont, apparemment, compris et quelques initiatives ont été organisées en ce sens. Mais celles-ci avaient, de toute évidence, cet immense et récurrent défaut – cher à tous les gouvernants – de manquer de transparence et de n'avoir pas pris suffisamment en compte l'indispensable dialogue et la concertation avec les associations de Tunisien-nes à l'étranger. Et, avec cette désagréable impression de «déjà vu» – et cela n'est pas sans rappeler se qui passe en Tunisie même avec la mise en place d'autres instances (Isie pour les élections, Haica pour les médias, instance indépendantepour la magistrature...) – celle-ci devra t-elle, à son tour, traîner en longueur ou, pire, se faire dans la précipitation, de manière partisane, dans le seul but de son instrumentalisation en vue des prochaines échéances électorales? Et pour, être tout à fait clair, le mouvement Ennahdha, autant sur cette question ou pour ce qui est les nominations dans les postes-clés des consulats, est visiblement en train d'emprunter ce chemin!
Il est vrai que les enjeux sont importants et tout comportement sectaire et/ou partisan est malvenu. Et ce serait, pour le coup, regrettable et dommageable que des considérations politiciennes interfèrent ou encore que les intérêts partisans, à courte vue, l'emportent sur la raison, alors même qu'il faudrait, tout simplement, une démarche fondée sur le consensus dans l'intérêt de tous les Tunisien-nes à l'étranger et en Tunisie. Et en la matière la société civile est largement en avance sur l'Etat.
La question est simple : dans la plupart des pays démocratiques, il existe des instances de représentation de leurs ressortissants vivant à l'extérieur. La Tunisie doit avoir cette ambition aujourd'hui et mettre en place, à son tour, une telle instance. Et la démarche pour y arriver est aussi importante que l'instance elle-même. La démarche ne préfigure-t-elle pas d'abord l'état d'esprit et la volonté réelle des initiateurs?
Et justement la première question qui se pose est celle-ci: Qui – ou quelle structure – sera chargé de préparer, en amont, les conditions pour arriver à mettre en place cette instance?
Laquelle question en soulève d'autres : Quelles seront, en effet, les participants (associations, institutionnels, personnalités qualifiées...) qui seront appelés à participer aux assises qui désigneront les membres de cette instance? Qui va contrôler et vérifier que les préparatifs se sont déroulés dans les meilleures conditions de transparence, d'égalité et d'équité? Quelle sera le mode de désignation des participants aux réunions préparatoires (élections, désignation, cooptation...)? Quel échéancier pour les réunions locales, régionales, par pays? Etc.
Comme on le voit, la démarche et la méthode sont finalement déterminantes et peuvent prêter le flanc à des contestations inévitables si l'on ne s'y prépare pas, dans la transparence, en amont. Et du reste, pour ce qui concerne le contenu et la forme que pourrait prendre cette instance, nous avons des expériences dans d'autres pays(7) sur lesquelles nous pouvons nous appuyer, tout en décidant de ne garder que ce qui est bon pour nous et, pourquoi pas même, innover à notre tour et, demain, peut-être, servir d'exemple à d'autres.
La transparence et le consensus doivent prévaloir
Voilà pourquoi il me semble indispensable que les pouvoirs publics, en accord avec les associations de Tunisien-nes à l'étranger et des membres de la société civile tunisienne, acceptent de mettre en place une commission de travail. La composition de celle-ci doit résulter d'un consensus et doit avoir toute la latitude et la souplesse suffisante pour agir et travailler sereinement, dans les meilleures conditions et proposer une feuille de route. La neutralité de la commission devra la règle et en tout état de cause la transparence et le consensus doivent prévaloir tant dans la démarche que dans les décisions.
Elle aura pour principales tâches de :
1- déblayer le terrain par un travail d'enquêtes, de recherches et de réflexion sur les différentes expériences similaires dans d'autres pays;
2- présenter un canevas avec un échéancier jusqu'à la désignation de cette instance;
3- établir un listing d'associations de tunisien-nes à l'étranger le plus exhaustif qui soit.
Voilà pour ce qui concerne la méthode et la démarche préalables où doivent prévaloir le consensus, la transparence mais également une certaine expertise et connaissances nécessaires des questions de l'émigration/immigration et tout particulièrement du thème qui nous préoccupe.
Ce sont ces conditions qui nous permettront, alors, d'aborder le contenu de la question de l'instance de représentation (rôle, statut, prérogatives, mode de désignation ...).
*Acteur de la société civile résident en France.
Notes :
6- Voir à ce sujet le cahier de doléances rédigé lors des Assises de l'immigration tunisienne, qui ont eu lieu le samedi 7 mai 2011 à l'Université de Paris VIII à Saint-Denis, dans la région parisienne, auxquelles ont participé prés de 250 personnes, une soixantaine d'associations, de comités et collectifs de Tunisien-nes, venant de Belgique, d'Italie, du Canada, de Suède, de Suisse, de Tunisie et de France.
7- Déblayer le terrain par un travail d'enquêtes, de recherches et de réflexion sur les différentes expériences similaires dans d'autres pays: Conseil général des résidents espagnols à l'étranger (Cree), Conseil des communautés portugaises (CCP), Conseil général des Italiens de l'étranger, l'Assemblée des Français de l'étranger (Afe), Conseil des Suisses de l'étranger, Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (Ccme)... Cela nécessitera de rencontrer les associations qui participent ou ont participé à ces instances (le Ccpf pour les Portugais, la Faceef pour les Espagnols, l'Acli pour les Italiens, l'Atmf, l'Amf... pour les Marocains. De même que des personnalités reconnues pour leurs actions et/ou leurs compétences en la matière.
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