Le projet «Mouhajabat Saghirat» (Petites filles en hijab) du prédicateur wahhabite koweïtien Nabil Al-Awadi et l'insoutenable légèreté de Sihem Badi, la ministre en charge de quoi? De l'Enfance, dites-vous?
Par Fayçal Abroug
Fidèle au poste comme chaque lundi et jeudi (sauf impondérable) pour suivre l'émission ''Attassia Massaa'' (21 heures) sur la chaîne Attounissia, zappant au gré de la médiocrité des interventions pour jeter un œil sur les autres chaînes; une émission qui, par-delà les qualités dont elle regorge ou les insuffisances qu'elle recèle, suscite l'intérêt, retient l'attention et surprend délibérément ou à son insu, fidèle donc au poste, j'ai été ce lundi 28 janvier, comme probablement un grand nombre de spectateurs meurtris dans leur conscience, leur âme, leur chair, tant l'horreur était insoutenable, j'ai été royalement servi.
Petits anges et oulémas libidineux
L'horreur émane d'abord des images choquantes de ces petites filles pitoyablement enfoulardées que des barbus, marchands d'esclaves et d'odalisques des temps modernes arborent comme un trophée de «ghazoua» (conquête), réminiscence d'un passé lointain, poussiéreux, déterré avec une nostalgie pathologique, ou une victoire posthume de croisades anachroniques.
Les images de ces petits anges ravalés par des oulémas libidineux au rang de femelles (le terme «ontha» en arabe ne relève-t-il pas d'une nomenclature animale) à gommer, ne serait-ce que d'une manière symbolique comme en témoigne l'accoutrement dont elles sont affublées, de l'espace public pour les mettre à l'abri du regard de l'homme, cet être grégaire dont les comportements seraient régis par la testostérone; les images de cette scène tragi-comique vous donnent une envie de vomir chaque fois que vous les voyez même si vous les avez déjà visionnées puisqu'elles circulent depuis quelques jours sur les réseaux sociaux, une envie difficile à contenir, tant elles heurtent le simple bon sens, tant elles sont en porte-à-faux avec les principes les plus élémentaires de la psychologie de l'enfant et de la pédagogie y afférente qui fondent l'éducation des enfants et sous-tendent le processus de développement cognitif, psychologique et socio-affectif de ces êtres en devenir, et partant le développement de leur personnalité.
Ces petits anges ravalés par des oulémas libidineux au rang de femelles.
Un anachronisme venu d'ailleurs
L'horreur suinte, ensuite, des images indécentes du cortège lugubre digne d'un caïd de la mafia, composé d'une grosse cylindrée noire qui rappelle, à bien des égards, le corbillard et de motards tout de noir vêtus, un noir qui sied à l'atmosphère lugubre qui s'en dégage.
L'horreur dégoutte également des propos éhontés tenus par téléphone en guise de droit de réponse par le cheikh (le prédicateur wahhabite koweïtien Nabil Al-Awadi, Ndlr), aux fatwas aussi saugrenues que libidineuses, initiateur du projet «Mouhajabat Saghirat» (Fillettes voilées), un anachronisme venu d'ailleurs, hors de l'espace et du temps, un ailleurs puant le pétrole et le gaz, qui se permet de nous donner des leçons, tenez-vous bien, en matière de liberté de pensée, d'expression, de respect de l'autre et de démocratie, se félicitant de voir la Tunisie redevenir une terre d'accueil, hospitalière (au sens religieux du terme) pour les oulémas et les prédicateurs (têtes pensantes et «dépensente» du jihadisme, est-il besoin de le rappeler), sans oublier, bien entendu, de sermonner les invités de l'émission, du moins certains, pour leur rappeler les règles de la bienséance.
L'horreur dégouline surtout des propos inqualifiables, non à cause d'une pénurie d'adjectifs mais par respect pour le lecteur, de madame la ministre de... de quoi au fait?... de l'enfance dites-vous?... entre autres! (Sihem Badi, Ndlr)
La panoplie du politique en situation d'échec
Une véritable diarrhée verbale sans point ni virgule que la ministre déverse via satellite sur le plateau en guise de réponse à toutes les questions posées par l'animateur, même les plus pointues: êtes-vous au courant de ce qui s'est passé à Zarzis? Est-ce que vous considérez ces pratiques comme une agression à l'encontre de ces enfants et une atteinte à leur innocence, à leur enfance? Est-ce que vous condamnez ces pratiques? Répondez par oui ou par non s'il vous plaît.
Rien n'y fait. Un discours débridé, redondant et répétitif gicle à travers l'écran sur un ton suffisant et arrogant. Il s'articule autour de deux idées refrain: l'amplification de phénomènes marginaux au détriment des vrais dangers qui menacent nos enfants à savoir la violence, la drogue et autres fléaux dont il aurait fallu débattre, s'en prenant même à l'animateur; la théorie du complot ourdi par des forces occultes contre-révolutionnaires, très probablement, contre le gouvernement légitime, et bien entendu, son corollaire, l'incontournable surenchère politique, sans parler des propos obséquieux à l'endroit des «macheikh» et en particulier celui présent sur le plateau, l'incontournable cheikh Mourou.
Ces petits anges ravalés par des oulémas libidineux au rang de femelles.
Dieu merci, la ministre nous rassure, dans une forme d'argumentation par l'absurde à la limite de la banalisation et donc de la justification, sur le sort de nos enfants car l'intelligence des Tunisiens et leur capacité à défendre leur identité arabo-musulmane qui repose sur un islam éclairé et modéré (concept éculé que fait valoir également le pédagogue wahhabite), constituent un rempart contre toute dérive.
Bref, toute la panoplie du politique en difficulté voire en situation d'échec.
Défaillance méthodologique? Fuite en avant pour se dérober à son devoir de citoyenne et se dédouaner de sa responsabilité de ministre? Démagogie infantile qui cache mal une manœuvre politicienne électoraliste tellement la ficelle est grosse: un appel du pied aux salafistes toutes branches confondues, le ministre – conseiller du président de la république qui a reçu en grandes pompes le prédicateur-pédagogue (Imed Daïmi, Ndlr) étant du même bord politique que la ministre (Congrès pour la république, Ndlr)?
Faut-il s'en étonner? Peut-on s'attendre à autre chose de la part d'une ministre qui pose pour une photo souvenir dans une sorte de fusion béate, joue contre semelle, avec les chaussures de l'ex-«première dame», icône de la corruption et des malversations en tous genres?
Répondre à cette pléthore de questions c'est insulter votre intelligence!
Horreur insoutenable que ni la grandiloquente et paradoxale casuistique, digne d'une joute oratoire, du cheikh Abdelfattah Mourou (vice-président du parti islamiste Ennahdha, au pouvoir, Ndlr) ni l'artificielle mise en équilibre socio-théologique opérée par Slaheddine El Jourchi dont je salue, au passage, le subtil clin d'œil à M. le chef du gouvernement «rabbi yechfih» (puisse Dieu lui accorder la guérison), n'ont réussi à atténuer.