Ce qui se passe au Mali concerne tous les pays, au nord et au sud du Sahara, mais aussi les intérêts français de sécurité. Dans ce contexte, les positions des acteurs dans le nord du Mali constituent un révélateur des difficultés à venir.
Par Michel Roche*
La résolution 2085, adoptée le 20 décembre 2012 par le Conseil de Sécurité, était attendue depuis plusieurs mois. Elle constitue donc une avancée; mais celle-ci est encore modeste au regard des espoirs français, exprimés plus tôt au cours de l'année passée, d'obtenir rapidement une résolution autorisant une intervention militaire.
Rétablir l'intégrité territoriale du Mali
Certes le Conseil de Sécurité s'est prononcé à l'unanimité et dans le cadre du chapitre VII de la Charte qui autorise le recours à la force, ce qu'il n'est pas parvenu à faire pour la Syrie. En revanche, la déclaration 2085 porte sur le «déploiement» des forces dans le cadre de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (Misma) ce qui ne constitue pas une autorisation d'engagement. Le texte précise en effet que «la planification militaire devra continuer d'être affinée avant le lancement des offensives» ; en d'autres termes un nouveau passage par New York semble nécessaire avant d'engager une éventuelle reconquête du nord.
Sur le plan politique l'objectif retenu par les Nations Unies consiste à rétablir l'intégrité territoriale du pays sous le contrôle du gouvernement de Bamako. Dans cette optique un dialogue avec les mouvements du Nord devra s'instaurer; la résolution du Conseil de sécurité exclue toutefois de ce dialogue le Mujao et Aqmi qui sont des organisations terroristes.
La préparation des aspects proprement militaire prendra de toute évidence encore un certain temps; la recherche du dialogue prend donc le pas dans l'actualité. La prochaine échéance est la réunion convoquée pour le 10 janvier à Bamako à l'initiative du médiateur pour la Cdeao, l'ancien président burkinabé Blaise Compaoré, et à laquelle ont été invités le MNLA et Ansar Din.
Créer les conditions d'un dialogue
Pourparlers entre Ansar Din et Mnla.
Les évènements de ces dernières semaines montrent toutefois que beaucoup de chemin reste à faire pour créer les conditions d'un dialogue. Les deux organisations, le Mnla et Ansar Din, qui se sont rencontrées à Alger le 21 décembre, ont adopté une plate-forme commune énonçant certains principes: refus d'une intervention internationale, accord pour un dialogue avec Bamako et cessation des hostilités.
Mais depuis lors Ansar Din est revenu sur son engagement de cesser les hostilités et surtout il a précisé dans un document remis le 1er janvier à Blaise Compaoré, que s'il peut accepter un régime d'autonomie pour l'Azawad, en revanche l'application de la chariâ n'est pas négociable pour lui.
Du côté du Mnla rien n'indique que les positions aient évolué, qu'il s'agisse de l'exigence du caractère laïc du nord Mali, ou de l'indépendance vis-à-vis de Bamako; le congrès extraordinaire qui vient de s'achever à la frontière algérienne ne devrait pas remettre en question ces choix.
Pour compliquer encore le tableau, le Mujao, qui a été exclu des négociations du 10 janvier, a choisi de rappeler son existence en déclarant que la chariâ doit s'appliquer à l'ensemble du pays et en envoyant ses forces en direction du sud.
Islam malékite, wahhabisme et laïcité
Les positions des mouvements du nord semblent en effet difficilement conciliables à la fois entre elles et vis-à-vis de Bamako; elles reflètent également les divergences d'approches entre les parrains internationaux de ces mouvements. Aqmi et le Mujao s'appuient sur des canaux djihadistes largement alimentés par des parrains dans la région du Golfe; leurs principaux chefs sont originaires d'Algérie où ils ont participé aux affrontements des années 90; ils comptent dans leurs rangs des combattants venant d'origine multiples.
Du fait des excès de ces deux organisations, Ansar Din s'est séparé d'eux et aucun pays n'est disposé à les soutenir. S'il est difficile de voir un avenir politique à Aqmi et au Mujao, leur capacité de nuisance est entière; ils peuvent s'appuyer sur les bénéfices considérables tirés des trafics notamment de drogue dans la mesure où ils contrôlent effectivement une grande partie du Nord. C'est d'ailleurs le Mujao qui détient les otages algériens tandis que les otages français sont aux mains d'Aqmi.
Ansar Din, qui contrôle lui aussi une partie du territoire, a une position «diplomatique» plus élaborée. Le mouvement défend une vision de l'islam d'orientation wahhabite et son chef, bien que Touareg, a noué des relations étroites avec les Saoudiens lors d'un séjour dans le Royaume comme consul du Mali et avec les pays du Golfe; il est aujourd'hui leur interlocuteur. Il est également proche d'Alger et sa position est compatible avec celle du voisin du nord sur un aspect essentiel puisque son mouvement ne demande pas l'indépendance de l'Azawad.
Les otages français chez Aqmi.
Alors que les Touaregs ont une origine berbère, les responsables algériens sont normalement amenés à veiller à ce que la situation dans le nord du Mali ne vienne pas compliquer la gestion du dossier kabyle en Algérie.
Le Mnla est l'acteur le plus ancien et c'est lui qui a déclenché l'insurrection contre Bamako. Sa position sur l'indépendance lui a fermé l'appui des pays de la région et des pays du Golfe. Ainsi peut s'expliquer le fait que sa défense de l'islam malékite face au wahhabisme et sa position sur la laïcité n'aient jusqu'à présent pas pesé. En dépit d'une légitimité historique, il est affaibli d'autant que les armes venant de Libye se sont plutôt orientées vers ses rivaux d'Ansar Din et ses combattants ont perdu des positions sur le terrain. Les Berbères sont ses seuls alliés à l'extérieur; mais les sympathies qu'il peut avoir auprès des communautés Amazigh en Afrique du nord comptent peu. Il faudra probablement à l'avenir regarder du côté de la Libye où la reconnaissance du fait amazigh est la plus avancée.
Sur l'approche religieuse, on ne peut qu'être frappé de la proximité de la position du Mnla avec celle du prédicateur le plus respecté du pays, Chérif Ousmane Madani Haïdara, qui est à la fois un défenseur de l'islam malékite et de la laïcité. Le fossé qui se creuse actuellement entre le wahabisme et le malékisme provoque des tensions telles que le Haut Conseil Islamique pourrait bien éclater.
La crise malienne concerne toute la région mais aussi les intérêts français de sécurité, comme le rappellent à juste titre les plus hautes autorités de l'Etat français. Dans ce contexte les positions des acteurs dans le nord du pays constituent selon toute probabilité un révélateur des difficultés à venir.
* Consultant indépendant, associé au groupe d'analyse de JFC Conseil.