L'Algérie ne peut plus se tenir à l'écart du conflit au Sahel. Cette réalité s'est imposée comme une évidence après l'attaque contre les installations gazières d'In Amenas conduite par des djihadistes d'Al-Qaïda.
Par Michel Roche*
L'attaque conduite par Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), le 16 janvier, contre le site gazier d'In Amenas constitue un tournant: en intervenant à l'intérieur du territoire algérien, les djihadistes ont choisi de pousser l'Algérie dans la crise. L'internationalisation est désormais effective sur le terrain.
Le coup de main d'Aqmi
Par ailleurs, il semble bien se confirmer que la colonne de combattants qui a attaqué le site n'a pas traversé la frontière et donc qu'elle venait d'Algérie, comme l'a indiqué le gouvernement algérien après avoir dans un premier temps envisagé une origine libyenne. L'Algérie ne peut donc plus s'estimer à l'écart de ce qui se passe chez ses voisins.
Les raisons qui ont pu pousser les djihadistes à lancer une telle opération ne sont pas claires. S'agissait-il d'une réponse à l'autorisation de survol donnée par Alger aux appareils français opérant au Mali? On a parlé aussi d'une réaction à un accrochage récemment intervenu entre des djihadistes et l'armée algérienne sur la frontière.
Une autre hypothèse d'ordre économique est avancée aujourd'hui: les prises d'otages apportent l'argent nécessaire à la poursuite des opérations. Toujours est-il que cette opération a nécessité une solide préparation et qu'elle avait certainement été planifiée bien avant la projection des forces françaises au Mali.
Quoi qu'il en soit, le coup de main d'Aqmi donne une nouvelle dimension à la crise.
Face à cette situation, Alger semble en train de changer de vision. Jusqu'à récemment la politique suivie visait à essayer de contrôler, voire instrumentaliser, certains groupes opérant au sud de sa frontière.
L'échec de la tentative d'instrumentalisation
Ainsi, tout en soutenant Ansar Din, le gouvernement algérien avait également maintenu les contacts avec le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), ce qui avait permis d'organiser une rencontre entre les deux mouvements à Alger dans la perspective d'une reprise du dialogue avec le médiateur de la Cedeao. Mais les évènements se sont précipités au début janvier et Ansar Din, qui avait accepté de de suspendre les hostilités, est revenu sur son engagement. Les djihadistes d'Aqmi et du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) ne pouvant constituer des interlocuteurs, puisqu'ils sont officiellement considérés comme terroristes, Alger a alors manifestement perdu un important levier politique dans la région. L'attaque du 16 janvier n'a fait que confirmer l'échec de cette approche.
Mais Alger n'est pas, pour autant, pris au dépourvu car la coopération dans le domaine sécuritaire constitue depuis un certain temps une priorité de son agenda international. Dans le contexte de la relation avec les voisins maghrébins, la chose est très claire : alors que le président tunisien avait annoncé, avec un très grand optimisme, la relance de l'Union du Maghreb arabe (UMA) en 2012, l'Algérie a constamment fait de la coopération en matière de sécurité la condition de cette relance. Et ceci explique que la seule réunion de niveau ministériel à se tenir, en 2012, ait été consacrée à l'extrémisme islamique. La même priorité s'exprime à travers la réunion tripartite (Algérie, Libye, Tunisie) qui s'est tenue à Ghadames (Libye) au début de l'année avec pour objectif de renforcer la coopération en matière de sécurité, notamment aux frontières. Cette réunion s'est d'ailleurs tenue au niveau des premiers ministres, ce qui souligne encore l'importance politique de la question.
L'Algérie contrainte de coopérer avec les Occidentaux
es faiblesses opérationnelles algériennes ont été prises en compte depuis un certain temps et ceci a amené un rapprochement avec Washington sur le plan de la sécurité. Un dialogue stratégique s'est ainsi noué entre les deux pays avec une première réunion à Washington à l'automne 2012, suivi peu après par une visite remarquée de Mme Clinton à Alger. Ces contacts sont aussi l'aboutissement logique d'une politique de dialogue engagée depuis plusieurs années avec l'Otan alors que l'organisation avait longtemps été diabolisée. La coopération qui s'exprime actuellement sur le terrain avec les Etats Unis a été préparée et elle repose sur de véritables bases.
Aussi le débat qui a eu lieu dans l'opinion algérienne après l'autorisation de survol donnée à la France pour intervenir au Mali a quelque chose de surréaliste ; les critiques émises par certaines personnalités avaient probablement plus à voir avec des sensibilités très fortes sur la relation avec la France qu'avec la réalité. Mais l'opinion était déjà en train de changer à la veille du coup de main d'Aqmi et les éditoriaux des grands journaux algériens avaient bousculé le tabou en estimant qu'il serait désormais impossible pour l'Algérie de se tenir à l'écart du conflit au Sahel. La tendance devrait se confirmer après le 16 janvier.
L'orientation nouvelle, qui semble se dessiner à Alger, serait aussi en phase avec les développements auxquels on assiste au sein de la Cedeao. La Misma vient de commencer à se déployer au Mali. L'Algérie a d'ailleurs pris soin d'assister aux derniers travaux de l'organisation sur le Mali et le ministre Messahel, délégué auprès du ministre des Affaires étrangères chargé des affaires maghrébines et africaines a notamment participé au dernier sommet à Abuja. Le sommet devant se tenir à Abidjan ce week-end est l'occasion de préciser le niveau de proximité avec les pays du Sahel qu'elle est prête à donner à son action; or la relation qu'elle développe avec les Occidentaux dans la crise va clairement dans le sens d'une coordination avec les pays du Sahel.
* Consultant indépendant, associé au groupe d'analyse de JFC Conseil.