L'auteur, député (ex-Ettakatol, membre du groupe Démocrate), relate des dépassements en série du règlement intérieur de l'Assemblée nationale constituante (Anc) par son président Mustapha Ben Jaâfar (Ettakatol) et vice-présidente Maherzia Lâbidi (Ennahdha). Très instructif...
Par Sélim Ben Abdessalem
Après l'assassinat de Chokri Belaïd, beaucoup ont pu penser que rien ne serait plus comme avant et que chacun prendrait ses responsabilités en se recentrant sur l'essentiel et l'intérêt du pays. Le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, a pris les devants en prenant l'initiative de proposer la constitution d'un gouvernement de compétences nationales indépendantes des partis et dont aucun des membres ne se présenterait aux prochaines élections, déclenchant les foudres de Rached Ghannouchi et des durs d'Ennahdha.
Le président de l'Assemblée hors sujet
Logiquement, le président de l'Assemblée nationale constituante (Anc) n'aurait-il pas dû faire de même et prendre ses responsabilités dans ce contexte de grave crise politique en appelant à ce que l'Anc se recentre sur sa mission principale de rédaction de la constitution et de préparation du cadre législatif pour les élections afin de l'achever dans un délai raisonnable?
Mais au lieu de cela, entre lundi et mardi, nous avons assisté à un nouveau coup de force du président de l'Anc et de sa 1ère vice-présidente qui ont cependant dû fléchir, mardi, au terme d'un bras de fer avec l'opposition.
Tout a commencé ce lundi lorsque les députés de l'opposition ont eu la stupeur de découvrir que l'ordre du jour prévoyant toujours la discussion de projets de loi sans grande importance. Comme si l'assassinat de Chokri Belaïd n'avait pas eu lieu, ou n'avait pas fait l'effet d'un tremblement de terre, et comme si l'initiative de M. Jebali n'avait pas retourné la classe politique! Mais pour le président de l'Anc, sa 1ère vice-présidente et les partis de la «troïka» rien ne semblait en effet justifier de ne pas continuer comme avant: sans aborder les vraies questions, sans calendrier ni direction claire et en laissant l'Anc se discréditer chaque jour un peu plus faute d'indiquer aux Tunisiens quand elle entendait terminer sa mission...
Face à cela, une soixantaine de députés de l'opposition (au-delà des 35 élus du groupe Démocrate) ont donc demandé que cette séance soit annulée et que soit programmée le plus rapidement possible une séance publique consacrée à la situation politique dans le pays, l'initiative de M. Jebali et la mise en place d'un calendrier pour l'Anc. Il est vrai qu'Ennahdha et (feu?) la «troïka» ne voyaient pas d'un bon œil un tel débat, mais le président de l'Anc était mis face à ses responsabilités. Or, fidèle à lui-même, il refuse toute modification de l'ordre du jour! Les députés de l'opposition décident alors de boycotter la séance et de maintenir leur demande initiale.
Mais qu'apprend-t-on quelques minutes avant le début de la séance: que celle-ci serait consacrée au chapitre 6 du projet de constitution portant sur les collectivités locales, alors même que le site de l'Anc indiquait toujours un ordre du jour portant sur des projets de loi! On croit rêver! De plus, les trois élus de l'opposition membres du bureau de l'Anc constatent avec stupeur que cette décision a été prise sans que le bureau de l'Anc ne soit réuni, alors même que selon l'article 81 du règlement intérieur de l'Anc, seul son bureau a le pouvoir de fixer l'ordre du jour des séances et de le modifier ! Qu'importe, le président de l'Anc et sa 1ère vice-présidente ont décidé, une fois de plus, de passer en force au mépris du règlement intérieur, en imposant aux députés la discussion d'un chapitre de la constitution sans en avoir été prévenus à l'avance!
Au mépris des règles de la démocratie
La séance débute donc en l'absence des élus de l'opposition qui avaient décidé de la boycotter. Précisons toutefois que la séance ne comportait pas de vote et que les élus de l'opposition conservaient la possibilité de déposer leurs amendements à ce chapitre du projet de constitution, ce qui sera fait évidemment. Mais cette séance ne débute pas sans protestations pour autant: le rapporteur de la commission des collectivités locales, Fayçal Jadlaoui (groupe Ettakatol) exprime son indignation de ne pas avoir été prévenu de la tenue de cette séance qu'il décide de quitter, avant d'être suivi par le 2e rapporteur adjoint de la Constitution, Mabrouk Hriz (parti Wafa) qui objecte l'illégalité d'un ordre du jour imposé en dernière minute.
Rien n'y fait, le président de séance, Larbi Abid (ex-CpR rallié à Ettakatol), avec l'appui des groupes Ennahdha, CpR, Ettakatol et Wafa, décide de maintenir cette séance, au mépris des règles de la démocratie les plus élémentaires rappelées par ces élus!
Face à ce passage en force, le groupe Démocrate, tout en se tenant à sa décision de boycott, envoie le Doyen Fadhel Moussa en séance pour expliquer devant l'opinion publique comment le règlement intérieur a été piétiné par le président de l'Anc. Le rapporteur général de la Constitution, Habib Khedher (Ennahdha) lui adresse une réponse peu convaincante avant l'interruption de la séance sans que la parole ne soit redonnée à Fadhel Moussa qui demandait un droit de réponse. Cela aurait été surréaliste si on n'y était pas déjà habitués...
Le lendemain, mardi matin, la décision est prise de poursuivre le boycott des séances plénières (mais pas en commission de tri des candidatures de l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie) ou de la législation générale où l'enjeu est important) et de maintenir les demandes de la veille.
Le groupe Démocrate tient bon
En séance, une bordée de critiques et d'accusations est adressée par les députés de la «troïka» à l'opposition. Rien de bien grave. Et, l'après-midi, lors du bureau de l'Anc (cette fois convoqué !) les élus de l'opposition tiennent bon sur les conditions posées pour un retour en séance, à savoir: la programmation, jeudi au plus tard, d'une séance sur la situation politique et la mise en place d'un calendrier pour l'Anc. Et, aux termes d'une réunion longue et houleuse, ce sont les décisions suivantes qui sont prises: programmation pour jeudi d'une séance consacrée à la situation politique nationale et, avant cela, mercredi, réunion de la conférence des présidents pour travailler à la question d'une proposition de calendrier pour l'Anc ! La pression a donc payé. Mais ce qui est toujours aussi désolant est qu'il ait fallut engager ce bras de fer pour aboutir à cette décision qui était le minimum que l'on puisse attendre après le drame de ce 6 février 2013. Pour espérer que rien ne soit plus comme avant...
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* Les titre et intertitres sont de la rédaction.