Après un peu plus de deux années de la révolution tunisienne, la violence ne cesse de gagner du terrain. L'assassinat, aussi minable que lâche, de Chokri Belaid était la goûte qui a fait déborder le vase. Mais qui protège qui?
Par Emna Turki
Pour commencer, il faut admettre que toute cette violence est la résultante logique d'un laisser-aller coupable et d'un laxisme latent de la part du gouvernement. Ce gouvernement, et surtout le mouvement Ennahdha, capitaine à bord, n'est peut être pas coupable de tout ce qui se passe, mais il en est responsable. Etre au pouvoir c'est assumer, trouver des solutions et faire face à ses responsabilités. Selon toutes les coutumes et toutes les lois du monde entier, c'est l'Etat qui protège ses citoyens et ses institutions.
Les journalistes boucs-émissaires
Cette vague de violence a commencé depuis un moment déjà, mais, et face à un silence assourdissant de la part d'un gouvernement qui se dit «légitime» et d'une Assemblée constituante dont les députés se déchirent à la longueur de la journée, cette violence a trouvé un terrain favorable et des conditions propices pour se propager.
Les journalistes ont mis en garde le gouvernement contre la violence, qui est devenue un fléau difficile à canaliser, mais ils ont été accusés de mettre des bâtons dans la roue du gouvernement.
Les journalistes ont affirmé que les armes circulent massivement, mais on les a accusés d'être des partisans de l'ancien régime, les fameux «azlém».
Les journalistes ont prévenu que les prédicateurs et les imams ne cessent d'appeler à la violence et aux meurtres, mais ils ont été accusés d'être hostiles à l'islam.
Les Tunisiens dénoncent la violence dans toutes leurs manifestations.
Résultat: l'assassinat d'un Chokri Belaid comme on n'en fait plus.
Tout a commencé après les élections. Des «inconnus», toujours les mêmes, ont saccagé les salles de cinéma et les maisons d'expositions. Le gouvernement n'a pas bougé le petit doigt. Se sentant intouchables et même «protégés», ces bandits ont accentué leurs opérations et ont commencé à s'en prendre aux meetings des partis de l'opposition et à saccager les mausolées (plus d'une quarantaine déjà). Le gouvernement n'a toujours pas bougé le petit doigt.
De là, ces bandits ont su que c'est eux qui font la loi devant un gouvernement impuissant et une institution sécuritaire fragile et vulnérable. Ils sont donc passés à l'étape supérieure: les agressions physiques. Et ce sont les journalistes indépendants, comme par hasard, les politiciens de l'opposition, comme par enchantement, et les penseurs libres, et c'est toujours un hasard, qui en ont fait les frais. Même Abdelfattah Mourou, qui représente selon certains le front modéré et «pacifique» au sein du mouvement Ennahdha, a été agressé, à deux reprises, par des salafistes que Rached Ghannouchi a, rappelons-le, qualifiés de ses «propres enfants».
Stop à la violence, dit cette jeune manifestante.
Quand l'Etat «protège» les agresseurs!
Et alors que le gouvernement refuse de prendre des solutions radicales et continue à ignorer ce danger qui prolifère, Lotfi Nagdh, le représentant de Nida Tounes à Tataouine, a trouvé la mort à la suite d'un lynchage public. Le choc était plus fort après la réaction du gouvernement qui a essayé, par tous les moyens, de camoufler cette affaire ! Le parti Ennahdha a même demandé à ce que les coupables (les membres de la Ligue de la protection de la révolution de Tataouine) soient libérés, eux que le conseil suprême d'Ennahdha a qualifié de «la voix de la raison et l'âme de la révolution».
De mal en pis, la Tunisie a sombré dans un chaos de violence qui a abouti à l'assassinat, mercredi, de Chokri Belaid.
Qui protège la Tunisie et les Tunisiens? Qui protège ceux qui ne cessent de s'en prendre à la Tunisie et aux Tunisiens? Normalement c'est l'Etat qui protège les citoyens, mais là, il y a un sentiment général chez les Tunisiens que l'Etat protège ceux qui les agressent, et c'est tout le danger.
Reste maintenant aux dirigeants politiques tunisiens d'arrêter leurs discours de haine et leurs appels incessants à la violence partisane.
Basta, qu'ils fassent preuve de responsabilité, sinon qu'ils se cassent.