Quand un progressiste moderniste dénonce la violence, il est en phase avec ses principes. Mais quand il défend la tradition des mausolées des saints c'est que la politique est arrivée au bout de ses idéaux et de ses valeurs.

Par Karim Ben Slimane*

A l'approche du Mouled préparer et manger la «âssida» (crème de circonstance) est devenu un acte de résistance érigé contre les voix qui, après la révolution, ont fait de la condamnation des habitudes et des symboles des Tunisiens leur fonds de commerce. Autre acte de résistance, celui de la restauration rapide et la remise en état du mausolée de Sidi Bou Saïd afin d'abriter les festivités du Mouled.

La tornade wahhabite qui frappe la Tunisie depuis la révolution a trouvé dans le saccage des mausolées sa nouvelle cible.

Les salafistes et les islamistes mous

Ibn Abdelwahhab, le chef de file de l'idéologie éponyme, avait fustigé à son époque le culte des saints et l'adoration que vouaient les musulmans aux compagnons du prophète et à d'autres figures de l'islam. Celui qui se rêvait en réformateur de l'islam et des musulmans voyait dans le culte des saints un dévoiement du sacrosaint dogme de l'unicité de Dieu. Dans l'islam, la relation entre Dieu et le croyant ne supporte pas l'intermédiation d'un clergé ni d'un intercesseur.

Béji Caïd Essebsi au mausolée Sidi Bou Saïd.

Béji Caïd Essebsi au mausolée Sidi Bou Saïd.

Mais partout dans les pays musulmans des mausolées ont été érigés pour des saints à qui on reconnait des miracles ou une dévotion sans égal à Dieu. Tout un patrimoine immatériel comprenant chants, danses, histoires et légendes s'est constitué au fil des temps autour des saints en plus de leurs tombeaux et mausolées. Des confréries se sont aussi constituées et perdurent encore autour de certains saints soufis à l'instar de Sidi Abdelkader al-Jilani ou de Sidi Ahmed Ettijani au Maghreb. Chaque année des millions de musulmans font le pèlerinage des mausolées et tombeaux des saints et présentent offrandes et sacrifices.

Les attaques des 37 mausolées (nombre arrêté au 24 janvier, Ndlr) ont défrayé la chronique et nourri les discussions dans les médias tunisiens. Au bout du compte, l'actualité nous a donné un nouveau grief contre les salafistes et les islamistes mous ou modérés d'Ennahdha. Encore du pain béni pour l'opposition qui ne tergiverse jamais devant une opportunité pour dénoncer l'impéritie du pouvoir islamiste et fustiger ses entreprises rétrogrades.

Soyons clair sur un point important, la violence qui émaille la Tunisie est condamnable sans nuance. Qu'elle prenne pour cible les individus, les partis politiques, les intérêts économiques ou des mausolées la violence est une ignominie, en faire l'apologie ou la taire constitue un crime. Donc il est de bon ton et de bonne guerre de dénoncer les carences sécuritaires de l'Etat et de crier gare à la violence et à ses germes que certains ont entrepris de semer dans la société.

Cependant, la politique politicienne pousse souvent les esprits à tomber dans les excès et engourdit leur faculté de discernement. C'est comme ça que les convictions sont dévoyées, les idéaux travestis et les combats trahis et c'est aussi comme ça qu'à force de se contorsionner et de louvoyer les politiciens nous donnent à pleurer et à rire.

Donc vous excuserez une certaine légèreté de ma part alors que l'heure est grave, mais je n'ai pas pu m'empêcher de rire à l'écoute des tirades que les uns et les autres nous ont servies pour condamner les attaques contre les mausolées.

L'ambassadeur de France François Gouyette au mausolée de Sidi Bou Saïd, le 22 janvier 2013.

L'ambassadeur de France François Gouyette au mausolée de Sidi Bou Saïd, le 22 janvier 2013.

La politique au bout de ses idéaux

En effet j'ai trouvé amusant et ridicule à la fois que les militants de gauche se disant progressistes et modernistes défendent le rôle des mausolées dans la société. Certains le font habilement en se cachant derrière la protection d'un patrimoine culturel. Un argument auquel j'adhère pleinement. Mais aller jusqu'à dire que les mausolées et le culte des saints ont un rôle structurant dans notre société et que les pratiques et les habitudes autour de ces lieux (offrandes, sacrifices, pèlerinages, imploration etc.) sont louables car elles tissent des liens de solidarité entre les Tunisiens relève de la mauvaise foi. Venant de la bouche de progressistes modernistes ces propos sonnent comme une trahison.

Pourtant c'est la position exprimée dans les médias et plus précisément par certaines figures de la gauche tunisienne bien trempées sur le plateau de l'émission ''21 Heures'' sur la chaîne Attounissia du 24 février. Samir Ettaieb, apôtre de l'opposition contestataire et porte-parole d'Al-Massar (Voie démocratique et sociale) nous a appris que les étudiants nécessiteux de l'université du 9 Avril trouvaient au mausolée d'Essaïda el Manoubia refuge et réconfort le temps d'un repas ou d'une nuit. Sihem Bensedrine n'a pas manqué d'acquiescer.

Quand un progressiste moderniste dénonce la violence, il est en phase avec ses principes. Quand un progressiste moderniste défend des pratiques rétrogrades telles que celles qui sévissent dans les mausolées et autour des tombeaux des saints c'est que la politique est arrivée au bout de ses idéaux et de ses valeurs. Encore une fois nos politiciens nous donnent à rire et à pleurer.

*Spectateur rigolard de la vie politique tunisienne.