Quand les djihadistes partent en guerre, avec la bénédiction de Qaradhaoui et de Bernard-Henri Lévy, à l'assaut des «mauvaises dictatures», n'hésitant pas à mettre à feu et à sang des pays comme la Libye et la Syrie... le reste ne saura tarder.
Par Fethi Gharbi
Dans le monde arabe et islamique, on aura recours à une recette qui de tout temps a prouvé son efficacité: l'instrumentalisation systématique du religieux ou pour être plus précis du fanatisme religieux.
Les britanniques, bien avant leurs héritiers étasuniens sont passés maîtres dans l'art de la manipulation. C'est bien en jouant sur le fanatisme sioniste qu'ils ont réussi à implanter cette entité israélienne en plein cœur du monde arabe. Ce sont eux aussi qui, de peur des velléités nationalistes arabes du Chérif de la Mecque, ont choisi d'installer les Saoud et les Wahhabites à la tête de l'Arabie.
L'instrumentalisation systématique de l'islam politique
Depuis, voilà maintenant près d'un siècle, Britanniques et Etasuniens n'ont eu aucun souci à contrôler les gisements de pétrole et de gaz de la région. L'islam politique qui, depuis la fin de la première guerre mondiale, rêve du retour du Califat s'est toujours dressé contre tout courant politique nationaliste arabe ou de sensibilité socialiste. Une aubaine pour l'Empire qui va exploiter à fond la naïveté des Wahhabites et des Frères musulmans pour déstabiliser les régimes baasistes et nasséristes et stopper l'activité des mouvements de gauche au sein du monde arabe. A partir des années 70, l'enseignement puis l'instrumentalisation d'un islam radical est devenue systématique partout dans le monde arabo-islamique grâce aux deniers saoudiens et à la diabolisation de l'Urss qui n'a pas manqué de tomber dans le piège afghan finement dressé par la Cia.
La figure emblématique des «moudjahidines» afghans mais surtout arabes défendant l'islam face aux mécréants communistes est glorifiée par tous les médias occidentaux et arabes. Tout un montage médiatique usant des procédés théâtraux de l'identification vont servir à galvaniser les foules enflammées de jeunes islamistes prêts à mourir pour l'Afghanistan.
Après l'implosion de l'Union Soviétique, l'empire allait disposer d'un corps de combattants fanatisés, une nébuleuse islamiste malléable et manipulable à souhait qu'il s'empressa d'utiliser en Bosnie et en Tchétchénie. Mais le djihad va progressivement assumer un autre rôle, celui de la mise en œuvre de la théorie du «choc des civilisations» si chère aux néoconservateurs.
Par un jeu subtil d'identification/distanciation, on creuse encore plus profondément le fossé séparant Occident et monde musulman. Actions terroristes par ci, dénigrements du prophète par là, le tout surmédiatisé et le tour est joué. L'islam diabolisé vient ainsi remplir le vide laissé par le péril rouge et redonner sa cohésion à un Occident en mal d'identité.
Al-Qaïda et le rôle d'opposant diabolique
Voilà que le décor est définitivement planté. Il s'agit alors de partir en croisade contre ce mal plein de menaces.
Le coup de World Trad Center tombe à point nommé pour sonner le départ d'une campagne coloniale d'envergure digne du 19e siècle.
Dans cette mise en scène du «choc des civilisations», Al-Qaïda assure le rôle d'opposant diabolique lorsqu'il s'agit de justifier des invasions comme celle de l'Afghanistan par exemple. Avec l'avènement du «printemps arabe» les «terroristes» ont vite fait de troquer leurs habits d'antihéros contre ceux de révolutionnaires au service de la démocratie. Ils partent avec la bénédiction de Qaradhaoui et de Bernard-Henri Lévy à l'assaut des «mauvaises dictatures», n'hésitant pas à mettre à feu et à sang des pays comme la Libye et la Syrie... le reste ne saura tarder.
Ces rôles contradictoires et souvent concomitants prouvent que ces combattants ne sont que des exécutants agissant selon les besoins du moment de l'Empire unipolaire dans sa conquête précipitée du monde. Si le rôle de terroriste sert à apeurer les peuples occidentaux et légitimer de la sorte les invasions, celui de révolutionnaire de «l'hiver arabe» sert à la destruction systématique des États et du tissu social dans ces pays pris dans le tourbillon de toutes ces révoltes immédiatement récupérées. Aujourd'hui, il n'est plus besoin d'engager toute une armée de fantassins pour détruire un pays comme ce fut le cas en Irak. Il est plus subtil et plus rentable d'appliquer une stratégie d'autodestruction en montant les extrémistes sunnites contre les nationalistes arabes, la gauche, les chiites, les alaouites, les coptes et le reste des minorités religieuses. L'objectif est d'instaurer un état de guerre civile permanent s'étendant de l'Afrique du Nord au Golfe. Luttes tribales mais aussi conflits religieux et ethniques finiront bien par décomposer et «somaliser» l'ensemble du monde arabe.
Les frères musulmans, bien structurés et financés par les pays du Golfe n'ont eu aucune peine à se hisser au pouvoir en Tunisie et en Égypte. Ils sont de plus en plus contestés par la rue et les syndicats mais également par une opposition majoritairement ultralibérale et toute aussi compradore, lèche-bottes d'une modernité occidentale à l'agonie.
Une fois au pouvoir, les islamistes ont vite oublié leurs beaux discours rassembleurs et tentent par tous les moyens de reconstituer l'absolutisme des dictatures précédentes.
Les couches pauvres de la population de plus en plus misérable, se sentant trahies, se révoltent alors que les islamistes, aplatis face à l'Occident, sont sommés de poursuivre la même politique néolibérale débridée et de se soumettre aux injonctions de la Banque Mondiale. Alliés objectifs de l'Empire, ils n'hésitent pas à soutenir sa politique dévastatrice au Proche Orient et en Syrie plus particulièrement. Leur attitude sans cesse provocatrice et agressive à l'égard de tous ceux qui s'opposent à eux dans les pays où ils exercent le pouvoir n'arrête pas de faire monter dangereusement la pression et d'instaurer un climat de désordre permanent laissant planer le doute quant à leurs véritables intentions...
Une arme d'autodestruction massive
Cependant, cette instrumentalisation de l'extrémisme religieux lorsqu'elle embrasse une étendue géographique allant du Maroc jusqu'au Tatarstan, au cœur même de la fédération de Russie, elle se transforme tout simplement en arme d'autodestruction massive. Circonscrit au Caucase du Nord, le djihadisme, commence à s'étendre à d'autres régions de la fédération. Récemment, la police russe a arrêté à Moscou six membres du parti Hizb al-Tahrir al-Islami. Accusés de prosélytisme radical dans plusieurs mosquées de la capitale, ces derniers étaient en possession d'armes et d'une grosse somme d'argent. Fin août, au Daguestan, le cheikh Saïd Afandi Atsaev, pilier de la confrérie soufie des Naqshabandi a été tué avec six autres personnes par une femme kamikaze. Le 19 juillet dernier, à Kazan, deux leaders musulmans modérés ont été victimes d'une double attaque revendiquée sur YouTube par un certain Marat Khalimov, émir des moudjahidins du Tatarstan.
Il semble que l'effet domino si cher aux néoconservateurs a commencé à porter ses fruits après tant d'années de préparation. La mèche allumée en Tunisie et en Egypte, après avoir embrasé la Libye et la Syrie, fait saliver l'Empire qui rêve d'étendre l'incendie à l'Asie centrale, à l'Oural et jusqu'au Xinjiang chinois. Zbigniew Brzezinski, dans son livre ''Le Grand Échiquier'' n'affirme-t-il pas que celui qui tiendrait l'Eurasie serait le maître du monde... pour ajouter ensuite que les États-Unis doivent veiller au respect légitime de la primauté américaine sur cette Eurasie. Tout est dit...
(A suivre)
Articles précédents :
Le «printemps arabe» dans course folle de l'Empire (1/4)
Le «printemps arabe» dans course folle de l'Empire (2/4)