Dans ce texte, l'auteure ne cherche pas seulement dénoncer les conditions de vie dans les prisons tunisiennes. Sa grande priorité, comme elle dit, est de rendre ces institutions humanisées.
Par Dr Lilia Bouguira
Des regards hagards, perdus, fauves, fous ou curieux.
Un mince couloir.
De maigres couvertures appelées «zwer» sont jetées à même le sol comme un camp de nuit, levées en hâte à chaque matin aux premières heures de l'aube avant l'appel général.
Des hommes, depuis peu statués, se rangent les uns derrière les autres, comme dans une autoroute avec un énorme bouchon fait d'hommes en détention. D'où ce statut qui les raconte.
D'autres moins chanceux s'amoncellent chaque nuit en amas appelés «kodss». Du noir de leurs couvertures ou du noir de leurs pensées en détresse, ils doivent tout taire parce que même en cage, il n'y a pas de place pour eux!
D'autres, plus heureux, se réservent une place dans ce monde sans soleil en optant pour une position plus intime sous les lits superposés qu'on appelle camion dans l'argot des prisonniers. On raconte qu'un «bien hérité» a disparu pendant des semaines en ermite sous son camion sauf pour l'appel général et le comptage deux fois par jour pour les hommes en cage. Méditation, réclusion forcée ou encore une histoire de vie impossible à raconter!
Les anciens ont eu le temps de mieux s'organiser et chacun se garde de tenir férocement sa place sur un lit métallique superposé double ou triple qu'ils habillent de tenture. Le «chambri» est glacial. Les murs et le parterre sont faits en ciment délavé encore plus mordant que le marbre. Il incise dans les os, les poumons et rend les articulations vieilles et usées.
Une armure dans ce monde d'homme sans armure à part la force et le pouvoir de l'argent car même en prison tout s'achète!
Toujours ces fameuses «zwer» pour se garder des yeux curieux des regards intrus lorsque l'attention baisse et qu'œuvre le sommeil sur des corps endoloris par des secrets honteux.
Viols et vices sont des mannes féroces pour meurtrir les plus rebelles, les plus jeunes, les plus vulnérables. Couples exigés ou en sandwich sur des plates où on se serre jusqu'à trois, quatre et plus!
Ma finalité n'est pas de dénoncer mais rendre ces institutions humanisées reste ma grande priorité!