La Tunisie est au milieu d'une grosse tempête et ne semble pas avoir de capitaine capable de la mener à bon bord! Comment avoir une vision sur le long terme, si même l'instant présent nous échappe.
Par Aymen Mahjoub*
«Comme il est impossible que le commerce puisse subsister sans la confiance entre les particuliers, ainsi il est impossible qu'il puisse fleurir et devenir considérable, sans la confiance et la sûreté publiques, et sans une confiance au gouvernement qui consiste dans l'opinion que l'on a de sa force, de sa sagesse et de sa justice», écrivait William Temple dans ses ''Remarques sur l'État des Provinces Unies des Pays-Bas'', qui remontent en l'an 1672.
La situation politique actuelle en Tunisie est un flou total. Ce flou a trop duré. Il coule tel un long fleuve tranquille, et sa quiétude semble être imperturbable.
Une ligne rouge a donc été franchie
Suite à l'assassinat du leader politique Chokri Belaid, le 6 février, les Tunisiens ont connu, à nouveau, une émotion collective qui les a poussés à sortir dans la rue, pour exprimer leur mécontentement de la situation que prévalant dans le pays ainsi que du flou qui enveloppe la scène politique.
Le mystère entourant ce meurtre demeure non résolu par les responsables du pays. Le ministre de l'Intérieur a cherché à nous «réconforter» dans une intervention télévisée en nous disant que son ministère allait résoudre rapidement l'énigme de ce crime horrible. Arguments avancés: les statistiques de la résolution de ce genre de crime en Tunisie, qui sont proches de 100%. Il faut donc se fier... aux statistiques pour espérer en avoir le cœur net et regagner la confiance citoyenne qui nous a quittés depuis bien trop longtemps.
Ce crime a été perçu par tout un chacun comme une grave atteinte au modèle de société prévalant jusque là en Tunisie et qui se caractérise par le dialogue pacifique et le rejet de la violence. Une ligne rouge a donc été franchie et il y a un risque que la violence devienne désormais partie intégrante du quotidien des Tunisiens.
Comme on devait s'y attendre, le 8 février, les rues de la capitale ont été submergées par 1,4 million de personnes qui ont assisté aux funérailles de Chokri Belaïd, martyr de la Tunisie post révolutionnaire; une grève générale a été observée le même jour dans tout le pays; la Tunisie, tout entière, a pleuré le défunt, mais, elle a tout autant pleuré la montée de la violence parmi ses enfants, les poussant à s'entretuer, à faire couler le sang, à ôter la vie, pour des visions différentes ou pour des divergences politiques.
La confiance du peuple n'est pas éternelle
Le responsable de ce fiasco, à la fois, politique, économique et social, est forcément celui qui est au pouvoir, et ce malgré le fait qu'il bénéficie d'une légitimité toute relative, d'autant que sa popularité est en chute libre. Cette fameuse légitimité est en effet périmée depuis le 23 octobre dernier, sauf qu'on est dans un pays d'Afrique, où tout produit périmé se voit donner une deuxième jeunesse.
Forcément, ce qui reste incompris par nos dirigeants c'est qu'en politique, la confiance du peuple est primordiale et elle n'est pas éternelle. Elle est conditionnée par la réalisation des promesses faites aux électeurs.
Grâce à sa proposition de constituer un gouvernement apolitique de compétences nationales, Hamadi Jebali est passé, en quelques jours, comme dans un tour de magie, du statut d'un chef de gouvernement n'inspirant pas grande confiance à ses concitoyens, à celui d'un homme d'Etat voire d'un super héros.
La proposition, qui semblait une issue réalisable, un nouvel espoir, un nouveau souffle, dans l'idée du moins, et surtout (tenez-vous bien) en n'ayant pas consulté sa propre famille politique. Un homme d'Etat est-il né suite à cet assassinat politique? Avec un sens aigu du devoir? Et grâce à une prise de conscience de la délicatesse de la situation à laquelle la Tunisie est en train de faire face?
On ne le saura jamais. Qui est derrière lui? Qui lui donne soudain cette confiance de défier son propre parti? Son chef suprême? Ou s'agit-il juste d'un énième effet d'annonce destiné à faire baisser la tension, quitte à coûter à Jebali son propre poste?
La Tunisie au milieu d'une grosse tempête
La réponse est tombée 12 jours après : l'initiative de Jebali n'a pas réussi.
A-t-on a eu encore tort de croire aux promesses d'un homme qui nous fait miroiter le remaniement ministériel depuis juillet dernier et qui n'est pas arrivé à le faire aboutir? Et qui, après sa démission, renvoie les Tunisiens à la case départ.
Et le peuple dans tout cela? Il ne fait pas confiance aux gouvernants, mais bon, à part la réaction instantanée, le réflexe d'un bouillonnement, aucun de ses agissements ne semble porter une réflexion profonde sur le long terme.
Le problème réside dans le fait qu'on n'arrive pas à trancher. On se laisse faire, tout en regardant, ébahis, mais sans dire le moindre mot. Arrivera-t-il un jour où on sera maîtres de nos destins, de notre futur commun en tant que nation?
Comment voulez vous qu'on puisse avoir une vision sur le long terme, si même l'instant présent nous échappe.
La Tunisie est au milieu d'une grosse tempête et ne semble pas avoir de capitaine capable de la mener à bon bord !
*Ingénieur et responsable communication Nida Touness France Nord 1.