Les hommes sont les produits de leurs temps et une figure à la Bourguiba, à la Hached ou à la Ben Youssef n'est pas intemporelle. Après l'ère des idéologies et des mouvements de masse, nous vivons aujourd'hui à l'ère du triomphe de l'individu.
Par Karim Ben Slimane*
La politique tunisienne continue encore à nous donner à pleurer et à rire. Après deux ans de la révolution le bilan reste mitigé.
Certes des avancées ont été faites notamment dans le domaine de la liberté d'expression même s'il ne faille pas crier victoire tant celle-ci est encore fragile et vulnérable.
Pugilats et batailles rangées
Au quotidien les choses semblent moins évidentes. Beaucoup regrettent déjà les anciens temps où on pouvait se promener tranquillement dans la rue et où on rentrait le couffin rempli à la maison.
Quant aux laissés-pour-compte de la république, ceux qu'on appelait jadis les zones d'ombres, rien n'a changé, la misère est toujours aussi pénible sous Ennahdha que sous Ben Ali.
La révolution tunisienne ne semble pas encore avoir fait le choix d'un modèle de société. Les valeurs et les objectifs de la révolution sont aujourd'hui des coquilles vides que chacun selon son bord politique veut remplir avec ses propres valeurs et sa propre vision. Ce qui aurait dû être une consultation et un dialogue concerté sur ce qui nous rassemble tous et sur ce qui constitue le socle de la «tunisianité» s'est transformé en pugilat et en batailles rangées pour grossir le trait de ce qui nous différencie.
Pourtant, le slogan de la révolution a été simple: liberté et dignité. Dévoyée par la politique politicienne et par les entreprises les plus sombres, la révolution a été peu-à-peu éloignée de ces deux idéaux. Alors pour son deuxième anniversaire, il est temps de se remémorer l'esprit du 14 janvier 2010 et de s'unir pour défendre une seule valeur: LA LIBERTE.
Libres de faire et libres de toutes pressions sociales et religieuses nous devons être. La liberté avec ses variantes inaliénables: politique, économique, culte, sexuelle et enfin la liberté de créer et d'espérer. Alors que ceux qui ont profité de la révolution pour faire revenir Dieu se taisent et que ceux qui ne peuvent vivre sans allégeance à César s'en aillent.
L'ère de l'individu libre
Il est malheureux de constater l'anachronisme de nos politiques et de nos intellectuels. Les sociétés ne se construisent plus par des visions et des projets comme cela fût le cas il y a cinquante ans quand les idéologies avaient un sens et que les peuples étaient frappés par l'indigence et l'ignorance. Ceux qui se rêvent en bâtisseurs et se voient en hommes visionnaires se trompent d'époques. Aujourd'hui, c'est le règne de l'INDIVIDU, Dieu et César de lui-même. Un individu libre de faire et libre de toute forme de tutelle. C'est le seul combat qui vaille. La politique doit évoluer et changer de vocation et se muer en l'art de gérer et réguler l'espace dans lequel les individualités se vivent et s'expriment.
Certes beaucoup aiment ressusciter les morts pour les prendre à témoin du présent mais qu'ils sachent que les hommes sont les produits de leurs temps et qu'une figure à la Bourguiba, à la Hached ou à la Ben Youssef n'est pas intemporelle.
Les idéologies sont aussi révolues et par là même les visions et les projets de sociétés car la figure centrale de cet ère nouvelle s'est désormais institutionnalisée: c'est l'individu libre.
Libres de faire, libres d'être et libres de toute forme de tutelle nous devons être. Alors de grâce, remettez Dieu et César (ou Allah et le Calife) dans leur carton, leur querelle ne nous intéresse plus.
*Spectateur rigolard de la vie politique tunisienne.