Compte tenu de la fragilité de la situation économique de l'Egypte, le président Morsi ne peut prendre de risque vis-à-vis des pays du Golfe qui l'assistent financièrement en se rapprochant de l'Iran.
Par Michel Roche*
La présence de Mahmoud Ahmadinedjad au Caire à l'occasion de la réunion du (2-7 février), n'est guère passée inaperçue. Depuis la révolution iranienne en 1979 c'est, en effet, la première fois qu'un président iranien se rend dans la capitale égyptienne.
Cette visite fait suite à celle qu'avait effectuée Mohamed Morsi à Téhéran, lors du sommet des Non-Alignés en 2012.
Morsi et la politique de rapprochement avec l'Iran
Au Caire, M. Morsi a déroulé le tapis rouge pour recevoir son hôte, qu'il a rencontré en particulier durant une vingtaine de minutes. L'entretien aurait été consacré à la situation en Syrie, selon la presse.
Le président égyptien poursuit ainsi la politique de rapprochement avec l'Iran qu'il a engagée depuis son accession au pouvoir; mais pas plus au Caire au début du mois qu'à Téhéran l'an dernier, n'a-t-on assisté à une quelconque percée.
La visite du président iranien a plutôt eu pour effet de souligner de manière très visible les limites auxquelles la tentative d'ouverture de M. Morsi se heurte. Il existe, en effet, des obstacles de taille qui s'opposent à un rapprochement entre l'Iran et l'Egypte, tout autant qu'avec le monde arabe.
Morsi-Ahmadinejad: une mésentente cordiale...
L'Iran reste majoritairement perçu comme une puissance concurrente qui instrumentalise le chiisme au détriment des intérêts arabes et sunnites. Pour les Etats du Golfe c'est le véritable adversaire, celui dont les gesticulations font peser une menace constante sur la stabilité dans la région et en particulier sur la circulation maritime dans le golfe persique. Il est accusé de vouloir faire tomber les monarchies. A tort ou à raison il est soupçonné d'alimenter les troubles à Bahreïn en manipulant la majorité chiite.
La perspective d'un Iran nucléaire constitue enfin un véritable cauchemar pour tous ces pays, même si la perspective d'une frappe israélienne sur l'Iran et de ses conséquences aurait plutôt pour effet de resserrer les rangs.
Sur le Liban et dans la crise syrienne les positions sont diamétralement opposées. Alors que l'Egypte et ses partenaires de la Ligue arabe demandent le départ du président Assad, M. Ahmadinedjad, qui craint un affaiblissement de son influence au Proche Orient, continue à soutenir le président syrien. M. Morsi avait bien proposé de se réunir à quatre (Egypte, Syrie, Iran, Turquie) pour engager une négociation; Téhéran n'a pas saisi l'occasion.
C'est dire si l'exercice diplomatique dans lequel s'est engagé M. Morsi est difficile; la surprise vient de ce que les réactions les plus fortes vis-à-vis de M. Ahmadinedjad sont venues de l'Egypte elle-même.
Le mouvement salafiste a tiré le premier, en publiant un communiqué condamnant la visite du président iranien. Des militants salafistes l'ont également pris à partie lors de sa visite à la mosquée Al Hussein. Dans un geste symbolique mais fort, certains d'eux ont lancé leurs chaussures dans sa direction. Difficile de dire plus clairement que le chiisme reste l'adversaire et qu'il faut le combattre. Le geste est d'autant plus gênant pour M. Morsi que les salafistes sont ses alliés politiques et qu'il ne peut prendre le risque de se les aliéner.
Un message tout aussi ferme est venu d'Al Azhar où M. Ahmadinedjad avait souhaité se rendre pour rencontrer le cheikh Ahmad al-Tayyeb, sous-estimant probablement le souci que cette prestigieuse institution a de son indépendance et de son autorité.
S'il n'y a pas eu de commentaires publics sur l'entretien lui-même, le communiqué publié par Al Azhar laisse peu de doutes sur le fond du message qui a été transmis au président iranien: opposition à la propagation du chiisme dans les pays sunnites et particulièrement en Egypte; appel au respect des droits des minorités sunnites en Iran; respect de Bahreïn et, de manière générale, non interférence dans les affaires arabes du Golfe.
Ahmadinejad avec le chef d'Al-Azhar : la mésentente sur toute la ligne.
Peu de choses ont filtré sur les discussions qui ont eu lieu au cours du sommet lui-même. Deux éléments permettent toutefois de penser que la cause de l'Iran n'a pas progressé. Le premier, et il est tout à fait révélateur, est le peu d'intérêt manifesté par les médias iraniens eux-mêmes.
Le Caire a les mains liées sur la relation avec Téhéran
Avant son départ M. Ahmadinedjad avait évoqué la possibilité d'une réouverture des ambassades; le sujet semble avoir disparu de l'actualité. Mais surtout l'OCI reste verrouillée autour d'une certaine conception qui ne va pas dans le sens de l'ouverture: l'actuel secrétaire général qui est turc, cédera sa place à un ancien ministre saoudien; et le prochain sommet aura lieu dans trois ans en Turquie. M. Morsi peut bien assurer la présidence de l'organisation, mais il a les mains liées sur la relation avec Téhéran.
Compte tenu de la fragilité de la situation économique de l'Egypte, M. Morsi ne peut prendre de risque vis-à-vis des pays du Golfe qui l'assistent financièrement. La solidarité qu'ils expriment vis-à-vis du Caire ne va d'ailleurs pas jusqu'à fermer les yeux sur le soutien que celui-ci pourrait être tenté d'apporter aux Frères Musulmans dans les pays du Golfe. Entre le Qatar et l'Arabie saoudite qui se pressent pour apporter leur aide au Caire, le président égyptien ne dispose d'aucune marge pour pouvoir faire jouer la concurrence.
Enfin l'Egypte reste toujours l'obligée de Washington et on voit mal comment M. Morsi pourrait faire évoluer ce paramètre. Alors que le règlement du dossier nucléaire iranien est l'une des priorités des Etats-Unis, et sans même avoir besoin d'évoquer les provocations iraniennes à l'égard d'Israël, M. Morsi peut faire toutes les amabilités qu'il voudra vis-à-vis de Téhéran, il n'a pas les moyens de peser.
L'un des porte-parole de la Maison Blanche, qui était Interrogé sur la visite de M. Ahmadinedjad au Caire, s'est borné à estimer que cette visite avait permis de faire passer des messages utiles au président iranien.
On peut penser que c'est aussi l'opinion des pays du Golfe. Et s'ils avaient des doutes, le ministre égyptien des Affaires étrangères a pris soin de préciser à leur intention que l'amélioration des relations avec l'Iran ne se fera pas au détriment des relations avec les pays du Golfe.
* Consultant indépendant, associé au groupe d'analyse de JFC Conseil