L'enchevêtrement des apports culturels ajouté à la présence d'identité locale a fait naître une identité tunisienne à cheval entre son appartenance méditerranéenne et ses acquis arabo-musulmans.
Par Talel Kamel
En ces jours, où tout le monde scande ses revendications haut et fort en les légitimant par le fait qu'il s'agit là du «bien de la Tunisie», et où la majorité ouvre son argumentaire avec des «l'intérêt de la Nation nous dicte...», et au-delà de la teneur et qualité des discours qu'on entend ou sous-entend, il est judicieux d'essayer de comprendre ce qui nous unit en premier lieu avant de débattre inlassablement de ce qui nous sépare.
Faut-il le rappeler que vers la fin 2010 et début 2011, ce ne sont aucunement les clivages partisans ni les différences sur les questions de la femme ou de la constitution qui nous ont fait sortir dans la rue et catalyser ce changement, c'est bien ce brin d'amour qu'on éprouve pour ce «petit pays» (les fans de la chanteuse aux pieds nus Cesaria Evora comprendront), cette patrie, la Tunisie.
Le sujet redondant de l'identité
On comprend vite que cet amour est motivé par le sentiment sincère d'appartenir à un groupe d'individus avec lesquels on partage un vécu, une histoire. Cette appartenance est l'identité, gravée dans notre inconscient au-delà d'être un numéro unique sur une carte d'identité nationale.
La question de l'identité a de tous temps été une polémique assez délicate, mais aujourd'hui elle devient un sujet redondant au sein de cette conjoncture actuelle de globalisation, de dynamique socio-économique où la seule constante est la mutation continue.
De part ma propre expérience, en tant que «Tunisien à l'étranger», j'ai été amené à tergiverser dessus même avant la révolution. En effet, l'identité est ce qui sédimente en nous quand nous nous éloignons de tous les rituels et coutumes du pays. En fait, ce qui est gravé dans nos mémoires est par définition cette identité dont nous débattons.
Cerner un tel sujet n'est pas trivial, c'est pourquoi j'ai posé la question autour de moi. Je me suis laissé imprégner par les différentes visions et réflexions parfois surprenantes, et heureusement, qu'ont émises mes amis à ce sujet.
Les trois flux identitaires majeurs
En résumé, on arrive à identifier les flux identitaires majeurs qui influent structurellement sur la naissance et l'évolution de ce sentiment d'identité et qui seraient au nombre de trois: la cellule familiale, l'emplacement géographique et enfin l'école ou lieu d'apprentissage.
Une première facette de cette diversité est sans doute la famille, cette première cellule sociale, d'où l'individu puise son appartenance. Une famille est une lignée d'individus dont l'histoire est enracinée dans le passé et par suite dans l'Histoire du groupe le plus élargi, par conséquent du pays.
Quelqu'un qui naît dans une famille conservatrice ou plutôt libérale n'a pas le même sentiment d'appartenance et c'est exactement au sein de ce premier réseau d'interactions que l'individu commence à tisser les premières relations avec les autres membres de la famille.
Le regard que portent ceux-ci sur l'individu est décisif quant à la constitution de son identité, à ne pas confondre avec personnalité.
En effet, l'appartenance familiale est la première pierre fondatrice de l'édifice identitaire. Nous-nous identifions avec cette famille, avec ses valeurs, ses principes. Que nous soyons d'accord ou pas avec ceux-ci n'est pas le problème, nous sommes partie prenante dans ce premier projet identitaire de facto.
Ce sont ces histoires de chevet, ces «khourafat» (contes) qui restent ancrées dans la mémoire et ce qui est gravé est nécessairement identitaire.
A notre âge, tout ceci paraît être loin dans le temps mais n'oublions pas qu'à notre tour, il est à nous désormais de construire cette cellule sociale et les détails comptent.
Ce qui paraît aussi être prépondérant quand nous parlons d'identité est l'emplacement géographique. Par emplacement géographique, j'entends aussi et entre autres le lieu de résidence.
Que quelqu'un grandisse en milieu urbain ou rural, sur la côte ou à l'intérieur, dans une région montagneuse ou sur les plaines, les flux identitaires sont tout aussi différents. Le milieu naturel conditionne à son tour une partie de l'identité collective qui de toute façon a un impact non sans importance sur l'identité individuelle. En d'autres termes, l'environnement joue un rôle important dans le développement du sentiment d'appartenance à un paysage particulier et de là à une certaine identité locale.
Ce sont les gens que nous y rencontrons qui sont le deuxième réseau de relations que nous tissons à la différence que ces relations sont «non subventionnées» par le lien de parenté.
Jusqu'à maintenant, nous n'avons parlé que des éléments qui nous sont plus ou moins imposés, où l'implication de l'individu semblait être supposée de fait. La première occasion que nous avons pour prendre notre identité en main est l'activité intellectuelle ou artisanale, liée á une forme de connaissance.
La connaissance en général et la connaissance de l'autre, de la différence induit un sens plus aigu de l'appartenance. Il est vrai que l'uniformité de notre système scolaire laisse peu de liberté à l'initiative personnelle dans ce sens où l'obsession du résultat qu'on nous inculque laisse peu de place à la créativité, à l'extravagance même modérée.
Cette uniformité fait aussi de cette mémoire collective une source de vécu commun. La simple expression «Hadha Abi Mabrouk» (Voici mon père Mabrouk) réveille en des générations entières le souvenir écolier ô combien agréable et c'est un peu cela notre identité. L'apprenti menuisier dans son atelier, l'apprenti maçon sur son chantier, le vendeur á la criée au souk et pas seulement l'écolière ou l'écolier en tablier rose ou bleu en sont tous des exemples vivants.
L'enchevêtrement des apports culturels
Ce petit bout de terre de berbères à la base qui a vu passer les dynasties fatimide, hafside et husseinite mais aussi et surtout les Phéniciens, les Grecs, les Romains et j'en passe, est un endroit très convoité de part son emplacement géostratégique.
L'enchevêtrement des apports culturels ajouté à la présence d'identité locale a fait naître une identité tunisienne à cheval entre son appartenance méditerranéenne et ses acquis arabo-musulmans. La diversité dans le cas de l'identité tunisienne ne veut pas dire éparpillement mais richesse.
L'identité est en fin de comptes ce cumul d'expériences duquel nous puisons notre appartenance.
Le Tunisien est en général patriote certes, fier parfois mais à un moindre degré identitaire dans ce sens où il veut se caser dans un modèle prédéfini, l'identité tunisienne est unique de part le brassage des cultures et des gens qui l'ont confectionnée. L'identité tunisienne est riche par sa complexité, par ses différentes facettes, le Tunisien se doit d'en prendre soin, de ne pas la marginaliser et de la repenser régulièrement.
L'identité n'est pas inerte, elle est favorable au changement, un changement qui se doit d'être conséquent, réfléchi mais surtout voulu.