«Si tu n'as pas honte, fais ce que bon te semble!», dit un bon et judicieux proverbe arabe. Alors, mesdames et messieurs d'Ennahdha et alliés, faites ce que bon vous semble car les électeurs finiront bien par vous sanctionner.
Par Mohamed Ridha Bouguerra*
La plupart des observateurs de la scène politique tunisienne ont remarqué, depuis un an environ, que chaque fois que le parti conservateur religieux Ennahdha a des difficultés avec ses deux alliés de la «troïka», la coalition tripartite au pouvoir, ou face à l'opinion publique, il n'hésite pas à allumer des contre-feux. Le but recherché par cette manœuvre qui se veut fine politique, voire machiavélique: faire diversion et ainsi détourner, au moins momentanément, le regard des futurs électeurs potentiels des questions brûlantes de l'heure. Cela est, particulièrement, manifeste en ce moment où le rocambolesque feuilleton du remaniement ministériel traîne en longueur depuis des mois et risque de déboucher, finalement, soit sur un non événement, soit sur l'implosion de la «troïka».
Quelques exemples criants de ces tentatives dilatoires, qui, à bien examiner, sont souvent autant de transgressions des lois du pays.
Le parti au pouvoir fait l'apologie du crime
Un élu nahdhaoui de l'Assemblée nationale constituante (Anc), Ali Farès, est revenu sur les circonstances qui ont conduit au décès de feu Lotfi Nagdh, père de six enfants et militant de Nida Tounes à Tataouine. L'honorable député a publiquement et sur les bancs de l'Assemblée, pris la défense des miliciens de la prétendue Ligue de protection de la révolution (LPR) qui ont porté des coups mortels au défunt. Il n'a pas craint de les qualifier de «héros au service de la révolution». Il a osé même s'interroger, ensuite, si l'on devait considérer ces actes comme des actes criminels passibles des lois ordinaires ou si l'on ne devait pas, plutôt, y voir «un acte héroïque».
Le député nahdhaoui Ali Fares fait l'apologie des meutriers de Lotfi Nagdh à tataouine.
Il ne suffit pas de dénoncer ici ce qui n'est rien d'autre que l'apologie d'un crime. Il s'agit de savoir s'il existe encore un État de droit dans ce pays. Il s'agit de savoir comment le président de l'Anc et les autorités publiques laissent passer de tels propos sans qu'aucune mesure ou la moindre sanction ne soit prise. Il s'agit encore de savoir si, en toutes circonstances, force doit rester à la loi ou bien si celle-ci dépend du justiciable. Malheur au pays où s'appliquerait une soi-disant justice qui n'obéit qu'à la loi de la jungle telle que définie par La Fontaine dans «Les animaux malades de la peste» : «Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.»
Peut-on compter sur une justice aux ordres?
D'ailleurs, dans certains cas, on pourrait se demander si l'on peut encore parler de justice. Comment qualifier, en effet, le procès pour agression et harcèlement qui vient d'être intenté à des employés de la chaine Watania par certains de ces sit-inneurs qui ont, impunément, campé, durant plus de cinquante jours, devant le siège de la télévision nationale?
On serait tenté de dire que, dans le cas d'espèce, c'est le voleur qui crie au voleur! Ce ne sont pas les nombreuses plaintes déposées par les agents du service public empêchés de faire dignement leur travail qui ont été instruites, mais bien celles de ceux qui les ont agressés verbalement et, parfois, physiquement même!
Comment s'empêcher d'exiger encore et encore qu'un ministère régalien comme celui de la Justice ne soit pas détenu par un membre du principal parti au pouvoir, mais par une personnalité indépendante afin qu'en toutes circonstances force doit rester à la loi, à une loi juste et impartiale!
A l'Anc encore, le sieur Habib Khedder, rapporteur général de la commission de rédaction de la future constitution, aurait pris une étrange initiative qui a choqué plus d'un. Fort de 112 signatures recueillies auprès de ses amis nahdhaouis principalement et ceux de leurs alliés du Congrès pour république (CpR) à la Constituante, l'activiste du parti religieux, enfant spirituel et chéri de M. Ghannouchi, a proposé au bureau de l'Assemblée de changer l'ordre des priorités et de faire passer le projet de loi sur la protection de la révolution, ou, plutôt, projet d'exclusion de la scène politique de nombre d'anciens cadres du Néo-destour et du Rcd, ex-partis au pouvoir, sans que ceux-ci soient jugés par les futures instances ad-hoc de la justice transitionnelle.
Ainsi, miraculeusement, ce projet est devenu, d'un trait de plume, l'urgence du moment alors qu'il n'occupait jusque-là que le 87e rang sur l'agenda de l'Anc! Il semblerait, comme l'affirme M. Caïd Essebsi, que rien dans «la petite constitution» ou règlement intérieur de l'Anc n'autorise pareille démarche! Alors, si la loi n'est pas respectée par ceux-là mêmes qui se la sont dictée et qui sont, en outre, actuellement proposés à sa rédaction, que faudrait-il augurer de notre future Loi fondamentale!
Un crime contre l'innocence
Le fils de Lotfi Nagdh, militant de Nida Tounes, assassiné par des milices pro-Ennahdha.
Mais si les élus nahdhaouis, et certains parmi leurs alliés, ont signé en masse en faveur de la loi d'exclusion, ils ont carrément refusé de se joindre à plus de 70 de leurs confrères à l'Anc qui réclamaient d'interdire de prêche un prédicateur koweitien actuellement en visite en Tunisie. Comment s'étonner, d'ailleurs, de ce refus de la part des Nahdhaouis lorsque l'on sait que le sieur Nabil Al-Awadi a eu droit au salon d'honneur de l'aéroport de Tunis-Carthage où il a été accueilli par le chef de cabinet du président provisoire de la république? Ajoutons aussi que l'un de ces conférenciers, récemment invité pour disserter en présence du chef de l'État au Palais de Carthage, l'imam Béchir Ben Hassen, a juré trois fois, en pleine mosquée de Kabaria (quartier populaire au sud de Tunis), que s'il avait détenu une once de pouvoir, il aurait immédiatement offert la nationalité tunisienne à l'invité koweitien. Il a ajouté, dans la foulée, qu'il l'aurait, sans tarder, marié à une fille du pays!
Or, le moins que l'on puisse dire, c'est que le discours que tient M. Nabil Al-Awadi dans ses prêches n'est conforme ni aux traditions ni aux lois en vigueur en Tunisie. Le visiteur ne réclame pas moins que le port du voile intégral pour... les fillettes pas encore nubiles. Ses hôtes n'ont-ils pas organisé une cérémonie qui a dû pleinement satisfaire le jeune prédicateur puisqu'il y avait à son accueil au sud tunisien celles qu'ils ont désignées par «les princesses de Zarzis»! Par princesses, il faut entendre des gamines de cinq ou six ans, si l'on en juge d'après les photos largement publiées en ce moment par tous les journaux, certaines suçant encore candidement leur pouce, mais, toutes, bien entendu, entièrement voilées de pied en cap!
Il y a là un crime contre l'innocence, un crime contre l'enfance, un crime préjudiciable à un sain développement intellectuel de ces fillettes sacrifiées sur l'autel du wahhabisme, ô combien étranger à nos mœurs séculaires! Madame la ministre de la Femme et de la Famille, en charge de la protection de l'enfance, n'est pas, apparemment, trop scandalisée par de telles photos ! Son excellence pense qu'il y a plus grave, selon elle, à savoir certains fléaux importés de l'étranger, comme la drogue et les sites pornographiques sur Internet, qui font des ravages parmi notre jeunesse et la détourne du droit chemin. Soit ! Faut-il, pour autant, fermer les yeux sur d'autres pratiques non moins dangereuses et qui consistent à priver ces innocentes fillettes de leur enfance alors qu'elles ne demanderaient, si on leur donnait le choix, qu'à gambader librement et sans entraves comme toutes celles de leur âge! Madame la ministre respecte-t-elle les lois qu'elle est chargée de faire appliquer? En ne remplissant pas entièrement la charge pour laquelle elle est en place ne devient-elle pas complice de ces faux dévots qui commencent par s'en prendre aux enfants d'abord en attendant d'avaler la société entière?
Lotfi Nagdh dans la mémoire des Tunisiens et Tunisiennes manifestant contre la violence politique (Ph. Mohamed M'Dallah).
Bientôt, ce sont les urnes qui parleront
Pour conclure, rappelons ce bon et judicieux proverbe arabe qui dit: «Si tu n'as pas honte, fais ce que bon te semble!» Alors, madame et messieurs faites ce que bon vous semble car les électeurs finiront bien par vous sanctionner prochainement. Car, il ne faut pas trop compter, malheureusement, sur la justice pour vous rendre comptables de vos faits, gestes et paroles tellement nuisibles à notre société si ouverte et tolérante dont vous avez juré la mort ! Mais si la justice ne fait pas son travail, comptez bien sur nous pour vous empêcher de nuire davantage à notre Tunisie car nous avons décidé d'être pour vous comme une épine au pied ou, pour reprendre un autre dicton tunisien, une arête au fond de la gorge!
*- Universitaire.