Le nœud de vipères de l'extrémisme religieux n'est pas en Syrie, en Egypte, au Mali ou au Sahara. Il n'est pas non plus au cœur de l'Afrique ni sur ses côtes méditerranéennes. Il est dans la péninsule arabique et uniquement là.
Par Henri Diacono*
La question se pose avec de plus en plus d'acuité. Invisible, le ver de la pourriture est dans le fruit. Inoculé par l'Homme cet éternel filou, il est en train d'y faire son nid. Dans le cœur même du printemps arabe et surtout de la révolte du jasmin tunisien dont la floraison promettait tant, et qui ainsi risque de faire chanceler à travers tant de nations, l'espoir pourtant légitime de toute une jeunesse.
L'avidité d'une liberté toute neuve
Le mouvement initié chez nous par celle-ci à mains nues (330 jeunes désarmés), confisqué par d'autres, exilés dans le confort depuis très longtemps, l'un à Londres et l'autre à Paris, d'un côté l'islamiste Ghannouchi (ex-Frères Musulmans) et de l'autre celui qui devait être son opposant le laïc Marzouki (ex-président de la Ligue des droits de l'homme), est en train de se briser en une vague solitaire et donc inutile. Dans l'indifférence générale. Internationale s'entend. Et voilà que dans la morosité, ou plus tragique, sous les bombes et parmi les morts, sur les bords de la Méditerranée comme ailleurs, l'avidité d'une liberté toute neuve, à nulle autre pareille, s'est estompée et risque aujourd'hui de redevenir une lamentable utopie.
L'argent des monarchies wahhabites finance les jihadistes en Syrie.
Sans même s'en rendre compte, les peuples qui, grâce à elle, croyaient s'être débarrassé à tout jamais de l'asservissement, avant ou après le colonisateur, des califes, émirs, rois, sultans, beys, deys, guide ou présidents qui les oppressaient depuis des siècles sous le couvert d'une religion poussée à son paroxysme, sont en passe de se retrouver plongés dans une servilité plus rétrograde encore. Dans l'obscurantisme le plus total. Justement à l'heure où l'homme volant de progrès en progrès rêve de voler jusqu'à la planète Mars.
La faute à qui? Mais justement à ceux-là même qui, du côté de l'Occident, applaudissant et criant au miracle, étaient accourus à leur chevet (et le font encore) entrainant dans l'ombre de leur sillage, cachés dans les pétrodollars d'Arabie, Qatar, Koweït et consort (qui n'ont que des biftons à défaut de poète, philosophe ou savant), des fourbes autrement plus dangereux que les canons et les dictateurs, c'est-à-dire une cohorte de prédicateurs barbus prônant pour les peuples musulmans affranchis le retour eu Moyen-Âge! Comme chez eux. C'est-à-dire en imposant, même dans la violence, les prières dans les rues, la ségrégation envers le sexe dit faible, les codes vestimentaires et du langage, sans oublier bien sûr voile et burqa pour les femmes, robes longues et barbe pour les hommes, autant de signes d'une religiosité accrue. Avec, cela va de soi, les tribunaux barbares et expéditifs. De droit divin.
La peste et le choléra confondus
A la suite des récents mouvements contestataires chez les Arabo-musulmans, le premier pays que cette «vermine arabique» a choisi de sournoisement cancériser a été justement le plus petit, le moins belliqueux mais le plus courageux d'entre eux, et surtout le plus tolérant dans le domaine de la religion qu'il n'a jamais brandi pour se débarrasser du tyran: la Tunisie. Celle qui justement avait donné le coup d'envoi des révoltes par sa seule jeunesse sans aucun autre appui, politique, syndical ou étranger. La Tunisie, malékite depuis plusieurs siècles. C'est-à-dire la Tunisie qui dans sa pratique religieuse a, entre autres et depuis toujours, estimé que seul Dieu est juge des pratiques du croyant, que la contrainte est contraire à l'islam et que la laïcité demeurait l'une de ses plus précieuses conquêtes avec le statut de la femme datant lui du siècle dernier.
Les salafistes jihadistes au Maghreb soudoyés par les bailleurs de fonds saoudiens et qataris.
La vermine s'y est installée avec la complicité et le laxisme des dirigeants actuels du pays, issus dans leur quasi totalité du parti religieux Ennahdha, protecteur des salafistes et de leurs méfaits, entretenant vraisemblablement une milice armée «pompeusement» appelée Ligue de la protection de la révolution (LPR). En retardant à loisir l'échéance de leurs mandats, ces dirigeants, dont le président de la république pourtant laïc convaincu, accueillent à tour de bras et comme des princes, à coups de tapis rouges et d'honneurs, les plus radicaux, les plus virulents des prédicateurs en renom venus notamment «des bienfaiteurs financiers» que sont l'Arabie Saoudite, bien sûr, mais aussi le Koweit, le Qatar et même l'Egypte.
La peste et le choléra confondus, le danger, le pire de tous car souterrain, souvent invisible, est là à quelques encablures de l'Europe. La Tunisie se défend comme elle le peut... La Libye est contaminée, l'Egypte est prise de convulsions et n'en déplaise à beaucoup de doctes experts, bon nombre de gouvernants parmi les plus puissants de la planète font mine de l'ignorer. Pire : ils semblent y contribuer. Par exemple, sous la houlette de la sacro-sainte (c'est à voir !) Onu, qui roule toujours au bénéfice des plus forts, ce «machin» comme l'avait appelé en son temps De Gaulle qui lui aussi n'avait rien d'un saint, lorsque donc, le FMI, les Etats Unis, l'Union Européenne, Bruxelles, l'Allemagne, etc., sans le Royaume Uni ni la France (tiens, tiens !), lancent récemment en faveur de la Syrie martyrisée un téléthon de donateurs (1.500 millions de dollars) au sein duquel, et en bon rang, figurent les banquiers omniprésents que sont encore une fois... Arabie Saoudite, Koweït, Bahreïn et Qatar, il est évident que les milliards de dollars promis transporteront en catimini avec eux, en Mésopotamie, ou ce qu'il en reste hélas, de savants inquisiteurs.
Des vassaux timbre-poste croulant sous l'or noir
Des religieux passés maitres dans l'art de l'endoctrinement d'un autre temps et qui terroriseront une terre où pourtant on continue de parler l'araméen, la langue que pratiquait Jésus et les siens, où vivent des milliers et milliers de chrétiens, dont des moines et des sœurs dans des couvents soigneusement respectés et entretenus, et où le chant du muezzin du haut des mosquées, se mêle depuis des lustres au carillon des clochers d'églises. La mère-patrie de ceux qui ont bâti l'Andalousie avec ses penseurs, ses philosophes, ses architectes et ses mathématiciens et surtout sa tolérance religieuse. L'âge d'or de l'islam.
Il est d'ailleurs évident que ce sont les fidèles auditeurs de ces schizophrènes de Dieu, embrigadés par eux, qui hantent déjà, en les détruisant à jamais, les rues de ce pays chargé d'Histoire où sont nés sur la planète, l'écriture, la sédentarisation, l'habitat puis la cité, l'agriculture, l'élevage d'animaux devenus familiers et la vie en communauté avec ses lois qui n'avaient rien de... religieux. Un bout de terre fertile qui, voilà des milliers et milliers d'années, avait jeté les bases de la civilisation en compagnie des ancêtres des Irakiens. De notre civilisation.
Les jihadistes au nord du Mali chargés de diffuser le wahhabisme dans toute la région.
«Drogués à coups de lois et injonctions soi-disant divines», ces fous à l'oreille sourde, jeunes pour la plupart, sont venus en Syrie puis aux confins du Sahara, armés jusqu'aux dents, depuis tout ce que le Moyen-Orient, et même l'Afrique du Nord (ils y ont commencé à sortir du bois en toute quiétude bien outillés par les armes déversées en Libye par qui vous savez) comptent d'assoiffés de sang, de haine et de soi-disant vengeance séculaire. Pour installer au pouvoir leur folie sous le couvert de la suppression dans le monde arabo-musulman d'un autre dictateur (encore un, version Occidentale) qui était pourtant un homme fréquentable il y a peu. Comme l'avaient été, en leur temps, Ben Laden, Saddam Hussein, les talibans, puis avant «le printemps arabe», Moubarak, Kadhafi et au seuil de la mémorable «révolte du jasmin» qui avait mis le feu au précédent, Ben Ali, le «froussard» le seul à vivre libre aujourd'hui, avec son épouse, son fils et ses milliards, bien au chaud, devinez où ?
Mais en Arabie Saoudite, voyons !
L'Arabie Saoudite, encore et toujours elle. Suivie des ses vassaux timbre-poste croulant sous l'or que sont les Qatar, Koweït et Bahreïn.
Voilà le cœur du problème, l'épicentre de ces conflits actuels que l'on nomme à tort et trop souvent, guerre des religions et que nul dans le concert discordant des Nations ne veut montrer du doigt, Onu comprise(1).
L'Arabie Saoudite! Paradoxalement, une dictature royale et... moyenâgeuse, alliée indéfectible de tout ce que la terre compte de démocraties dites modernes, civilisées et justes. Un désert gorgé d'or... noir découvert en 1938, ami-ami des Anglais depuis plus longtemps encore, puis des amerloques (ses protecteurs depuis plus de 70 ans «because» pétrole) après s'être constitué en 1932 (deux ans seulement avant ma naissance, «purée va!») en un royaume dirigé par un chef de tribu surpuissant, Ibn Saoud, très largement inspiré par un certain Ibn Abdelwahhab dont les revendications dogmatiques appliquées (elle le sont toujours) feront, trois ou quatre décennies plus tard, le nid du wahhabisme, sa doctrine, et donc du salafisme, donc de la chienlit actuelle. Du terrorisme dit «islamique» par pur confort venu des autres.
Le nœud de vipères n'est pas en Syrie, en Egypte, au Mali ou au Sahara. Il n'est pas non plus au cœur de l'Afrique ni sur ses côtes méditerranéennes. Il n'est pas à Gaza, en Palestine ou même en Perse, pardon en Iran! La vipère est dans la péninsule arabique et uniquement là et croyez-moi il faut être aveugle, sourd, muet, ignare pour ne pas l'admettre. Ou plutôt complice. Une complicité d'Etat. Et comme on ne peut croire que tous les complices soient des idiots, force est de se poser cette question troublante: «Mais que cherchent-ils en fermant les yeux sur une telle félonie? Quel projet cachent-ils?»
* Journaliste français résident en Tunisie.
Note :
(1) Au fait qu'a été son comportement pour le raid en quelque sorte «terroriste» de l'aviation israélienne récente en Syrie. Silence total. Itou chez tous les alliés d'Israël... péninsule arabique comprise.