L'ampleur prise par phénomène Harlem Shake en Tunisie souligne le paradoxe d'une révolution tunisienne faite par des jeunes, qui ont donné leur sang pour retrouver leurs dignité et liberté... mais qui se trouvent prisonniers de ceux qu'ils ont libérés.
Par Samia Lamine*
La danse Harlem Shake qui se propage en Tunisie est une mode qui a envahi le monde entier en quelques heures suite à la diffusion d'une vidéo sur internet.
Et depuis, chacun présente sa version de la danse et, aujourd'hui, elle fait ravage dans les écoles tunisiennes, non pas comme un moyen de distraction mais comme une forme d'expression politique.
Les «shakeurs» font de la résistance
En effet, si Harlem Shake, venant de la Californie, a séduit les jeunes, c'est qu'elle leur a permis d'exprimer, par l'ébranlement des épaules, des jambes et de tout leur corps, leur présence et leur malaise dans ce monde qui va à l'encontre de leurs rêves, désirs et espoirs... dans ce monde où les adultes sont livrés à leur ruée vers la richesses et le pouvoir... dans ce monde où les adultes, qui sont censés fournir un modèle de bon sens et bonne conduite aux adolescents, s'adonnent à leurs passions: l'injustice, la haine, la violence, la guerre... dans ce monde devenu une jungle où règne la loi du plus fort et du plus menteur, du plus ingrat, du plus égoïste et du plus individualiste. Or, les nouvelles générations cherchent à trouver le bonheur, l’amour et la sécurité.
En Tunisie et en Egypte, si les adultes et même les gouvernements sont choqués par la réaction des jeunes «shakeurs» et ont réagi avec une telle violence à cette révolte civilisée, pacifique par l’un des premiers arts qu'a connu l'humanité, c'est bien une preuve que ces jeunes ont bien raison de dire à leur façon que le monde ne va pas bien, qu’ils ne nous font plus confiance, nous, les parents, les éducateurs et les responsables politiques, et qu’ils sont inquiets pour leur avenir à cause d’une école qui ne s’adapte pas à la modernité technologique et qui cherche à les garder dans leur minorité… à cause des courants obscurantistes qui se développent et qui menacent de noircir leur vie... et à cause du chômage qui les guette.
La réaction disproportionnée des autorités
Mais, au lieu de se voir compris et encadrés… au lieu de voir leur message capté par les responsables, notamment le ministre de l’Eduction, voilà que les «shakeurs» sont accueillis par les forces de l’ordre, la matraque et les bombes lacrymogènes…
Est-il logique, raisonnable et admissible que les jeunes adolescents soient agressés et réprimés par la police, comme à Sousse (Tunisie), pour avoir dansé leur révolte?
Est-il logique, raisonnable et admissible qu’on veuille imposer à ces jeunes un mode de vie et un système où ils ne se retrouvent pas, qui ne leur plait pas, qu’ils refusent et qu’ils souhaitent changer?
Est-il logique, raisonnable et admissible que le ministre de l’Education tunisien soit si incompétent dans la gestion de l’affaire Harlem Shake et si intransigeant avec les adolescents?
Ironie du sort… Paradoxe de ces révolutions faites par des jeunes qui ont donné leur sang pour trouver leur dignité, leur liberté… mais qui se trouvent prisonniers de ceux qu’ils ont libérés.
*Professeur et poétesse d'expression française.