Selon un sondage Ipsos pour le journal ''Le Monde'', 74% des «Français» considèrent l'islam comme une religion «intolérante». C'est inquiétant pour les musulmans, mais pas seulement...
Par Mohsen Dridi*
Donc, 74% des «Français» interrogés – vraisemblablement des non-musulmans – considèrent que l'islam est une religion «intolérante» et 70% des Français se sentent proches de l'idée selon laquelle «il y a trop d'étrangers en France».
Tels sont, entres autres, les résultats d'un sondage réalisé par l'institut Ipsos pour le journal ''Le Monde''.
Constat pour le moins inquiétant ! Inquiétant pour les «musulmans»1, à coup sûr!
Inquiétant pour «ces» musulmans de France, évidemment, car les voilà donc dans l'obligation de vivre, ainsi que les autres composantes de la société, avec une opinion publique qui considère comme leur religion intolérante !
L'islamophobie a de beaux jours devant elle
Une religion intolérante donc ! Mais, sachant qu'il n'existe pas, et qu'il n'a jamais existé de religion qui ne soit portée par des gens concrets, des croyants et des fidèles, il paraît donc évident que se sont les musulmans de France qui sont visés.
Bref, vous voilà averti! Dorénavant, lorsque vous sortez de chez vous, chaque matin, vous devrez vous dire que sur dix «Français» que vous croisez dans la rue, sept d'entres eux, au moins, considèrent que l'islam est une religion intolérante. Qui plus est, si vous êtes musulman ou que vous avez des signes extérieurs pouvant laisser penser que vous appartenez à cette religion, vous avez de quoi être inquiet, non!
Les partisans du choc des civilisations peuvent pavoiser, l'islamophobie a, encore, de beaux jours devant elle. Et le FN peut se frotter les mains!
Extrémistes religieux brûlent le drapeau français devant l'ambassade de France en Tunisie. (Ph. Mohamed M'Dalla)
Ceci étant ce n'est pas la première fois et ce ne sera vraisemblablement pas la dernière que les sondages se rappèlent au bon souvenir des étrangers!
Rappelons-nous les fameux «il y a trop d'étrangers», «trop d'immigrés», «trop d'Arabes», voire même à «trop de beurs» pour arriver, finalement, à notre «trop de musulmans»2. Alors, serait-ce là une énième version de ces vieux et classiques réflexes de peurs, mais remixée au goût du jour et du contexte? Car au fond, et à bien y regarder, ce sont toujours, à peu de chose près, les mêmes groupes humains et sociaux sur lesquels se focalisent ces peurs et ces phantasmes. Et pour faire simple et court, on ne connaît l'islam qu'à travers les... musulmans que l'on côtoie, que l'on voit ou que l'on croit voir. Le regard de l'autre quoi!
Et comme le regard de l'autre est toujours important dans une société, d'autant que cet «autre» est celui avec lequel on vit, peut-être même son voisin de palier, celui ou celle avec lesquels on travaille, on mène des combats3 parfois et celui et celle avec lesquels on est en train de construire un «vivre ensemble», on comprend, alors, l'amertume et la colère de ces musulmans.
Amertume et colère d'autant plus accentuées que, à la lecture des questions posées dans ce sondage, on mesure l'ampleur du problème. Surtout quand on nous précise que sur ces 74% de Français qui déclarent l'islam religion «intolérante», 54% considèrent même les musulmans comme plutôt «intégristes»4.
Les musulmans de France ont de sérieuses raisons d'être inquiets, non? Et certains n'ont pas manqué, ces derniers temps, d'exprimer leurs désapprobations et leurs colères quant à la manière dont les médias en France abordent et traitent des questions relatives à l'islam et/ou aux révolutions arabes5 par exemple.
Mais une fois passée le moment réactif il y a lieu de s'interroger sur l'ampleur et sur les conséquences de ces fractures. Bien sûr les sondages sont rarement neutres (tant dans le choix du thème, de la formulation des questions que du moment de leur publication). Pour autant ils n'en expriment pas moins l'état d'esprit, à un moment donné, sinon de l'opinion publique dans sa totalité, en tout cas des commanditaires et des initiateurs de ce sondage et de ceux qui y ont répondu.
Nécessaire retour sur les relations de l'islam et de la politique
Il faut donc s'interroger, calmement et sereinement, non seulement en tant que musulmans de France (pratiquant ou non, agnostique, laïc voire même non-croyant) mais aussi en tant que citoyen-nes.
1/ Tout d'abord il y a lieu de signaler l'inévitable sinon incontestable effet de contexte (les révolutions arabes et l'arrivée des partis islamistes, l'affaire Merah, les interventions en Afghanistan, en Libye, au Mali...) et quoi qu'en disent les commanditaires du sondage ils ne peuvent nier son impact.
La police française arrête un salafiste djihadiste en banlieue de Nantes.
Il convient ensuite de s'interroger sur ce phénomène de la violence que prônent les groupes salafistes ou les partisans du jihadisme qui entendent imposer aux autres – et faut-il le rappeler aux musulmans en premier lieu – une lecture et des pratiques rigoristes et, pourquoi ne pas le dire, moyen-orientale de l'islam qui n'ont que peu à voir avec les traditions et les racines arabo-andalouses, amazigh, africaines... qui ont cours au Maghreb. Et si les musulmans ne se posent pas ces questions, il ne faudra pas alors s'étonner que d'autres le fassent à leur place. D'autant plus impérieuse que cette interrogation et cette réflexion ne concernent pas seulement les musulmans de France.
En France la question se pose, évidemment, mais de manière spécifique en raison de l'ancrage de la démocratie et de l'existence de la laïcité ou plus exactement de la loi 1905 dite «loi de séparation des églises et de l'Etat» et sur lesquelles s'appuie l'islam6 comme d'ailleurs toutes les autres religions et/ou croyances.
Cependant le débat a pris une ampleur sans précédent sur l'autre rive de la Méditerranée depuis le déclenchement des révolutions arabes et l'arrivée au pouvoir des islamistes, à l'issue d'élections démocratiques (Tunisie, Egypte...). Se sont, dorénavant, les citoyen-nes et les sociétés civiles de ces pays qui se les posent et tentent d'apporter des réponses. Là de même nous n'aurons que des réponses spécifiques en rapport avec les réalités locales et nationales.
Et c'est tant mieux qu'il en soi ainsi, car cela peut nous sortir du schéma manichéen dans lequel était, depuis trop longtemps, enfermé tout débat sur l'islam. Nous avons là, peut être, la démonstration que l'instrumentalisation de cette question n'est pas seulement le fait de l'islamophobie ambiante et/ou de l'hostilité de l'Occident mais qu'elle peut l'être également sur l'autre rive de la Méditerranée. Et qu'il s'agit bel et bien d'une question sociétale de nature politique, culturelle, philosophique... et institutionnelle, qui se pose dans ces sociétés !
Lesquelles sociétés ne peuvent plus faire l'impasse sur des questions telles que les rapports islam et politique, sur le caractère civil de l'Etat, l'égalité hommes-femmes, sur le salafisme, le jihadisme, la violence politique notamment... Il leur faudra en particulier tout faire pour sortir ce débat de cette instrumentalisation idéologique dans laquelle cherchent à l'enfermer les islamistes. Et il leur faudra convaincre une partie de l'opinion, qui adhère à leurs thèses, qu'il s'agit d'abord et avant tout d'une question politique donc tout ce qu'il y a de plus séculier et profane.
Et heureusement les sociétés civiles en Tunisie comme en Egypte ont pris à bras-le-corps ces questions, conscientes, cependant, du risque d'instrumentalisation, intentionnellement mis en exergue par les tenants de l'islam politique, au détriment d'autres priorités et urgences. Mais peu importe le débat est ouvert et c'est tant mieux !
La crise de la démocratie
2/ Mais ce sondage doit également nous interpeller en tant que citoyen-nes. Tout le monde est concerné. Car au-delà de cette question de l'islam et sur laquelle se sont focalisés, pour de bonnes mais aussi de moins bonnes raisons, tous les commentateurs, laquelle n'était, au fond, qu'une question parmi d'autres dans ce sondage – il y a lieu de s'interroger sur les questions insuffisamment mises en lumière et qui méritent une attention au moins égale, sinon plus, à celles sur l'islam.
Ainsi pour 62% des Français «la plupart des hommes et des femmes politiques sont corrompus» et 72% que «le système démocratique fonctionne plutôt mal en France». 58% disent que «les journalistes font mal leur travail et 72% qu'ils ne parlent pas des vrais problèmes des Français». 87% pensent qu'«il faut un vrai chef en France pour remettre de l'ordre». Pour 78% «on n'est jamais trop prudent quand on a affaire aux autres». 65% estiment qu'il «faut renforcer les pouvoirs de notre pays quitte à limiter ceux de l'Europe». Pendant que 58% des sondés pensent que «la France doit se protéger davantage du monde d'aujourd'hui plutôt que de s'ouvrir au monde extérieur»...
Inquiétant, seulement pour les musulmans ?
Manifestation de salafistes en France.
Comme on le voit, dans ce sondage tout y passe: l'Europe, la mondialisation, mais également la classe politique, la démocratie, les médias... et plus encore. Le populisme, le repli identitaire, l'appel même à un «vrai chef pour mettre de l'ordre»... sont, peut être, les signaux annonciateurs de dangers encore plus inquiétants pour toute la société. Et l'islam, dans ce sondage, n'en serait qu'un élément révélateur.
* Militant associatif, membre de la Fédération des tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR).
Notes :
1- Je mets ce mot entre guillemets car, comme à chaque fois, ce terme désigne, sans aucune nuance évidemment, tous ceux et celles originaires des pays du Maghreb et du Machreq, les subsahariens... et englobe non seulement les croyants, pratiquants ou non d'ailleurs, mais également tous ceux et celles qui ne cherchent pas à mettre nécessairement en avant la foi musulmane comme marqueur d'identité dans leurs comportements au sein de la société. Peut-être même inclue t-on parmi eux des gens qui n'ont rien à voir avec l'islam mais qu'une certaine opinion publique a néanmoins catalogué comme tel. Bref voilà donc un terme qui est s'imposé à tous comme une véritable «assignation» à identité. Cela étant et sans vouloir faire l'autruche on est tout de même en droit de se demander mais pourquoi diable les musulmans de France sont-ils, à chaque fois, quasiment sommés de s'expliquer, voire même de se «justifier»?
2- «70% des Français se sentent proches de l'idée selon laquelle «il y a trop d'étrangers en France» (contre 30% qui se positionnent sur l'item opposé : «il n'y a pas trop d'étrangers en France»). Pour 67% des personnes interrogées, «on ne se sent plus chez soi comme avant» (...) Enfin, près de trois Français sur quatre (74%) pensent que la religion musulmane n'est pas tolérante et pas compatible avec les valeurs de la société française (Cf. Ipsos : France 2013 : les nouvelles fractures)
3- Selon une enquête du Cevipov, les musulmans de France appartiennent pour les trois quarts d'entre eux aux catégories populaires, ouvriers et employés. De même près de 48% des ouvriers et employés musulmans se classent plutôt à gauche. Et que, à titre d'exemple, sur 100 suffrages exprimés au second tour de la présidentielle de 2007, 95 se sont portés sur Ségolène Royal et 5 seulement sur Nicolas Sarkozy. (Cf. "Cevipof : le vote des musulmans". Décembre 2011)
4- 59% des sympathisants PS et 67% des sympathisants du front de gauche considèrent que l'islam n'est pas compatible avec les valeurs républicaines, loin cependant de l'UMP (81%) et du FN (94%).
5- On se souvient notamment de la colère déclenchée en Tunisie et chez les Tunisiens après le reportage de l'émission Envoyé Spécial intitulée «Sous la menace salafiste?» diffusé le 17 janvier dernier.
6- On ne le sait pas assez mais les responsables du culte musulman en France sont aussi les plus fervents défenseurs du principe de la laïcité qui assure et garanti, pour l'islam, la liberté de culte à l'instar de toutes les autres religions comme d'ailleurs de toutes les croyances, y compris le droit de ne pas croire.