impôt sur la fortune

La nouvelle redevance sur les revenus au profit de la caisse de compensation: compensation de la compensation ou introduction de l'impôt sur la fortune?

Par Anis Wahabi*

La loi de finances pour la gestion de l'année 2013 a institué une nouvelle redevance sur les revenus, pour financer la caisse de compensation. Une note commune (Texte n° DGI 2013/1) vient de paraitre pour expliquer et illustrer cette nouvelle mesure.

Compensation et ciblage des bénéficiaires

Il est tout d'abord important de rappeler que cette caisse de compensation pèse trop sur le budget de l'Etat, au alentour de 17% du budget global, mais on n'arrive pas à lui trouver une solution équitable et pérenne.

Le problème porte, en effet, sur le ciblage des bénéficiaires de cette caisse qui profite à tous les citoyens, quel que soit leur pouvoir d'achat. Riches ou pauvres, tous consomment les mêmes produits (pain, lait, farine, savon, gasoil, électricité, etc.) et bénéficient du même niveau de compensation.

La redevance instituée par la loi de finances de cette année pourrait être justifiée, donc, par une volonté de l'administration fiscale de redresser, un tant soit peu, cette inégalité. Les riches payeront 1% de plus de leurs revenus «en compensation» des produits couverts par la caisse de compensation.

Le taux et le champs d'application de la redevance

La redevance est due au taux de 1% sur le revenu annuel net, quel que soit le régime fiscal, dépassant 20.000 dinars avec un maximum de 2.000 dinars par an.

Ceci dit, l'administration tunisienne considère que les contribuables gagnant annuellement plus que 20.000 dinars sont assez aisés, pour ne pas dire riches, et peuvent donc se permettre de payer un impôt en plus. Si c'est dans le cadre de la solidarité sociale, et compte tenu de la faiblesse du taux de la redevance, ceci peut être accepté.

Cette redevance est, toutefois, limitée, ce qui nous rappelle le bouclier fiscal à la «Sarkozienne». En effet, les revenus annuels dépassant 200.000 ne sont pas concernés par cette redevance.

Aussi, la redevance ne concerne pas les sociétés mais seulement les personnes physiques. Pourtant, les produits concernés par la caisse de compensation sont aussi consommés par les sociétés au même titre que les autres contribuables. Il semble donc qu'on n'a pas trop pensé au principe d'équité.

La redevance s'applique à toute personne physique résidente ou non résidente réalisant des revenus entrant dans le champ d'application de l'impôt sur le revenu des personnes physiques. Elle est calculée sur la base du revenu annuel net, quel que soit le régime fiscal, à ce titre elle s'applique au revenu imposable, au revenu exonéré et au revenu se trouvant hors champ d'application de l'impôt.

Sont donc concernés les revenus exonérés comprenant tout revenu non imposable en vertu de la législation en vigueur tel le cas des dividendes, des revenus bénéficiant d'un avantage fiscal tel que les bénéfices provenant de l'exportation, du développement régional ou du développement agricole, etc.

Si l'exclusion des revenus réalisés par les personnes physiques non résidentes non établies est logique, étant donné que cela échappe de facto à l'impôt en Tunisie, celle concernant les forfaitaires ne peut être qu'une aberration. Faut-il rappeler que l'impôt forfaitaire (contribuables soumis à l'impôt aux revenus relevant de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux réalisés par les personnes soumises à l'impôt sur le revenu selon le régime forfaitaire) est une source non négligeable d'évasion fiscale et de manque à gagner pour les recettes de l'Etat.

En plus, conceptuellement parlant, le régime forfaitaire est source d'iniquité fiscale, qui se trouve, malheureusement, aggravée par la nouvelle mesure.

Ne sont pas aussi soumis à la redevance, les gains en capital, tels que :

- la plus-value immobilière prévue par l'article 27 du code de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et de l'impôt sur les sociétés;

- la plus-value réalisée de la cession des titres prévue par l'article 31 bis dudit code;

- la plus-value réalisée de la cession des immeubles par les personnes morales non résidentes non établies prévue par l'article 45 dudit code.

Pour le cas des revenus imposables, le revenu net est déterminé après toutes les déductions prévues par la législation en vigueur tel que les déductions pour situation et charges de famille, les déductions au titre des avantages fiscaux pour réinvestissements ou les déductions au titre des dépôts dans des comptes épargne en actions ou des comptes épargne investissement, des primes d'assurances-vie et aussi après déduction de l'impôt sur le revenu exigible sur le revenu net imposable même s'il s'agit du minimum d'impôt.

L'illustration présentée par la note commune pour expliquer cette disposition est très drôle.

L'exemple d'un contribuable qui gagne en une année 472.299,750 dinars est certes pédagogique, mais, n'est il pas révélateur de la préemption de l'administration fiscale, selon laquelle tous les contribuables sont riches jusqu'à preuve du contraire?

La liquidation de la redevance

La redevance est recouvrée comme en matière d'impôt sur le revenu ; elle est donc payée dans le cadre de la déclaration de l'impôt sur le revenu. La redevance s'applique à partir du 1er janvier 2013 sur les revenus réalisés en 2012 et déclarés au cours de l'année 2013 et aux revenus des années ultérieures.

Aussi et pour les salariés et les pensionnés la redevance doit faire l'objet de retenue à la source au même titre que l'impôt sur le revenu.

La retenue s'effectue dans ce cas sur le traitement, le salaire ou la pension après déduction du montant de l'impôt annuel. La redevance ainsi prélevée à la source doit être payée dans les mêmes délais prévus pour la retenue à la source au titre de l'impôt sur le revenu.

Le chantier est donc lancé pour la mise à jour des logiciels de paie des employeurs, afin de tenir compte de cette nouvelle retenue à la source. A la hâte, compte tenu de l'application immédiate de la mesure, mais toujours rattrapable pour ceux qui ne l'ont pas encore appliquée.

Reste dans ce cas à résoudre un problème pratique qui concerne les employés qui sont convenus avec leur employeur sur un salaire net. La nouvelle redevance aboutira, dans ces cas, à une augmentation directe des charges salariales pour les entreprises concernées.

Par ailleurs, dans le cas où le salarié ou le titulaire de la pension soumis à la retenue à la source au titre de la redevance réalise d'autres revenus, il doit liquider la redevance sur le revenu global net et payer la différence de la redevance retenue à la source et le montant de la redevance liquidée sur le revenu global net annuel.

Ce que la note commune occulte de mentionner est la possibilité ou non donnée au contribuable d'affecter les retenues à la source opérée sur leurs encaissements, sur ladite redevance.

S'agissant d'une redevance distincte de l'impôt sur le revenu, je ne crois pas que la compensation serait possible.

Le sort de la redevance

La redevance est due au profit de la caisse générale de compensation et n'est déductible ni de l'impôt sur le revenu ni de l'assiette imposable.

Cela va dans l'objectif de recherche de nouvelles ressources pour la caisse de compensation. S'agit-il d'une mesure temporaire ou permanente?

Ne suivra-t-elle pas le sort de la mesure relative au timbre de voyage, prévue depuis les années 80 pour une courte période, mais maintenue et augmentée depuis?

Suivra-t-elle le sort de la mesure du timbre sur les recharges de télécommunication, qui a connu une augmentation exponentielle en quelques années?

Il me semble qu'on a ouvert la porte à un nouvel impôt sur la fortune qui ne veut pas en porter le nom. Si c'est pour une cause noble telle que supporter l'effort national de compensation, nul ne peut s'opposer. Mais n'oublions pas que la caisse de compensation finance aussi le thé et le café, et mérite pour cela, une réflexion très profonde.

*Expert comptable.