La période électorale a constitué une sorte de trêve dans le débat sur la colonisation, ni les candidats ni les grands partenaires d'Israël ne souhaitant aborder la question afin d'éviter tout risque d'envenimer le climat de la campagne.
Par Michel Roche*
Ceci explique que les réactions à la décision annoncée au début décembre de construire dans la zone dite E1 afin d'assurer physiquement le rattachement de tout ce secteur au «Grand Jérusalem», aient été très modérées. Tout au plus le message a-t-il été repris dans les capitales occidentales, que la poursuite de la colonisation risquait de rendre caduque la possibilité de création de l'Etat palestinien.
Une menace sérieuse pour Israël
Le nouveau gouvernement israélien risque pourtant de se trouver rapidement confronté au problème. Certes l'affaiblissement politique du monde arabe et la multiplication des crises peut sembler tout à fait favorable pour régler définitivement la question au profit d'Israël. Mais ceci ne serait pas sans risque au plan international.
Mahmoud Abbas, qui a jusqu'à présent montré beaucoup de retenue, a bien précisé que le début des travaux dans la zone E1 entraînerait une saisine de la Cour internationale de Justice. La menace est sérieuse pour Israël; la procédure pourrait être longue, mais une fois les démarches engagées, il sera difficile de s'y opposer.
Même si dans le meilleur des cas, Israël temporisait sur ses projets dans la zone E1, la question de fond ne risque pas pour autant de disparaitre de l'agenda : en poussant les feux sur la construction dans les Territoires Palestiniens depuis des mois, Israël a fait de facto de cette question la pierre de touche de la reprise des pourparlers. Et sur ce dossier, entre les Américains et les Européens, c'est le partenaire européen qui risque fort de se trouver bientôt en première ligne.
Le soutien indéfectible des Etats-Unis
Pour leur part, les Américains n'ont aucune raison de se mettre en avant sur une question où le dialogue avec les Israéliens a toujours été particulièrement rugueux. Au cours de son premier mandat, le président Obama s'est d'ailleurs comporté d'une manière parfaitement accommodante; bien plus, semble-t-il, que tous ses prédécesseurs, républicains compris. Les propos qu'il a tenus durant la campagne électorale se sont voulus rassurants. Rien ne peut donc laisser penser que son second mandat l'amène à changer de position. M. Kerry pas plus que M. Hagel n'ont laissé entrevoir une quelconque inflexion. Un premier signal sur le maintien du soutien à Israël a été donné par l'ambassadrice américaine aux Nations Unies, Mme Rice, le 23 janvier, qui s'est opposée publiquement à la présence d'une pancarte mentionnant «Etat de Palestine», lors d'une intervention de Mahmoud Abbas devant le Conseil de Sécurité.
Mais surtout la priorité de la Maison Blanche dans la région consiste à gérer le dossier iranien qui constitue le véritable enjeu stratégique dans la région; et ceci suppose de faire comprendre à Israël que l'initiative revient à Washington, et à Washington seulement. Alors que le danger iranien a été volontairement surexploité par M. Nethanyahou qui a essayé d'imposer son tempo durant l'année 2012, les messages à venir passeront d'autant mieux si Washington n'a pas également à hausser le ton sur un autre dossier.
C'est donc aux Européens que reviendra le soin de prendre position sur la colonisation, ce qu'ils voient venir sans enthousiasme excessif.
L'Europe s'interdit de tirer les conséquences de droit
La discussion doit en effet reprendre à Bruxelles par le biais du dossier de l'accès des produits fabriqués dans les colonies. Ces produits ne pouvant être admis dans l'Union Européenne dans les mêmes conditions que ceux qui sont fabriqués en Israël, il a été prévu depuis 2004 qu'un étiquetage permettant d'identifier les origines devrait être imposé. Le principe consiste à faire apposer un code postal permettant d'identifier l'origine des produits. Mais en réalité le système ne fonctionne pas, ou du moins mal: Israël ne s'est pas prêté à l'exercice; quant à la Commission, elle ne se bat pas vraiment pour faire respecter la mesure et si elle a établi une liste des implantations israéliennes qui seraient concernées, étrangement, cette liste n'est pas publique.
Est-ce manque de courage de la part des Européens? Est-ce l'efficacité du lobbying israélien à Bruxelles alors que les Palestiniens sont peu visibles? Toujours est-il que l'UE ne se presse toujours pas pour reprendre l'examen d'une mesure de portée somme toute très limitée, alors que le renouvellement de l'accord avec Israël, au printemps 2012, a rendu d'autant plus nécessaire une avancée de ce dossier. Il est d'ailleurs intéressant de remarquer que même les Verts, qu'on a connus plus engagés pour la défense des Palestiniens, se bornent à plaider pour que les différences d'origine soient clairement marquées, tout en précisant qu'il ne s'agit pas d'interdire l'entrée des produits fabriqués dans les colonies. Alors que l'illégalité de ces colonies est reconnue, l'Europe la plus engagée s'interdit toujours de tirer les conséquences de droit de cette situation, par crainte de parler de sanctions.
Si les gouvernements tergiversent, en revanche, le ton est en train de se durcir chez les ONG. Au cours de l'automne 2012 un collectif a demandé que l'UE mette enfin en place la procédure d'étiquetage attendue, tout en rappelant que l'objectif final doit être l'interdiction de l'importation des produits des colonies.
L'ancien Commissaire européen, Hans Van den Broek a préfacé leur rapport. Au tout début de l'année 2013, l'organisation Al Haq, basée à Ramallah, a également diffusé un rapport qui interpelle directement l'UE en soulignant qu'elle a la responsabilité, au regard du droit international, d'interdire l'accès des produits des colonies.
On peut gager que la pression ne va pas se relâcher, car parallèlement se développe un mouvement de harcèlement des entreprises internationales travaillant dans les parties du territoire palestinien occupées par Israël. Après avoir pris pour cible des entreprises françaises, le mouvement cible aujourd'hui plus particulièrement Volvo.
Or le nouveau gouvernement, qui sera formé en Israël, n'aura que très peu de marge de manœuvre. Le maintien de la plus grande partie des implantations fait consensus et M. Lapid, présenté comme l'homme nouveau de la politique israélienne, n'a affiché aucune distance sur ce point avec M. Nethanyahou durant la campagne. De façon symbolique il a d'ailleurs présenté sa vision de la politique étrangère israélienne en s'exprimant de l'implantation d'Ariel.
* Consultant indépendant, associé au groupe d'analyse de JFC Conseil.