Les Nahdhaouis démocrates, s'il en existe bien sûr, devraient dénoncer clairement et sans ambiguïté l'aile radicale de leur parti, même si le prix à payer est la scission ou l'implosion d'Ennahdha.
Par Salah Oueslati*
Pourquoi assassiner Chokri Belaïd, alors qu'a priori son parti ne constitue nullement un concurrent électoral de premier plan à Ennahdha? Les raisons sont simples. Belaïd est l'un des rares hommes politiques qui a fait une lecture pertinente de la stratégie du parti islamiste et qui n'a pas hésité à révéler à maintes reprises son plan d'assassinat de ses opposants politiques, et à dénoncer le noyautage de l'armée et de l'appareil de l'Etat par Ennahdha et les liens obscurs que ce parti entretient avec des parties étrangères.
«A qui profite le crime?»
Fidèle à leur habitude, Ennahdha et ses sympathisants se sont empressés d'utiliser la théorie du complot sur les réseaux sociaux pour donner leur version des faits et reprendre en chœur le mot d'ordre de leur chef Rached Ghannouchi: «A qui profite le crime?». Une façon de convaincre les esprits simples qu'ils sont non seulement étrangers à cet acte inqualifiable, mais qu'ils en sont l'une des victimes. Si Ennahdha n'est pas le commanditaire direct de cet assassinat, et l'enquête policière le dira peut être un jour, le gouvernement issu de ce parti et des autre membres de la Troïka est au moins responsable du climat d'impunité qui règne dans le pays et qui a conduit à l'assassinat non seulement de Chokri Belaïd mais aussi de Lotfi Nagdh.
Il n'est un secret pour personne que de nombreux membres d'Ennahdha y compris son leader n'ont jamais soldé leur passé terroriste et n'ont jamais renoncé à la violence pour arriver au pouvoir par le passé, et pour se maintenir au pouvoir après les dernières élections. Ce parti n'a t-il pas, il y a seulement quelques jours, publié un communiqué appelant à la libération de l'assassin de Lotfi Nagdh? Lors des deux journées du vendredi 1er et du samedi 2 février, le bras armé d'Ennahdha, les pseudo Ligues de protection de la révolution, n'ont-elles pas empêché par la force deux meetings des partis de l'opposition de se tenir à Kairouan et au Kef? Les milices d'Ennahdha n'ont-elles pas séquestré Ahmed Néjib Chebbi à Gabès, agressé un vieux militant démocratique âgé de 70 ans à Kairouan, essayé de s'attaquer au siège central de Nida Tounes à Tunis et saccagé le local de ce parti à Kébili?
Un gouvernement laxiste ou complice?
Devant cette violence quotidienne commise avec une totale impunité les forces de l'ordre, sous l'autorité de Ali Lârayedh, restent non seulement passives, mais aucune enquête n'est diligentée par les autorités compétentes pour trouver les assassins ou les auteurs d'actes de violence ou de vandalisme. Aucune poursuite judiciaire n'a été engagée contre les imams qui appellent à la haine, à la violence, voire à l'assassinat d'hommes politiques de l'opposition et qui, de surcroit, encouragent nos jeunes à partir au jihad en Syrie et ailleurs au vu et au su de tout le monde.
Aujourd'hui une nouvelle étape est franchie: l'élimination physique des opposants politiques ! Même pendant les années sombres de la dictature, la Tunisie n'avait pas connu des assassinats politiques aussi flagrants.
Ennahdha a eu le bénéfice du doute, mais le doute n'est plus permis aujourd'hui. Force est de constater que l'aile radicale de ce parti a pris le dessus. Celle-ci n'acceptera jamais de jouer le jeu démocratique, aveuglée comme elle est par sa volonté d'imposer au pays un projet chimérique d'un autre âge pour assouvir une revanche sur un peuple qu'elle n'a jamais réussi à embrigader. Paniquée comme elle est par l'émergence d'une opposition de plus en plus crédible, elle décide de recourir au terrorisme comme ultime moyen pour se maintenir au pouvoir.
Les Nahdhaouis démocrates et leur aile radicale
Aujourd'hui plus que jamais, une clarification s'impose: les Nahdhaouis démocrates (s'ils en existent, et je pense que oui) épris de justice et de tolérance devraient faire un choix sans équivoque. Ils devraient dénoncer clairement et sans ambiguïté l'aile radicale de leur parti, même si le prix à payer est la scission ou l'implosion d'Ennahdha, un prix bien dérisoire au regard de l'intérêt supérieur de leur propre patrie. Un acte salutaire et courageux qui permettrait de sauver la Tunisie du chaos et ferait renter ces hommes et ces femmes dans l'histoire de leur pays par la grande porte.
Les membres du Congrès pour la République (CpR) et d'Ettakatol, ou ce qu'il en reste, devraient de leur côté mettre l'intérêt du pays au dessus de leur ambition personnelle et assumer leur responsabilité devant le peuple tunisien et devant l'histoire avant qu'il ne soit trop tard.
Mais dans l'immédiat, il est du devoir de la police de déployer tous les moyens nécessaires pour arrêter les assassins de Chokri Belaïd et de les traduire devant la justice car si ce crime reste impuni, il en provoquera d'autres.
Quoi qu'il en soit, la situation ne peut plus durer, ce gouvernement n'a plus de légitimité depuis le 23 octobre 2012. Il cherche à gagner du temps pour noyauter tous les appareils de l'Etat y compris la police et l'armée comme l'a fort justement dénoncé feu Chokri Belaïd.
La tragi-comédie du remaniement ministériel qui dure depuis des semaines n'est qu'une illustration de cette manœuvre destinée à occuper une presse férue de petites histoires de politiques politiciennes, afin de faire oublier les problèmes les plus pressants du pays.
Il appartient à la société civile, aux partis de l'opposition et à tout tunisien attaché à son pays d'appeler à la démission du gouvernement actuel et à la mise en place d'un gouvernement d'union nationale ou de technocrates, et dont le seul rôle serait d'accélérer la rédaction de la constitution et la tenue d'élections dans les plus brefs délais.
Aucun pays ne peut supporter une si longue période de transition et d'incertitude. Mais, il faut surtout éviter le piège de la violence car les radicaux d'Ennahdha n'attendent qu'une seule chose: profiter du chaos pour prendre le pouvoir par la force.
* Universitaire.